Les rallyes

Pour un discernement radical

Il y a des sujets qui semblent soigneusement évités. Des évidences qu’il n’est pas permis de questionner… Par exemple, dès que l’on aborde le sujet des rallyes, avec le regard de l’expérience, c’est une levée de boucliers au premier mot prononcé : interdit d’en parler ! Voilà qui est intéressant : c’est donc bien là qu’est le problème. En appuyant « là », ça fait mal. Ce n’est pas le but, de faire mal, mais il faut justement remédier au mal. Ce mal ressemble à une muraille. Une muraille de vernis qui empêche toute conversion, tant qu’elle n’est pas au moins fissurée. Comme à Jéricho, il faut en faire le tour et sonner de la trompette, c’est-à-dire en parler. Parlons-en, discernons ensemble.

Contenu

Qu'est-ce qu'un rallye ? De son fondement — a. du critère du "milieu" — b. que signifie "chevaleresque" ? Qui est noble ? — c. de la conservation ou de la conquête

On juge l'abri à ses fruits : la mondanité, fille des rallyes — Qu'est-ce qu'un "mondain" ? — Les faits de la mondanité selon sainte Catherine de Sienne — De la tartufferie...  des relations — Les relations garçons-filles — Du bobo-libéral au tradi-pêchu.

Quelques questions et prétextes souvent posés —  Mais il y a de bon "rallyes" !  — La solution n'est-elle pas de compléter les rallyes par le scoutisme ? — Des excuses pittoresques.

Pour conclure : du courage.

1. Qu’est-ce qu’un « rallye » ? De son fondement

C’est l’organisation, par les parents, de rencontres de jeunes gens de « bonnes familles » afin de transmettre les manières mondaines et l’art de la danse (rockvalse…) dans le but de favoriser des rencontres entre jeunes-gens et jeunes-filles. Le terme de « rallye » rappelle la chasse-à-courre : le gibier y est juste différent.

Cette pratique est assez récente. Si Napoléon, dans sa vision bourgeoise de la noblesse avait déjà encanaillé cette dernière par ces pratiques mondaines, c’est après la 1ère guerre mondiale que le phénomène se constitue. La société étant saccagée par la guerre, des moyens sont pris pour « sauver le milieu ». Dans les années 50, la notion de « milieu » trouve un regain d’intérêt. Dans la crainte de voir leurs enfants se corrompre au contact d’une société déstabilisée moralement, des parents mettent en place les rallyes, afin d’y perpétuer les bonnes manières de la courtoisie. L’autre objectif visé est de permettre à des jeunes gens issus du même milieu social – (aristocrates et bourgeois, unis depuis la Révolution) – de se rencontrer afin, si possible, de se marier et de fonder des familles issues d’un même cercle étroit. C’est le culte de l’entre soi.

Aucune vertu n’y est requise ni encore moins transmise, toute la valeur d’une personne étant d’appartenir à tel microcosme, que le rallye se charge de réunir. Les mœurs, cette attitude plus profonde encore que la « morale » y sont confondues avec ce qui est plus superficiel que la morale : « les bonnes manières ». C’est-à-dire un simple code extérieur. Autant dire que la dignité de la personne n’y tient à rien. Cette réduction à « rien » est constitutive du principe du rallye mondain, sans quoi il n’existerait pas. C’est ce qu’il convient de démontrer.

a. du critère du « milieu »

Dans la tradition chrétienne, le titre de la noblesse, pour être héréditaire, ne dit rien de la noblesse d’une personne. La notion de milieu n’existe pas. La noblesse n’est pas un milieu, lequel sépare les groupes de personnes selon des cloisons étanches. Le milieu du noble, c’est le peuple. On nait donc dans un état social, pour une fonction sociale qui oblige d’autant plus envers les autres que cet état est « élevé ». De telle sorte, en effet, qu’un état de noblesse obligeait à une noblesse d’âme, la seule qui ait un prix réel. La noblesse d’âme pouvant naître en chaque état social, c’est elle qui était le critère permettant des liens entre plusieurs personnes. La décadence arrivait à chaque fois que ce principe n’était pas respecté. Ceci vaut comme un principe de discernement.

Lequel principe de discernement fut jadis ainsi éclairé :

Une erreur est celle qui nous fait croire nobles à cause de la noblesse d’autrui. On n’est pas sage de la sagesse de son père (…); aussi n’est-on pas noble de la noblesse de ses parents, si on a dégénéré. Le livre de la Sagesse dit « Personne d’entre vous n’a été déshonoré avant sa naissance, ce qui a été avant nous ne peut nous être imputé, c’est le cœur qui rend noble. »

            Une autre erreur est celle de ceux qui croient qu’on est noble, parce qu’on sort d’une race noble. On peut démontrer la fausseté de cette prétention de plusieurs manières. (…) Si on considère l’origine des hommes, on voit que tous viennent d’un seul, en sorte que sous ce rapport, ils sont tous également nobles. (…) Si on veut remonter à la cause originelle créée, on trouve que nous avons le même père et la même mère, c’est-à-dire Adam et Ève. Nous sommes donc tous également nobles, ou tous de basse naissance. (…) Saint Augustin a dit : « Remontons à Adam et Ève, et nous verrons que nous sommes tous frères. » (…) Nous ne sommes pas plus nobles les uns que les autres (…). C’est une erreur que de penser qu’on est noble à cause du sang de ses ancêtres. (…)[1]

C’est donc une erreur de croire « préserver » de jeunes gens en les enfermant dans leur milieu car c’est là le plus sûr moyen de pervertir ce en vue de quoi ils sont nés, et leurs âmes tout simplement. Chers parents, tel n’est pas votre rôle.

b. que signifie « chevaleresque » ? qui est noble ?

Un petit détour par le XIIIème siècle vaut encore la peine. Voici ce que l’on peut encore lire dans le traité sur « L’éducation des princes » attribué à saint Thomas d’Aquin :

            « La véritable noblesse de sentiment se fonde sur ce principe : « il n’y a de noblesse que celle qui forme les mœurs par l’élévation de l’âme. » Un prince vraiment noble doit être exempt de bassesses et d’une honteuse servitude ; il ne doit pas se laisser dominer par aucun sentiment bas et grossier ; il doit avoir horreur tout ce qui est vil et honteux ; il doit être généreux dans ses largesses, prompt à distribuer ses dons, clément et bon envers ceux qui se soumettent, sévère pour les rebelles ; dédaigneux des petites choses, aspirant toujours aux grandes; attaquant les difficultés sans crainte et conduisant ses entreprises avec courage et persévérance jusqu’à ce qu’il ait obtenu la fin qu’il se propose. (…) L’homme véritablement noble donne généreusement, à l’exemple de Dieu qui est très noble et très libéral. Et sa libéralité est telle, que non seulement Il donne ses biens, mais encore Il se donne Lui-même, et qu’Il les communique non seulement à ses serviteurs, mais encore à ses ennemis. Car « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et fait pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs. » (Mt 5, 45) (…) Et de même que la libéralité est un signe de noblesse, de même la rapacité est un signe de bassesse. En sorte que plusieurs qui passent pour nobles sont très vils, parce qu’ils dépouillent les pauvres. (…) « quelle est la plus grande noblesse? » demanda-t-on à maître Alain. – Ce qu’il y a de plus noble, répondit-il, c’est de donner.» [2]

Ce sont là énumérées les vertus chevaleresques. « Par chevaliers, on entend, non des nobles batteurs d’estrade ou des guerroyeurs, mais des hommes d’honneur et de dévouement, façonnés comme tels par le christianisme. »[3] Du point de vue féminin, pour « chevaleresque, « généreuse » donne parfaitement le sens masculin, dont la force et l’honneur est dans le don de soi.

Et encore : « L’esprit de la Chevalerie est surtout la consécration de toute la vie à la protection des opprimés, le sacrifice de tout son être à la défense de la justice, (…) elle est le sacrifice à l’état d’institution. » « Est chevalier (…) qui donne à ses frères son âme et sa vie, qui place l’honneur au-dessus de tous les biens de ce monde, qui aime les petits et les faibles. »[4]

Être noble, ou chevaleresque, est enfin inséparable, dans la culture chrétienne, de la foi liée à la sainteté, laquelle découle de l’Évangile : Ce n’est pas par hasard que sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus avait une dévotion particulière pour sainte Jeanne d’Arc en qui elle admirait l’esprit chevaleresque. Esprit dont le ressort est dans l’enseignement évangélique : « Que le plus grand parmi vous soit comme le plus jeune, et celui qui gouverne soit comme celui qui sert. » (Lc 22, 26)[5]

Ces quelques considérations positives devraient suffire par elles-mêmes. Mais la certitude pour certains de se croire « arrivés » en raison de leur milieu demande encore des éclaircissements.

c. de la conservation ou de la conquête

« Appelés à être libres[6] ». Nous sommes appelés à être libres, c’est-à-dire à exister en raison de Dieu. L’esclavage, au sens de veulerie, consiste à exister en raison de son milieu. Liberté et esprit chevaleresque – et générosité – vont de paire. La liberté chevaleresque est celle de l’âme prête à donner sa vie. Elle est généreuse et détachée d’elle-même. C’est tout l’opposé de cette pseudo-liberté de celui qui vit pour lui-même, esclave de sa volonté propre, satisfait de lui-même et de son milieu. Dans son encyclique sur l’espérance, le Pape Benoît XVI nous donnait l’exemple de saint Augustin, imitant notre Seigneur : « Le Christ est mort pour tous afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur Lui, qui est mort et ressuscité pour eux” (2 Co 5, 15) ».[7] Le Christ est mort pour tous. Vivre pour saint Augustin signifie se laisser associer à son « être pour ». » [8]

Or cette liberté, cette noblesse d’âme, n’étant pas plus attribuable à un milieu qu’à un autre, aucun milieu en tant que tel ne peut la « conserver », sous peine de la réduire à une convenance pharisaïque. C’est-à-dire essentiellement factice et mensongère.

Car la noblesse d’âme s’apprend, se met en œuvre en un combat. Car toujours la recherche de nous-mêmes – nous voulons vivre par et pour nous-mêmes – vient diminuer la liberté. Impossible de se reposer sur nos lauriers, soient-ils un milieu : il nous faut sans cesse conquérir le Bien ! Benoît XVI nous explique : Puisque l’homme demeure toujours libre et que sa liberté est également toujours fragile, le règne du bien définitivement consolidé n’existera jamais en ce monde. Celui qui promet le monde meilleur qui durerait irrévocablement pour toujours fait une fausse promesse ; il ignore la liberté humaine. La liberté doit toujours de nouveau être conquise pour le bien. La libre adhésion au bien n’existe jamais simplement en soi. S’il y avait des structures qui fixaient de manière irrévocable une condition du monde déterminée – bonne –, la liberté de l’homme serait niée, et, pour cette raison, ce ne serait en définitive nullement des structures bonnes.[9]

Ce en quoi le principe des « rallyes » peut être considéré non seulement comme illusoire, mais comme mauvais en lui-même.

2. On juge un arbre à ses fruits.

Mus par la prétention sociale, les rallyes donnent des fruits de servitude mondaine. Combien de fois ai-je eu cet aveu du manque total de liberté dans les relations mondaines.

            Cette prétention sociale engendre une crainte qui consiste à enfermer les personnes sur leurs petits acquis. La crainte de voir des enfants avoir de mauvaises fréquentations ou de ne pas avoir de fréquentations ne devrait pas conduire à la nécessité de la mondanité – désespérance mortifère manifeste ! – comme si cela allait régler le problème : c’est tout le contraire, car la mondanité est à l’opposé de la vérité et de l’amitié. Il est « naturel » que les rallyes produisent des fruits de vanité : cela correspond à la nature de son principe.

La mondanité, fille des rallyes

Pour exister, l’esprit Évangélique, l’esprit de la grâce, et donc de la liberté véritable, a besoin d’être mis en œuvre. Cette dimension royale, qui nous est donnée parce que le Roi des rois s’est abaissé jusqu’à nous, cette noblesse chevaleresque, a besoin de vivre. Le scoutisme est né, s’opposant à la loi statique des droits acquis : le scoutisme est une conquête des vertus, ces forces intérieures qui nous permettent de penser et d’agir selon notre dignité, selon la volonté de Dieu. Il suffit cependant, pour rendre ridicule la plus belle des vertus, de la retourner sur elle-même. Un peu de flatterie et puis la crainte… et voilà l’oiseau en cage. Louis XIV avait compris cela, qui, pour neutraliser la noblesse du royaume, l’attira à la cour, et la flattant, la fit vivre pour elle-même, elle dont la vocation était de sacrifier – d’offrir – sa vie pour le bien de tous. La décomposition réussie de cette aristocratie vivant pour elle-même se retourna contre Louis XVI, qui lui doit sa décapitation.

Qu’est-ce qu’un « mondain » ?…

Par définition, le mondain est une personne attachée aux plaisirs du monde, à la vanité et à la futilité. Le mondain, ou la mondaine, ne vit qu’à travers les yeux d’un petit groupe de « personnes qui pensent pareil » et qui se prennent pour « des gens biens ». Il faut entendre : ce sont des personnes qui ont cessé de penser et qui sont tellement imbus de leur petite société qu’ils ont pour plus haute vertu le mépris des autres. Ils ne sont heureux que lorsqu’ils se vomissent les uns sur les autres leurs bavardages creux, superficiels, complaisants pour les présents et médisants pour les absents (c’est-à-dire qui se tiennent à plus de deux mètres d’eux).

Le mondain, s’il parle de Dieu, n’en fera jamais un absolu. Dieu passe après la soirée, c’est certain! Après eux-mêmes surtout. Le mondain a une peur bleue de la simplicité et de l’humilité de l’âme. Ayant perdu le sens véritable de l’honneur, il a rejeté toute sa noblesse d’âme dans les apparences. Il s’est vidé de sa substance. Ça se lit sur son visage.

Il est effrayant de lire cela dans les yeux d’adolescents que des parents conditionnent dans cette voie contre-nature. Qu’ils vous regardent comme un paquet de merde, passe. Mais le plus terrible, c’est l’ennui qui règne sur eux. L’ennui et le mensonge perpétuel du paraître camouflent l’incapacité d’être, tout simplement, comme Dieu veut que nous soyons.

Comment voulez-vous qu’un martyr naisse parmi cette race? L’amour y est forcément sentimental et vulgaire.

Les fruits de la mondanité selon Sainte Catherine de Sienne :

            Le mondain est comme un voleur qui m’a dérobé mon honneur, à Moi – c’est Dieu qui parle à sainte Catherine – son Créateur, pour se l’attribuer à lui-même. (…) Tout d’abord, le mondain me juge Moi, (…) il condamne tout, suivant son petit avis; et comme il a aveuglé lui-même l’œil de son intelligence, (…) il ne peut voir ni connaître la vérité. Puis, il entreprend de juger le prochain : source féconde de bien des maux! Le pauvre homme ne se connaît pas lui-même il n’en prétend pas moins connaître le cœur et les sentiments de la créature raisonnable. Pour une action qu’il verra, pour une parole qu’il entendra, il voudra juger de l’intention du cœur. (…) Que de fois ces faux jugements n’engendrent-ils pas la haine, l’homicide[10], l’envie du prochain, l’aversion pour la vertu de mes serviteurs. (…) Je dis que cet arbre a sept branches qui pendent à terre (…). Ces branches sont les sept péchés capitaux qui donnent naissance à tant d’autres, et sont rattachés à la souche commune de l’amour-propre et de l’orgueil.[11]

De la tartufferie…

            Si la courtoisie n’est pas animée par l’amour et le respect du prochain, elle devient vite pure convention et tourne au pharisaïsme. A fortiori lorsqu’elle est à géométrie variable, destinée à usage de caste – comme la pratique la « Marie-Chantal » du XVIème arrondissement, d’autant plus obséquieuse selon l’échelle sociale de son interlocuteur ! Ses gestes ne sont plus alors que simagrées, tartufferies, qui dissimulent mal la barbarie intérieure sous un vernis de «bonnes manières», aux antipodes de la transparence d’une Jeanne ou d’une Thérèse.[12]

Raymond de Lulle, en 1275, mettait déjà en garde contre ce détournement :  » … La chevalerie n’est pas tant dans le cheval que dans le chevalier. Et pour cela, le chevalier qui dresse bien son cheval mais donne à lui-même et à son fils de mauvaises coutumes et de mauvais enseignements, fait de lui-même et de son fils, si faire se peut, des bêtes et fait de son cheval un chevalier «  [13]. À bon entendeur, salut !

…des relations

Car les rallyes se fondent sur le simple regroupement d’adolescents en raison de leur milieu social. Il n’y a aucune visée éducative. Ils sont à un âge où l’on doit apprendre le sens des relations. Lesquelles ne sont pas seulement « convenances » sociales. Je ne rejette pas ces dernières, mais je dis que si l’âme n’est pas éduquée, ces convenances sont le pire des vernis. Cela s’appelle mensonge. Elles donnent l’illusion d’être « comme il faut » en retirant les moyens de voir ce qui ne va pas. Je parle en témoin de jeunes qui, tout en ne pouvant pas sortir – éclore – de ce vernis, étouffent. Certains (beaucoup !) y laissent leurs âmes. En effet, si ce n’est pas l’amitié, mais la seule mondanité (et avouons que c’est le cas des rallyes) qui meut les relations, quel jeune peut croître en maturité dans un tel climat ? En fait, c’est plutôt à une régression que l’on assiste. Cela se voit au comportement. Il serait trop long de développer les choses, mais ce qui est certain, c’est qu’il y a chez ces jeunes entre eux une perte de la liberté. Ils l’avouent eux-mêmes. Leurs relations de groupe sont fausses et personne n’ose sortir de cette situation pesante. Je parle là de ceux qui s’en rendent compte : quelle force d’âme !

Les relations garçons-filles

Concernant les relations garçons-filles, c’est un désastre. Là aussi, certaines exceptions s’en plaignent et me disent être les seuls à « résister ». Au prix de quel combat ?! En effet, les garçons ont leur « tableau de chasse » pour la soirée (oui ! pour la soirée !…). Comment leur en vouloir ? Ce sont les parents qui omettent (omission ? négligence ? inconscience ?…) la dimension éducative, le fondement de l’amitié. Cela vient sans doute qu’eux-mêmes appellent amitié la simple mondanité. Sinon ils sauraient que l’amitié est l’affaire de la vie humaine, qu’elle s’apprend et qu’elle nécessite une vraie éducation.

Les fruits de débauche et d’instabilité sentimentale y sont érigés en quasi vertus, du moins en « nécessité » : en effet, puisque le vernis – les apparences de bien – y est la loi suprême, la liberté dans la vérité y est bannie. Garçons et filles y sont là, livrés à eux-mêmes, sans qu’aucune connaissance d’eux-mêmes ne leur soit transmise par leurs aînés qui ne sont là que pour sauver les apparences. Alors allons-y franchement, « choppons » gaiement ! Vivre pour soi-même – en mondain – ou en homme libre selon la grâce, le choix est fait d’avance hélas. De telle sorte que les jeunes qui ont choisi la liberté de la grâce, refusent de fait l’esprit des rallyes. Ils ne les refusent donc pas parce qu’ils sont « coincés », mais justement parce qu’ils ont cette belle liberté intérieure qui leur permet un sain discernement.

Si donc les jeunes ne découvrent pas un jour, par miracle, la vanité de ces relations mondaines et le prix de l’amitié, de l’amour libre et mature, ils risquent de ne plus savoir aimer, ce qui peut causer de graves conséquences pour leur vie de couple. De cela aussi, je parle en témoin et non à partir de suppositions.

En attendant, ceux qui n’ont pas eu de relations sexuelles sont l’exception. Et il ne suffit pas de dire « pas mes enfants » pour résoudre le problème, car la majorité est écrasante et se dire « pas mon enfant » tout en le livrant à ce petit monde revient à lui dire que vous cautionnez de fait ces relations, même si vous lui dites que ce n’est pas ce qu’il faut faire ! Vous voyez quelle confusion vous infusez dans leurs esprits ? ! Or, la cohérence est le fondement de l’éducation.

Les filles souffrent de cette situation pour certaines qui sont prises pour des « coincées » (et je reste poli, car le vocabulaire pour les désigner est violent et vulgaire au plus haut point : étonnant pour des « bons petits gars ») si elles résistent. Les caractères forts ne se laisseront pas impressionner, les autres seront humiliées ou, « jouant le jeu », elles deviennent complètement superficielles en la matière. Là encore, je parle en témoin. Faites le compte : il n’est pas glorieux.

Les garçons sont des garçons, quel que soit le milieu. Leur maturité sexuelle est un enjeu pour toute leur vie. Le respect des femmes en est la clé. Or ils doivent l’apprendre : ce n’est pas une chose naturelle. Ce respect est sans aucun doute le signe de la grâce. Le Catholicisme en sait quelque chose, qui fait donc l’éloge de la femme (« la sentinelle de l’invisible », disait Jean-Paul II) alors que le penchant est d’en faire un objet.

Mettre des adolescents, garçons et filles, en situation de séduction réciproque tout en faisant semblant de croire que la vertu de chasteté sera sauve est, au mieux de la bêtise, au pire une forme subtile de perversion de ses propres enfants. C’est mettre à l’épreuve des âmes vulnérables, les charger d’un fardeau qui les écrasera à coup sûr. Aucun motif ne peut justifier une telle mise en danger des enfants que le Dieu confie aux parents

La sexualité devient activité ludique, presque incontournable, voire tacitement encouragée tant elle est préparée par le climat faussement classique (superficiel et bling-bling) des soirées. La séduction y est première : « plaire » avant tout ! Et on ne lésine pas sur les moyens… Il s’ensuit des effets dramatiques qui vont du dégoût de soi jusqu’à l’homicide lorsque l’union intime produit ce pour quoi elle existe : le don de la vie. L’avortement fera ici partie du mensonge mortifère des rallyes.

Les conséquences se reportent aussi plus tardivement, lorsque des garçons et des filles de 18 à 22 ans et même plus, en sont encore à « sortir ensemble » (et à coucher ensemble, cela va de soi, quoi de plus « naturel » !?…), entretenant par là des relations d’adolescents qui se cherchent, sans pouvoir sortir de cette adolescence, privés de la capacité à s’engager librement et définitivement dans l’amour conjugal.

« Mais nous surveillons ! » Dites-vous. Sachez qu’il ne sert à rien de surveiller si l’âme n’est pas éduquée.

Or éduquer implique des choix. Des choix préférant la réalité au mensonge. C’est lâcheté que de dire : « mais nos enfants doivent faire connaissance de personnes convenables. » Pour que ces personnes soient convenables, il faut d’abord les délivrer de la mentalité des rallyes. La mondanité est une lâcheté, une veulerie de l’âme qui fut toujours le signe certain de la décadence d’une société. Orchestrant cela, les parents se font les fossoyeurs des générations à venir.

            Hélas, je suis obligé de constater que l’aveuglement est le sport préféré des parents qui entretiennent leurs chérubins, dans la contre-sagesse, dans la fange des très nauséabonds rallyes mondains. Mais c’est chic, ça fait bien, on croit exister, et en plus on s’imagine faire partie de l’élite ! Belle illusion !… les apparences… En attendant, la décadence des âmes fait des ravages dans la bourgeoisie (à particule ou non).

Ne me dites pas que je manque de charité : c’est justement la charité qui me donne la force d’aborder ce sujet devant la violence des réactions de ceux qui sont concernés. Pour les autres, c’est un encouragement à ne pas succomber.

Du bobo-libéral au tradi-péchu…

Du bobo-libéral au tradi-péchu, tout ce petit monde se retrouve au rallye ! Je ne m’étendrai pas sur ce sujet cocasse : il suffit de relire Bernanos, Thibon et autres auteurs aussi libres que solides, pour comprendre qu’il n’y a là aucun paradoxe, mais que ce mélange ne fait que manifester un principe commun de décomposition.

 

3. Quelques questions et prétextes souvent posées

a. Mais il y a de « bons rallyes » !

Car enfin, certains rallyes « se tiennent » mieux que d’autres. Oui, sans doute, et grâce à de bonnes volontés. Mais cela ne suffit pas à en faire quelque chose de bon. Nous pouvons seulement dire que certain rallyes tentent de résistent à leur propre principe de décomposition… Ce n’est pas la bonne volonté des membres qui fait que le principe des rallyes est bon ou mauvais. Il n’y a pas de « bon rallye », puisque le principe est mauvais. Le principe des rallyes est mauvais en lui-même, puisqu’il ne vise qu’à la conservation d’acquis sociaux et qu’il ne garde de la noblesse que la dimension mondaine, c’est-à-dire sa décomposition ! Ce principe ne peut conduire qu’à décadente des rallyes mondains.

            « Saint Jérôme a dit « Je ne vois rien à ambitionner dans la noblesse, sinon l’obligation qu’elle impose de ne pas dégénérer de la probité de ses ancêtres. »[14] Or, en ne gardant que les apparences d’une bonne éducation, oubliant l’esprit de cette éducation, ses vertus, en ne cherchant à garder que la courtoisie, sans les qualités d’âme de cette courtoisie, la dégénérescence est nécessaire. Les rallyes fonctionnant sur les apparences, la décadence y est une conséquence nécessaire. La veulerie est la première de toutes. S’ensuivent toutes sortes de décompositions de l’intelligence et de la volonté, et enfin des mœurs… Cette dégénérescence est l’œuvre directe des rallyes, son propre corollaire.

b. La solution n’est-elle pas de compléter les rallyes par le scoutisme ?

Le scoutisme bien vécu, a pour but d’unir des jeunes non sur un principe de « milieux », mais sur la vertu chevaleresque. Il prend donc les moyens en vue de cette fin : la noblesse d’âme. C’est-à-dire l’honneur et le dévouement, le don de sa vie à ses frères, le sens de l’honneur (dignité de la personne et non l’orgueil d’un milieu social), le service et l’amour des petits et des faibles.

Les « rallyes » regroupent des jeunes gens selon un milieu par crainte de perdre biens et pouvoir (indissociables) : leur modèle évangélique préféré est celui d’Hérode lorsque les Mages venus d’orient lui posèrent la question de savoir ou était né l’Enfant.

Nous entendons dire parfois qu’ils se complètent… allez comprendre ! Leur but respectifs et leurs moyens sont opposés. Il ne s’agit pas ici de complémentarité car – l’expression est forte, mais elle permet de comprendre – la maison close ne peut pas être complémentaire (!) de la maison familiale…       En attendant, « l’esprit » des rallyes corrompt l’esprit de bien des patrouilles des scouts et des guides, lorsque CP et seconds sont préoccupés de leurs soirées et des ragots mondains… Combien de jeunes guides et de jeunes scouts ont arrêté le scoutisme parce que précisément ils venaient y chercher l’esprit scout et qu’ils y ont découvert des mondains ?

Entre une « soirée rallye » et une nuit sous la tente, le choix est quasi systématiquement celui du rallye : priorité oblige !

On se donne bonne conscience en envoyant ses enfants faire du scoutisme, comme si c’était conciliable. C’est inconciliable. Le scoutisme souffre énormément de la « mentalité rallyes ». Ils s’opposent de manière radicale. Le scoutisme est chemin de liberté (pour reprendre un titre bien connu), alors que les rallyes enferment dans les apparences. Il y a un choix à faire.

c. Des excuses pittoresques

Certains parents cherchent des excuses là où ils peuvent : « nous préférons que nos enfants aillent danser dans un rallye plutôt que dans une boîte de nuit ». Tout d’abord, l’un n’empêche pas l’autre. Les adeptes des rallyes le sont aussi souvent des « boîtes ».

J’ai pu constater, un vendredi de la Passion (précédant une Semaine Sainte), que des parents n’étaient pas du tout gênés d’organiser une soirée rallye ayant pour thème : « bas résille et open bar ». M’y étant rendu avec quelques étudiants sains d’esprit, nous avons pu constater que la soirée n’avait rien à envier à une boîte de nuit. La honte affligeait les âmes aux regards fuyants des jeunes ainsi affublés. Les parents seuls étaient en colère de notre présence pourtant seulement extérieure. Nous étions restés dans la rue, mais il est vrai que simple fait d’être là avait provoqué un malaise chez ces chérubins de bonnes familles. Leur malaise révélait encore un reste de santé d’âme, alors que la réaction des parents manifestait un état comparable à l’alcoolique capable d’une fureur irrationnelle s’il n’a pas sa bouteille. Comment voulez-vous entendre les excuses de parents qui infligent à leurs enfants une telle humiliation à grands frais ? L’excuse de cette soirée, son prétexte ? Une récolte de fonds pour une bonne œuvre… Je vous laisse méditer…

Ce qui m’étonne, dans ces excuses, c’est qu’elles présentent les rallyes comme un moindre mal. Mais alors, pourquoi les défendre avec autant de hargne, et pourquoi ne pas imaginer une proposition qui serait bonne ? Les rallyes ne sont pas une réponse à des maux possibles, mais l’enrobage d’une pourriture intérieure. Dans l’Évangile, le Fils de Dieu nomme cela « hypocrisie », dont ces « sépulcres blanchis » de pharisiens sont l’incarnation. Ces excuses sont du même ordre.

Le prétexte des « mauvaises fréquentations » évitées à vos chers petits est elle aussi factice. L’expérience montre qu’il y a une proportion de personnes saines d’esprit plus importante hors des rallyes que dans les rallyes. Rencontrer des personnes saines est le fait de la vertu et non d’un « entrisme ». L’entrisme est en général un principe de dégénérescence. La mauvaise foi fait ce qu’elle peut !

Les parents ont le légitime souci des relations de leurs enfants, et donc aussi de leur donner les moyens de ces bonnes relations en éclairant de temps à autre leur discernement si besoin était. La confiance est aussi une vertu de l’éducation. Tout cela suppose que ces mêmes parents ne confondent pas, pour eux-mêmes, amitié et relations mondaines. Il y a là une conversion personnelle en vue d’un plus grand bien : la diffusion de la vérité dans les relations familiales et amicales.

Pour conclure

Les jeunes  ne sont pas directement coupables. Certes, ils se rendent souvent puants aux yeux des autres à cause de leur comportement méprisant et superficiel. Mais ce n’est pas là la vérité de ce qu’ils sont. J’en appelle seulement à leur réveil humain et spirituel, à celui de leur véritable honneur.

Envers ceux les parents qui se font les hérauts des rallyes, j’éprouve une profonde pitié que je ne peux qu’exprimer avec une fermeté totale.

En plus d’une bonne dose de vérité, ce qu’il faut, pour être libre et transmettre le sens de l’honneur à vos enfants, ce qu’il faut actuellement plus que jamais, c’est du courage.

Courage de faire croître ce qu’il y a de meilleur chez les jeunes. Car ils en sont capables.

Courage de ne pas se laisser impressionner par la chape de nécessité qu’imposent les rallyes à votre esprit.

Courage de faire autre chose.

Courage de refuser l’illusion.

Courage de la vérité.

Courage d’être des parents.

Père Michaël Bretéché.

Notes

[1] Saint Thomas d’Aquin. De l’éducation des princes. chap. IV: Erreurs à l’égard des idées de noblesse.

[2] Livre I, Chap. V: De la vraie noblesse.

[3] P. Sevin. Le Scoutisme. Spes 1933 p. 43

[4] P. Forestier. L’esprit du Scoutisme. Le Chef n° 185 nov. 1941 p. 8 à 11

[5] Je cite là le très bon passage sur la question du « Livre d’Hermine » p. 64 s.

[6] Cf. Gal 5, 13

[7] Confessions X, 43, 70.

[8] Benoît XVI, Encyclique Spe Salvi, n° 28.

[9] Benoît XVI, Encyclique Spe Salvi, n° 24 b.

[10] Ne serait-ce que par la médisance…

[11] Sainte Catherine de Sienne, Dialogue 93

[12] « Livre d’Hermine » p. 64 s.

[13] Le livre de l’ordre de la Chevalerie ch. VI p. 73

[14] In saint Thomas, de l’éducation des princes.

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