L’homme et son corps dans la Liturgie

Le corps, les gestes et quatre des cinq sens sont pris en compte dans la liturgie catholique : ouïe, vue, odorat, toucher, et donnent toute la dimension du mystère de l’Incarnation.

« Ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé de nos yeux, ce que nous avons vu et que nos mains ont touché, c’est le Verbe, la Parole de la vie. » (1 Jn 1, 1).

La liturgie, comme son étymologie leitos ou leitourgia l’indique, est une œuvre publique, un service de toute une communauté qui se tourne vers Dieu, et s’exprime par des paroles et des gestes. En latin le mot gestus désigne toute attitude tout geste, tout mouvement du corps et même toute mimique. C’est ainsi que la liturgie est le service de Dieu, par amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est là le grand commandement, le premier. » Et cet amour de Dieu, s’il est en vérité, entraîne au deuxième commandement qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». (Mt 22, 37-39).

La Consitution Gaudium et Spes, un des fruits du Concile Vatican II nous rappelle, s’inspirant de la riche Tradition de l’Église : « Corps et âme, mais vraiment un, l’homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l’Univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet et peuvent librement louer leur créateur. » (GS 14, 1).

Cependant suite à la réforme de Vatican II, l’importance de la Parole de Dieu a été l’objet de toutes les attentions, oubliant parfois, l’importance des gestes et des sens, dans ce que nous enseignent la Bible et la Tradition. L’anthropologie qui intègre tout l’être personnel et l’être ensemble a été moins réfléchie tant sur le plan corporel que sur le plan de la mémoire globale. En cela, les liturgies orientales et la liturgie catholique traditionelle, dite de rite extraordinaire ont conservé les notions d’espace sacré, de geste, de couleurs, et d’encens propre à éveiller nos sens corporels et spirituels.

Le geste rituel du croyant, dans la Bible et dans la primitive Église, n’est jamais un acte opératoire tendant à déterminer un résultat précis, comme dans les expériences initiatiques ou les différentes formes de magie, mais une manifestation de foi qui habite le cœur du serviteur de Dieu. Ce geste est signifiant, simple et libre : il n’a d’autre finalité que de rendre gloire à Dieu, l’honorer et le servir ; il est l’expression d’un état intérieur qui a son origine et sa finalité en Dieu.

Le geste liturgique comme le sacrement réalise ce que dit la Parole. Il est le signe de la gratuité, de la surabondance de l’Amour et de la miséricorde de Dieu. Il n’a de valeur non en raison de la justesse de son exécution, mais dans la Foi en Dieu Trinité Sainte qui l’habite.

« Dans l’Église, le sacrement devient le lieu et le temps privilégiés de la rencontre efficace entre le corps de l’homme et Dieu, dans le culte qui lui est offert, dans et par le Christ dans l’Esprit Saint. »[1]

Nous nous attacherons ici et sans exhaustivité aux attitudes du corps, communes à tous les fidèles et non pas à celles si signifiantes des célébrants. Nous esquisserons également ce qui dans la liturgie catholique implique les sens.

Le signe de la Croix

S’il est un geste particulier qui manifeste corporellement l’appartenance au Christ, c’est le signe de Croix. Dès la primitive Église, le signe de la Croix est le geste des chrétiens. Il ouvre notre corps et tout notre être à la prière. Hippolyte de Rome donna en 235, cette recommandation aux chrétiens : « Efforce-toi en toutes circonstances de te signer dignement le front. Ce signe de la Passion est un moyen éprouvé contre le démon, à condition que tu le fasses sans ostentation, sachant te protéger ainsi qu’un bouclier. Lorsqu’il voit la force intérieure représentée extérieurement et qui exprime notre ressemblance avec le Verbe, l’Adversaire s’enfuit : non point que tu l’effraies, mais à cause de l’Esprit qui souffle en toi… Signons-nous le front et les yeux pour écarter celui qui cherche notre perte… »

Saint Cyrille de Jérusalem (314-387) y consacre entièrement sa XIIIe catéchèse : « Ne rougissons pas de la croix du Christ, mais plutôt soyons en fiers. Le mot « croix » est en effet pour les Juifs un scandale ; pour les païens une folie, mais pour nous le salut. » [2]

Et il insiste quelques paragraphes plus loin : « Ne rougissons pas de reconnaître publiquement le Crucifié. Que nos doigts tracent hardiment son sceau sur notre front et qu’en toutes circonstances la croix soit tracée ; sur le pain que nous mangeons, sur les boissons que nous buvons ; quand nous entrons, quand nous sortons ; avant de dormir, au lit ; au lever, en voyage, au repos. La croix est une puissante sauvegarde, gratuite en faveur des pauvres, pas fatigante en faveur des faibles. Aussi bien est-elle grâce de Dieu, signe des croyants et crainte des démons… Ne méprise pas ce sceau à cause de sa gratuité, mais à cause de lui vénère davantage ton bienfaiteur. »[3]

Ce signe de croix sur le pain demeure dans la tradition populaire et reste parfois le dernier geste de mémoire de l’appartenance chrétienne. Il est à noter que l’expression : « À tout bout de champ » rappelle que le paysan labourant son champ, se signait à tout bout de champ, pour que le fruit de la terre et de son travail soit béni.

Ce signe fut tout d’abord, d’une grande sobriété, il est question avec Hippolyte de Rome et Cyrille de Jérusalem et de se signer seulement le front. Puis il deviendra le large signe de croix allant du front au plexus, dans un geste vertical de la main droite, de haut en bas : « Au Nom du Père et du Fils » puis de l’épaule gauche à l’épaule droite dans un geste horizontal, pour les catholiques « Et du Saint-Esprit, Amen. »

Le catéchisme de l’Église catholique (n° 2157) reprend cette tradition mémorable de l’expression de notre identité : « Le chrétien commence sa journée, ses prières, ses actions, par le signe de la croix, « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. » Le baptisé voue sa journée à la Gloire de Dieu et fait appel à la grâce du Sauveur qui lui permet d’agir dans l’Esprit comme enfant du Père. Le signe de la Croix nous fortifie dans les tentations et les difficultés. »

Debout

« Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. » (Ap 7, 9).

La position verticale est propre à l’homme. La prière debout est une marque de respect et de confiance, car dans la liturgie nous nous rendons présents à la Présence de Dieu. Cette tradition remonte à la tradition juive, l’Amida, de se tenir debout pour prier.

Pour les premières générations de chrétiens, cette prière debout est un signe de la foi en la résurrection de Jésus. Ainsi saint Jérôme (+ 420) précise : « C’est un temps de joie et de victoire où nous ne fléchissons pas les genoux et ne nous inclinons pas vers la terre, mais, où, ressuscitant avec le Christ, nous sommes soulevés vers les hauteurs du ciel. »[4]

Telle devrait être l’attitude du corps quand on prie debout, une vraie station droite sans raideur ni mollesse, solide, stable, loyale, disponible aux enseignements de la douce présence de Dieu.

Se frapper la poitrine

« Oui, je me repens après être revenu ; après avoir reconnu qui je suis, je me frappe la poitrine. » (Jr 31, 19).

« Il était suivi d’une grande multitude des gens du peuple, et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Jésus se tourna vers elles, et dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous et sur vos enfants. » (Lc 23, 27).

Au début de la célébration, en récitant le confiteor nous disons je, car chacun doit reconnaître ses propres péchés avant d’entrée dans l’écoute de la Parole de Dieu. Je confesse mes péchés en pensées en parole par action et par omission devant Dieu en me frappant, à trois reprises, si nous suivons l’ancien usage, la poitrine, ou plus exactement le cœur, siège de notre intelligence, de notre mémoire et de notre volonté selon l’anthropologie biblique. Ce geste concret ouvre mon cœur endurci à la miséricorde de Dieu. Nous referons ce geste à l’Agnus Dei, Agneau de Dieu. Cette triple invocation est à mettre en parallèle avec celle du Kyrie au tout début de la célébration. L’Agneau de Dieu a été immolé à cause des trois sortes de péchés en pensées en paroles et par actions, dont on demande la rémission ou encore de notre triple misère d’ignorance, de faute et de peine.

L’inclination profonde

« Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a fait. » (Ps 94, 4)

Cette inclination profonde « provolutio » est répétée plus de cent fois par jour dans les offices religieux, par les moines et les moniales. Cette inclination pourrait être plus souvent pratiquée dans les communautés où des laïcs prient ensemble la prière des heures, (que l’on appelait le bréviaire). Ce geste correspond aux métanies de la tradition orthodoxe, notamment devant les saintes icônes.

Il en existe trois sortes d’inclination : La petite inclination : seule la tête se penche en avant comme pour saluer avec déférence. L’inclination moyenne (dite autrefois médiocre) : la tête et les épaules se penchent en avant, la salutation se fait plus accentuée. Enfin, la grande inclination qui consiste à se pencher en avant de telle manière que le dos se retrouve à angle droit par rapport aux membres inférieurs, la tête restant dans le prolongement du dos. Les mains croisées reposent sur les genoux, retenant ainsi le scapulaire. Ce geste doit être rigoureux dans son application, et beaucoup de maîtres des novices insistent pour qu’il soit réalisé avec justesse, application, sans ostentation. On le retrouve décrit dans le coutumier de certains monastères bénédictins, mais il est surtout transmis oralement et par l’exemple aux novices.

Ce geste est effectué durant l’office quand le moine ou la moniale reçoit la bénédiction du prêtre officiant ou de son supérieur, mais aussi à chaque fin de psaume et du après le Notre Père, au moment de la doxologie : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, comme il était au commencement, maintenant et toujours, pour les siècles des siècles. Amen. »

Cette inclination profonde devrait se faire devant le tabernacle et devant l’autel, avant la proclamation de l’Évangile, après l’offrande du calice à l’offertoire, aux paroles du credo : Et incarnatus est, et il s’est incarné. Elle est faite par le diacre, lorsqu’il demande la bénédiction de l’évêque ou du prêtre officiant avant la proclamation de l’Évangile.

Physiologiquement ce geste permet : Un étirement complet de la chaîne musculaire postérieure des talons jusqu’à la tête. Un bon enracinement au sol, un bon aplomb. Une expiration profonde et maximale.

Chantée en grégorien, la doxologie nécessite d’avoir du souffle et d’aller jusqu’au bout de celui-ci. En effet, la phrase est longue (un peu moins en français). L’inclination accompagne « Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto ». La personne va volontairement jusqu’au bout de son souffle, l’air est ainsi expulsé longuement, lentement. L’inspiration qui suit après un court temps d’apnée, d’arrêt, est un temps passif. En français, on peut l’employer à la forme passive : on est inspiré. Les moines et moniales, ceux et celles qui font ces inclinations donnent volontairement et librement tout leur souffle à Dieu en chantant sa gloire, pour ensuite se laisser inspirer par lui. Comme au jour de la création où Dieu a soufflé dans les narines de l’homme pour lui donner la vie, ce geste fait rejouer au plus profond du corps, le souffle, la vie qui nous est donnée, en toute gratuité. Aller jusqu’au bout de notre souffle pour recevoir, accueillir le Souffle de Dieu.

Dans la liturgie orientale, l’enfant est immergé complètement dans l’eau, le jour de son baptême, comme dans la mort du Christ. Et parfois, le prêtre attend qu’il gigote, qu’il étouffe pour bien signifier qu’il va renaître au souffle de Dieu, à la vie en Dieu.

Dans les offices l’esprit peut vagabonder, l’inclination profonde permet de se recentrer sur la finalité de tout psaume, comme de tout office liturgique, rendre gloire à Dieu.

La discipline de l’inclination, plus de cent fois par jour, traduit dans la tradition monastique l’adoration et la gratitude que l’homme doit à son Créateur et Sauveur et son humilité face à la grandeur de Dieu. L’humilité doit habiter le cœur et le corps de celui qui reçoit la bénédiction : humilitiate capita vestra Deo, Inclinez-vous pour recevoir la bénédiction.

Génuflexion

« S’étant mis à genoux, il priait… » (Lc 22, 41). À Gethsémani Jésus prie son Père à genoux.

« Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers. » (Ph 2, 10).

La génuflexion est littéralement l’action de se mettre à genoux. Berakah employé dans la Bible, désigne étymologiquement l’articulation, spécialement du genou et par extension la bénédiction. C’est précisément la génuflexion, attitude de disponibilité, de mise à la disposition de faire la volonté de Dieu qui attire sa bénédiction. La bénédiction s’exprime alors par la fécondité et la croissance dans la vie et les actions, de celui qui agit pense et dit selon la volonté de Dieu. Pendant la messe, c’est aussi un geste parfois posé avant la réception de la Sainte Communion. Les fidèles devraient être à genoux pendant la consécration, sauf si l’exiguïté des lieux ou l’âge et la maladie l’empêchent. Les fidèles devraient également s’agenouiller, ou faire au moins un autre geste d’adoration (une inclination profonde par exemple), avant de communier. Enfin, en passant devant le tabernacle ou le Saint Sacrement exposé, l’on doit faire la génuflexion. Les papes encouragent la pratique de la génuflexion (fléchissement du genou droit devant le Saint-Sacrement) ou de l’agenouillement (attitude de prière et d’adoration à deux genoux). Benoît XVI déclarait récemment aux servants de messe : « N’ayez pas peur de vous agenouiller devant Dieu ! Car adorer le Créateur ne diminue en rien l’Homme, mais lui restitue sa pleine dignité et humanité. »

Poser le genou droit ou le gauche à terre n’a pas la même signification. En effet, selon le protocole, lorsque l’on fait une génuflexion devant Dieu ou une autorité ecclésiastique c’est le genou droit que l’on pose sur le sol. Par contre, lorsqu’il s’agit d’une personne laïque telle qu’un roi par exemple, c’est le genou gauche que l’on doit poser au sol.

Le signe de Paix

Ce signe de Paix ou baiser de paix se situait après l’homélie, entre la prière universelle et l’offertoire. Il s’agissait dans la primitive Église d’un véritable baiser. Ainsi saint Cyrille de Jérusalem dans sa catéchèse parle du diacre qui devait être vigilant et accompagner toute la gestuelle de l’assemblée. « Ensuite le diacre crie : « Accueillez-vous les uns les autres ; échangeons le baiser ! » Ne pensez pas que ce baiser soit du même genre que ceux qu’échangent sur la place les amis ordinaires. « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5, 23-24). Il lie les âmes de mutuelle amitié et sollicite l’oubli de toute offense. Ce baiser signifie que toutes les âmes se fondent ensemble et bannissent tout ressentiment… Ce baiser est donc une réconciliation, et c’est pourquoi il est saint, comme le proclamait le bienheureux Paul : « échangez un saint baiser » (1 Co 16, 20), et Pierre : «… En un baiser de charité » (1 P 5, 14). »[5]

Ce baiser de paix a très tôt été remplacé par l’accolade.

Au musée de Tessé au Mans, était organisée une exposition de tableaux sur le thème des vanités. Ces tableaux qui disent le temps qui passent : une fleur perd ses pétales, un sablier coule inexorablement ses grains… « Tout est vanité » rappelle l’Ecclésiaste. Parmi ces vanités, il y a un saint Jérôme assis, méditant ; sur sa table, une Bible et un crâne qu’il pointe de l’index de sa main gauche, tandis que de sa main droite, il se tient la tempe. Son index est pointé en direction d’un os du crâne : la grande aile du sphénoïde. Dürer le représente dans cette même attitude.

Le sphénoïde entre le plus profondément dans le cerveau. Sphnen, en grec, veut dire coin. Cet os impair possède deux grandes ailes en regard des tempes, de part et d’autre du visage. Dans sa partie interne, c’est-à-dire à l’intérieur du cerveau, le sphénoïde présente la selle turcique, sur laquelle repose le chef d’orchestre de toutes les glandes endocrines, l’hypophyse, la régulatrice de toutes nos humeurs. Ces humeurs, apanage de l’histoire de la médecine depuis Hippocrate, nous les retrouvons magnifiquement illustrées dans le tableau des Quatre Apôtres, peint en 1526, dernière peinture d’Albrecht Dürer. Il s’agit d’un diptyque de grands panneaux représentant Pierre, Jean, Paul et Marc. Chacun se reconnaît à son attribut traditionnel : le livre ouvert de Jean, le rouleau de Marc, le glaive de Paul et la clé du Paradis de Pierre. Le sanguin est Jean, habillé en rouge, le colérique Marc, le flegmatique Pierre et le mélancolique Paul, en blanc.

Saint Jérôme, qui a traduit en grande partie de la Vulgate vers 390, parlait le latin, le grec et l’hébreu ; il avait une grande connaissance des savoirs de son temps. Il fréquenta les communautés monastiques de Syrie, d’Égypte et de Palestine. La Renaissance, friande de mettre en lien les savoirs, revisite les œuvres de saint Jérôme. Ce tableau évoque donc saint Jérôme méditant sur la mort, ou plus exactement sur le sens de la vie.

Jérôme a scruté la Parole de Dieu et s’est laissé travailler par elle ; il nous offre silencieusement, par l’art du peintre, dans la méditation à laquelle il invite chacun ici et maintenant, à creuser en nous l’essentiel. Que cherchons-nous ? Où te caches-tu ?

Ce geste de l’accolade, de tempe à tempe, de sphénoïde à sphénoïde, met en contact et en résonance le plus profond de notre être avec notre prochain. Ce geste ancestral est celui de la réconciliation avec nous-mêmes, avec notre prochain, pour la gloire de Dieu. Ce geste permet de partager la paix, une paix qui nous vient de Dieu et qui revient à Dieu.

Nous retrouvons dans ces tableaux, une attitude gestuelle qu’il est important de scruter, d’interroger, de contempler. Ceux qui sont les auteurs de ces peintures, de ces icônes, mais aussi de la statuaire et de l’architecture de notre si beau patrimoine religieux, nous invitent à cette recherche qui traverse les siècles et nous ramène à l’essentiel. En effet nous avons beaucoup à apprendre de ces trésors qui expriment à travers le temps les manifestations de l’Incarnation du Christ, de sa Passion et de sa Résurrection, et son incidence bienheureuse dans la vie des saints et dans notre propre vie.

Les sacrements

Saint Bonaventure (1217-1274), docteur de l’Église, contemporain de saint Thomas d’Aquin, nous éclaire singulièrement sur le sens des sacrements. Pour Bonaventure, le médecin (medicus) est le Verbe incarné, le malade est l’homme qui « n’est pas seulement esprit, ni seulement chair, mais esprit dans une chair mortelle » ; tandis que la maladie est « la faute originelle qui infecte l’esprit par l’ignorance et la chair par la concupiscence. »[6]

« Les sacrements sont des signes sensibles, institués par Dieu comme remède (medicamenta)…, dans lesquels opère secrètement, sous l’enveloppe du sensible, une force divine, de telle sorte qu’ils représentent par similitude, en signifient par institution, confèrent par sanctification une certaine grâce spirituelle. Par elle, l’âme est guérie (curatur) de la faiblesse et des vices. C’est à cela principalement que les sacrements sont ordonnés à leur fin ultime ; toutefois, ils servent aussi à rendre humble, à s’instruire, à éprouver. »[7] Cette grâce de guérison n’est pas accordée aux orgueilleux, aux incrédules ni aux méprisants, mais aux humbles et à ceux qui ont soif de Dieu.

Dans le rituel de la bénédiction de l’huile des catéchumènes, de l’huile des malades et de la confection du saint chrême, par l’Évêque lors de la messe chrismale, nous retrouvons cette invocation significative pour la guérison du corps et de tout l’être : « Envoie du ciel ton Esprit Saint Consolateur sur cette huile que ta création nous procure pour rendre vigueur à nos corps. Qu’elle devienne + par ta bénédiction l’Huile sainte que nous recevons de toi pour soulager le corps, l’âme et l’esprit des malades qui en recevront l’onction, pour chasser toute douleur, tout mal physique, moral et spirituel. Que cette huile devienne l‘instrument dont tu te sers pour nous donner ta grâce, par Jésus-Christ, notre Seigneur, qui règne avec toi pour les siècles des siècles. »

Nous pourrions multiplier les exemples concernant les sept sacrements qui touchent toutes les dimensions de l’être et transforme dans la Foi, l’homme dans une dimension nouvelle, sa déification par la grâce de l’Esprit Saint et son accessibilité, par le Christ ressuscité, à la vie éternelle en Dieu.

Les couleurs liturgiques

Les couleurs ont une influence sur nos états psychologiques. Elles créent un climat, une ambiance qui joue sur nos états émotionnels. La liturgie dans sa sagesse ancestrale reprend cette dynamique des couleurs en leur donnant un sens profond tourné vers les mystères de la Foi, de l’Incarnation de Jésus à sa Résurrection.

Il existe cinq couleurs liturgiques principales chacune ayant sa signification propre, liée au temps liturgique ou à la fête célébrée. Le blanc, couleur de fête et de réjouissance, pour les cycles de Pâques, de Noël… Le rouge est la couleur de la passion du Christ, de la fête de Pentecôte ; c’est aussi le rouge que l’on porte pour honorer la mémoire des Apôtres (sauf saint Jean Évangéliste) et des martyrs. Le vert est porté pendant le temps dit ordinaire, après l’Épiphanie et le temps après la Pentecôte. Le violet est consacré au temps de préparation et de pénitence comme l’Avent et le Carême. Les plus anciens se souviennent qu’au temps du carême toutes les statues jusqu’aux croix étaient recouvertes d’un drap violet, créant une atmosphère toute particulière de recueillement et d’intériorité. En effet rien ne pouvait distraire le regard. Le rose est une variante du violet employée pour le 3e dimanche d’Avent (dimanche de gaudete) et le 4e dimanche de Carême (dimanche de lætare) pour signifier un adoucissement temporaire du temps de pénitence par la joie de la fête à venir.

Dans le New Age en sophrologie dans la méditation de pleine conscience, les couleurs sont instrumentalisées mentalement pour obtenir des résultats immédiats et automatiques pour peu que l’on répète suffisamment les exercices. Nous y reviendrons.

L’encens

« Seigneur, je t’appelle : accours vers moi ! Écoute mon appel quand je crie vers toi ! Que ma prière devant toi s’élève comme un encens, et mes mains, comme l’offrande du soir. » (Ps 140, 1-2).

La prière est comme un encens, une bonne odeur de sainteté. Le sens de l’olfaction est mis à contribution dans la liturgie. C’est le sens le plus en lien avec la mémoire la plus profonde de notre être. Marie-Madeleine brise son flacon d’albâtre rempli d’un nard de grand prix, pour honorer Jésus avant sa Passion, et les saintes femmes viennent embaumer le corps de Jésus le premier jour de la semaine. À leur suite, dans la tradition orthodoxe, les femmes ont pour vocation, entre autres, d’être myrrhophores, porteuses de parfums ; chaque semaine elles encensent toutes les pièces de la maison pour y faire pénétrer la bonne odeur du Ressuscité.

Lors de la messe, deux encensements se complètent et se répondent. L’encensement de l’Évangile et l’encensement des offrandes, de l’autel, de la croix, des officiants et de l’assemblée juste avant la prière eucharistique.

La triple signation avant la proclamation de l’Évangile

Les fidèles se font une petite croix avec le pouce sur le front pour que notre intelligence, notre mémoire et notre volonté soient attentives à la Parole de Dieu, sur la bouche pour que nous soyons ardents à défendre et à confesser notre Foi, et notre cœur, pour que tout notre être soit imprégné de la Parole de Dieu et qu’elle se manifeste en acte et en vérité.

Allez dans la Paix du Christ

Après avoir été réconfortés par la Parole de Dieu et avoir été nourris du Pain eucharistique, nous sommes invités à vivre cette Paix et cette Joie du Christ ressuscité et à la partager au monde dans lequel nous vivons. Nous sommes en marche, en route pour proclamer l’Heureuse Annonce. En marche, en route, vient du mot hébreu ashrey. Ce mot est employé par Jésus dans les Béatitudes, traduit par heureux. Le bonheur du Christ est mouvement orienté vers la vie, il est aussi action bonne juste et droite, à vivre dans notre humble quotidien.

Bertran Chaudet

 

 Bibliographie

Dom Guy-Marie Oury, Les gestes de la prière, Ed Saint Paul, 1998.

Paul Christophe, Beauté des gestes du chrétien, Ed du Cerf, 2009

Cyrille de Jérusalem, Les catéchèses, Ed Migne, 1993.

Patrick Prétot, Sacrements et guérison : deux dimensions du salut. In La Maison-Dieu, n°245 Ed du Cerf, 1er trimestre 2006.

Josy Eidenberg, Adin Steinsaltz, L’homme debout. Essai sur la prière juive. Ed Albin Michel, 1999.

Notes

[1]Dictionnaire d’ascétique et mystique. Article: Geste.

[2] Cyrille de Jérusalem, Les catéchèses, Catéchèses   baptismales, XIII,3. Ed Migne 1993. p. 188

[3] Ibid. XIII, 36. p. 208, 209.

[4] Saint Jérôme, Commentaire de l’Épître aux Éphésiens.

[5] Cyrille de Jérusalem, Les catéchèses, Catéchèses   baptismales XXIII, 3. Ed Migne, 1993. p. 338.

[6] Saint Bonaventure, Breviloquium, Partie 6, Les remèdes sacramentels, p. 40-41 Texte disponible sur http://www.franciscanos.net

[7] Ibid.

Une réflexion sur « L’homme et son corps dans la Liturgie »

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