L’homme et son corps dans la révélation biblique

« La Parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique ». (Dt 30, 14)

Ces quelques éléments succincts d’anthropologie n’ont aucune prétention à l’exhaustivité, bien entendu. Mais ils seront confrontés à certaines représentations du corps dans le New-Age ou dans quelques perspectives qui viennent de l’Orient.

Éléments anthropologiques

Avons-nous déjà pris conscience que le monde n’a pas d’orientation ? L’univers, le cosmos, la terre, n’ont aucun axe aucune direction, aucun sens.

C’est à partir de notre perception corporelle que nous donnons un sens aux éléments qui nous entourent. Et ceci n’est pas d’ordre culturel, mais anthropologique. Tout homme, quel que soit son milieu ou sa culture fait cette prise de conscience que son corps a trois axes et six directions : un axe antéro-postérieur ou sagittal, un axe latéral ou frontal, un axe vertical. Toute notre perception du monde s’oriente en référence à ces trois axes et ces six directions.

L’axe antéro-postérieur, donne l’avant et l’arrière et oriente aussi le temps, tout ce qui est en avant est futur, tout ce qui est en arrière est passé. L’axe latéral donne la droite et la gauche. Voici une expérience singulière de la corporalité : pourquoi dans toutes les langues de l’hémisphère nord, la droite est considérée comme positive et la gauche comme négative ? En français parmi de multiples exemples, nous pouvons dire : je suis adroit ou je suis gauche. Il n’y a cependant pas d’abord une considération positive ou péjorative ou bien morale, mais une expérience existentielle à la signification de ces mots. Quand nous sommes dans la nature veillant dans la nuit, nous attendons la venue de la lumière. Le soleil se lève à l’Est, et dans l’hémisphère nord, nous suivons la course du soleil en nous tournant vers la droite alors que nous observons l’ombre à gauche. C’est donc une expérience physique qui préside à la signification du mot et précède toute autre considération d’adresse ou de morale.

L’axe vertical donne le haut et le bas. Le haut c’est le ciel et le bas la terre, le plus haut deviendra le Ciel, et le très bas, le schéol ou les enfers.

Ces trois axes et ces six directions se retrouvent donc partout où il y a des hommes pour structurer leur espace. C’est à partir de cette expérience corporelle que les hommes donnent au monde sens et signification. C’est aussi ainsi qu’un sens métaphysique peut être donné, et notre héritage biblique s’inscrit dans cette perception anthropologique de la réalité.

Le père Marcel Jousse, jésuite d’origine sarthoise devenu anthropologue, a toujours revendiqué ses origines paysannes. C’est ce qui lui permettait d’être ancré dans le réel et d’éviter les algébroses des plumitifs, selon ses néologismes qu’il affectionnait. Les plumitifs n’ayant qu’une perception intellectuelle algébrosée, c’est-à-dire éloignée de la réalité première, dont ils dégénèrent le sens.

Marcel Jousse compare le mouvement antéro-postérieur, à un balancement d’avant en arrière comme celui d’un âne portant un fardeau, mouvement premier et archaïque. La chaîne musculaire postérieure que l’on retrouve chez les serpents les plus frustes est sollicitée pour les mouvements horizontaux, tandis que la chaîne musculaire antérieure permet aux serpents plus évolués de se redresser. Mouvement que l’on retrouve chez l’homme provoqué par la contraction décontraction des chaînes musculaires postérieures généralement les plus en tension et antérieures. Ce mouvement de base se retrouve dans le balancement de l’autisme.

Le mouvement latéral plus élaboré, est comparé par Jousse, au mouvement d’une paire de bœufs portant un joug, mouvement de droite à gauche et de gauche à droite. Bien sûr la mécanisation de nos campagnes ne permet plus de constater la pertinence de cette observation. Le sillon tracé demeurait droit malgré le mouvement d’oscillation latérale de la paire de bœufs. Il est à noter que le mot conjugalité signifie porter un joug commun.

Cette latéralité n’est possible qu’avec l’apparition des membres. Les amphibiens, vertébrés les plus frustres, peuvent avancer grâce à des muscles pronateurs, mais ne peuvent pas reculer, ils n’ont pas de muscles supinateurs. L’homme quand il perd les commandes du système nerveux central, peut se retrouver en opisthotonos (du grec opistho, vers l’arrière et tonos, tension) arc bouté en hyperextension postérieure sur l’arrière de la tête et des talons et en rotation interne des membres supérieurs et inférieurs. Cette posture pathologique se retrouve dans le tétanos et certains comas d’origine traumatique crânienne. Les muscles postérieurs et rotateurs internes, retrouvant leur prévalence archaïque sur les muscles antérieurs et rotateurs externe.

La pronation permet de prendre, de garder pour soi et la supination d’ouvrir de donner. Cette attitude gestuelle prend toute son ampleur chez l’homme. Nous la retrouverons quand il s’agira de l’exposé sur le corps dans le New-Age.

Ces mouvements antéro-postérieurs et latéraux ne peuvent s’effectuer sans la dimension verticale, l’oscillation avant arrière ou droite gauche, ne peut se produire sans passer par un haut et un bas.

La combinaison de ces trois mouvements, Jousse l’appellera le bercement. Ce bercement est le support de nos mémoires, mémoire embryonnaire, mémoire dans le développement psycho corporel, mémoire phylogénétique[1], mémoire ontogénétique[2], mémoire culturelle, mémoire personnelle. Les peuples de l’oralité ont transmis leur culture et leur histoire en se balançant. Cette mémoire s’inscrit dans l’épaisseur de notre corporalité. Elle va de la scansion des Grecs aux mélopées des griots africains… Aujourd’hui nous retrouvons ce balancement dans le rap et dans le slam, culture de l’oralité qui émerge en dehors de toute scolarisation, car elle retrouve ce sens du rythme et du mouvement inhérent à nos structures corporelles.

(L’oubli de cette dimension corporelle et mémorielle est particulièrement préjudiciable, dans les catéchèses proposées, depuis des années dans l’Église catholique. Des générations entières n’ont rien retenu ou si peu et de l’Évangile, des prières et de l’enseignement de l’Église.)

Anthropologie biblique

Ce n’est pas en apesanteur de ces réalités anthropologiques que s’inscrit, la Révélation biblique. La Révélation, et son accomplissement dans l’Incarnation de Jésus donnent le sens, le principe et la finalité de cette dimension physique, corporelle et ouvre à la métaphysique.

L’héritage de la philosophie grecque, surtout platonicienne, considère qu’il a une opposition entre d’une part le corps et la matière et d’autre part l’âme et l’esprit, le corps mortel et l’âme immortelle, le terrestre et le céleste, l’humain et le divin. Pour Platon, Sôma, séma, le corps est un tombeau dont l’âme prisonnière doit se libérer.

Cette dichotomie n’est pas biblique, où l’unité du composé humain est évidente. Ainsi la néphèsh, qui dans un sens premier veut dire la gorge, est le lieu du passage du souffle, de la nourriture et de la parole, elle signifie la personne vivante, son être, sa conscience. « Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7). Être vivant ou néphèsh gorge vivante.

Bâsâr, la chair, le corps n’est pas séparé de la néphèsh, il en est sa manifestation concrète. Ainsi l’homme n’a pas un corps, il est un corps, il est bâsâr.

Ruâh est le même mot qui désigne le souffle et le vent. Cette Ruâh traverse la Bible. C’est elle qui plane sur les eaux primordiales de la Genèse : « La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. » (Gn 1, 2).

Il est intéressant de noter que le verbe de planer, utiliser ici, vient de l’hébreu « rah’ef et signifie en même temps couver, voler très près, voler en frôlant. Dieu protège Israël dans le désert comme, l’aigle couve ses oiseaux. [3] »

« Tel un aigle qui éveille sa nichée et plane au-dessus de ses petits, il déploie son envergure, il le prend, il le porte sur ses ailes. » (Dt 32, 11).

Le diaphragme ou centre phrénique, avec ses deux hémi coupoles qui s’abaissent lors de l’inspiration et qui se lèvent lors de l’expiration, est comparable aux ailes d’un oiseau qui vole. Et le bassin peut être comparé à un nid. La vie jaillit dans ce nid, protégée en bas par le sacrum et des ailes iliaques, et en haut par l’oscillation des deux ailes du diaphragme.

La vie jaillit au plus intime de notre chair, de la Genèse du monde à la conception de chaque être. Ce souffle est l’Esprit du Seigneur en Isaïe 11, 2 : « Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. » Cet Esprit soufflera sur les apôtres à la Pentecôte. Ce Souffle vient donc de Dieu et revient à Lui quand l’homme expire.

Dam, le sang est « l’âme de la chair » selon l’expression de la Genèse 9, 4. Le sang, c’est la vie et tout ce qui touche à la vie est en rapport avec Dieu, seul maître de la vie (Lv 17, 11-14).

Cœur-langue-mains

Ainsi une des clés de lecture de la Bible repose sur une observation tripartite du corps humain : le cœur, la langue et les mains qui représentent la pensée, la parole et l’action.

Le cœur, léb. Le cœur hébreu n’est pas seulement le siège de l’affectivité ou des émotions. Il désigne toute la personne, sa mémoire, son intelligence, sa volonté. La bible le mentionne plus de mille fois. Cela va du cœur ouvert, au cœur endurci. « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36, 26).

Le cœur siège de la conscience, est associé aux reins, kelayot, siège des passions, de ce qui est inconscient, des émotions pulsionnelles. « Seigneur de l’univers, toi qui juges avec justice, qui scrutes les reins et les cœurs… » (Jr 11, 20).

La langue, Iashon. Lieu de l’échange avec la nourriture que l’on ingère et de la parole que l’on profère.

Les mains, yadaïm. Il s’agit en hébreu des mains avec leurs dix doigts et les paumes, mais aussi des poignets et des bras. Les peuples du bassin méditerranéen s’expriment beaucoup avec les mains. Mettre les mains sur la bouche pour se taire, sur la tête en signe de deuil ou de douleur. Se donner la main en guise d’accord. Battre des mains pour exprimer sa joie ou inversement le dégoût ou le désaccord. La prière s’exprime en levant les mains vers le ciel, et l’on porte la main à sa bouche en signe d’adoration. Adorare, ad os : porter les mains à sa bouche. La bénédiction s’exerce en étendant les mains.

Associations Cœur-langue-mains avec yeux-oreilles-pieds

« Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons. » (1 Jn 1, 1).

Cœur-Yeux. Domaine de la pensée et du visible

« Voici mon secret, dit le Petit Prince de Saint-Exupéry, il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur ; l’essentiel est invisible pour les yeux. »

Ayin en hébreu, l’œil signifie aussi la source. Les larmes coulent des yeux comme l’eau coule de la source.

Ce sont les yeux qui expriment extérieurement les pensées du cœur. Le bon œil ou le mauvais œil sont très présents au Moyen-Orient.

Avoir les yeux ouverts signifie comprendre quelque chose de malsain selon l’invitation du serpent de la Genèse en Gn 3, 7 : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. » Avec l’ouverture des yeux, l’homme et la femme se voient dans la nudité de leur matière corporelle. Ils ne se voient plus dans le regard de Dieu, mais dans celui du serpent qui se limite à jouir de cette matière, sans aucune finalité, ni sens, ni transcendance.

Cham un des trois fils de Noé vit la nudité de son père. Ce désir de voir la nudité en dissociant le corps de l’esprit et de l’âme est un péché qui obscurcit le cœur et rend aveugle au discernement. Le père ici, l’homme, la femme, sont réduits à la nudité de leur corporalité. L’autre n’est vu qu’à travers la jouissance matérielle dont on veut profiter immédiatement.

A contrario, la formule « Lever les yeux » ou « lever le regard » est une conversion de ce regard de concupiscence, et traverse toute la Bible.

Quand Abraham prêt à sacrifier son fils Isaac va lever les yeux, il voit le bélier retenu par les cornes dans un buisson (Gn 22, 1-19). Cette attitude ouvre à une réalité non prévue, une méta réalité. Les femmes de l’Évangile de Marc, allant de grand matin, le premier jour de la semaine jusqu’au tombeau où elles voulaient embaumer le corps de Jésus, « Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande. » (Mc 16, 3-4).

Le Christ dans sa prière lève les yeux vers son Père pour l’implorer ou le bénir.

Les yeux trouvent leur guérison définitive avec l’aveugle Bartimée, qui signifie fils de la peur. Cette ultime guérison, la dernière des treize guérisons de l’Évangile de Marc conduit Bartimée à la guérison totale : il suit Jésus sur la route qui le conduit à Jérusalem, au chemin de la passion, c’est-à-dire à l’oblation de soi-même par amour.

Quand deux disciples au terme de la route parcourue de Jérusalem à Emmaüs reconnaissent Jésus ressuscité à la fraction du Pain, leur regard est ouvert par Celui qui est la Lumière du monde, le Christ ressuscité. Ils relisent alors le chemin parcouru tandis qu’ils l’écoutaient donner le sens des Écritures. Leur cœur était tout brûlant en eux quand il leur ouvrait les Écritures. Alors ils n’ont de cesse de vouloir le témoigner.

Jésus dans son premier enseignement dit : « la lampe du corps c’est l’œil, donc si ton œil est simple tout ton corps sera lumineux, mais si ton œil est ténèbres, alors quelles ténèbres ! » Le grec du texte de l’évangile selon saint Matthieu 6, 22-23 dit : œil simple et non pas œil sain comme cela est parfois traduit. Simple en grec se dit aplous c’est-à-dire a privatif plous pli sans pli, sans faux plis, c’est-à-dire transparent, limpide, sans complication, sans duplicité, sans complicité. C’est l’attribut que donne saint Thomas d’Aquin à Dieu, il est simple. Le mauvais œil quant à lui n’a pas cette transparence, il est plein de mauvais plis qui le rendent ténébreux.

Léb, le cœur peut s’apparenter également au noùs grec, l’esprit ou œil du cœur, c’est-à-dire à un vrai et juste discernement.

Ainsi l’épître aux Éphésiens (Ep 1, 18) offre cette belle expression : « Que le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ illumine les yeux de votre noùs, (de votre cœur). » Également, dans la lettre aux Romains (Rm 12, 2) : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous par le renouvellement de votre noùs, (de votre façon de penser) pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. »

Langue-Oreilles. Domaine de la parole et de l’audible.

Nous avons une langue et deux oreilles, en conséquence les rabbins enseignent qu’il convient de parler deux fois moins que l’on écoute. L’oreille symbolise la compréhension et le discernement. Il est à noter que le verbe latin audire ouïr, entendre avec la préposition ob, sous, donne ob-audire obéir[4], c’est-à-dire sous l’écoute, selon la parole, sous le contrôle d’une parole vraie, fiable, juste et bonne. Obéir à une telle parole libère guérit, c’est la finalité même de la Parole de Dieu, dans la Bible.

Écouter, shama.

Il est étonnant de constater que dans la tradition biblique, il y a une priorité de l’ouïe sur la vue. Écouter nécessite du temps pour que la parole ou la musique s’exprime, L’image peut être instantanée, comme pour la photo ou le tableau. Il ne peut y avoir un arrêt sur son comme un arrêt sur image. La vue est liée à l’espace. Il y a donc priorité du temps sur l’espace. L’espace comme la nature est du domaine de la vue. Alors que le temps, la durée et par conséquent l’histoire sont du domaine de l’ouïe. Si l’histoire a un sens, une signification, il importe que nous l’écoutions, que nous lui soyons obéissants pour mieux orienter ce qu’il convient de faire.

Toute la pédagogie d’Israël commence par l’écoute. Schma Israël. « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. Tu les rediras à tes fils, tu les répéteras sans cesse, à la maison ou en voyage, que tu sois couché ou que tu sois levé ; tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison et aux portes de ta ville. » (Dt 6, 4-9). C’est la prière d’Israël que les juifs pratiquants récitent trois fois par jour.

Naassé Venichma.

Le livre de l’Exode exprime la pédagogie de Dieu à Israël qui a bien compris quand le peuple répond : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons et nous écouterons. » (Ex 24, 7).

Le verbe obéirons, employé ici, est également de la même racine que schama, écouter. Il s’agit d’accomplir, de mettre en pratique en toute confiance et en premier lieu, pour mieux écouter, mieux entendre, mieux comprendre la Parole de Dieu. Nous sommes à l’opposé des pédagogies actuelles et des techniques de développement personnel où il faut expérimenter par soi-même et certainement non pas obéir à une parole. La confiance en une Parole qui dit vrai juste et bon, la Parole de Dieu ne se discute pas, elle nous éprouve afin que nous en apercevions un peu de la profondeur largeur et hauteur. En Ep 3, 17-19 : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; restez enracinés dans l’amour, établis dans l’amour. Ainsi vous serez capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… Vous connaîtrez ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. Alors vous serez comblés jusqu’à entrer dans toute la plénitude de Dieu. »

Rapport entre Foi et écoute.

« Or la Foi naît de ce que l’on entend ; et ce que l’on entend, c’est la parole du Christ. » (Rm 10, 17). Comme l’apprentissage de la langue maternelle permet de distinguer, de nommer ce qui était flou et confus, l’écoute de la Parole de Dieu donne à voir à discerner ce qui était invisible auparavant. La Foi à pour origine fides en latin, de même que fidélité, fiabilité, confiance. Ainsi, loin de toute subjectivité, la Foi est stable, point d’appui sur lequel nous pouvons fonder et bâtir notre vie.

Luc nous relate l’importance de l’écoute, sans doute d’après le témoignage direct de la Vierge Marie, de la rencontre avec sa cousine Élisabeth.

« Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » (Lc 1, 41-45).

Le premier des disciples s’appelle Shimon de la racine schama, celui qui écoute. Il deviendra Pierre. Ce qui donne une signification très particulière à la conclusion de la première catéchèse de Jésus sur la montagne des chapitres 5, 6 et 7 de Matthieu : « Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur la pierre. (Mt 7, 24-25).

La première lettre de Pierre donnera une signification plénière et finale à cette pierre : « Approchez-vous de lui : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. » (1 P 1, 4-5).

« En obéissant à la vérité, vous avez purifié vos âmes pour vous aimer sincèrement comme des frères ; aussi, d’un cœur pur, aimez-vous intensément les uns les autres, car Dieu vous a fait renaître, non pas d’une semence périssable, mais d’une semence impérissable : sa parole vivante qui demeure. » (1 P 1, 22-23)

« Celui qui a des oreilles pour entendre qu’il entende. » (Mc 4, 9.23 ; Mt 11, 15 ; Lc 8, 8). Et dans l’apocalypse : « Celui qui a des oreilles qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. » (Ap 2, 7. 11. 17. 29).

Le psaume 39, 7-8 : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens ».  Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles… »

Tu as ouvert mes oreilles, ou plus littéralement tu m’as creusé les oreilles, devient singulièrement tu m’as formé un corps, dans la lettre aux Hébreux 10, 5-7 : « Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché, alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. »

La Vierge Marie, venant d’accoucher, sur le tympan de l’entrée droite de la cathédrale de Chartres, est représentée allongée avec une main tendant l’oreille. La Foi vient de l’écoute et l’incarnation du Verbe qui se fait chair est liée à l’écoute de la Vierge Marie et à son oui à l’annonce de l’ange Gabriel.

Voyez ce que vous entendez

Il est une expression singulière dans l’Exode : « Tout le peuple voyait les voix. » (Ex 20, 18). Le peuple hébreu, en recevant les Tables de la Loi, au pied du mont Sinaï, voyait les voix. Voir la Parole est une expérience étonnante que nous retrouvons dans l’Évangile de Marc si nous traduisons mot à mot du grec. « Voyez ce que vous entendez. » (Mc 4, 24).

Existe-t-il une telle adéquation entre ce qui dit et ce qui est vu ? Ou plutôt ce qui est dit donne-t-il une nouvelle vision de la réalité ? Ce regard de Foi naît de l’Écoute et permet de Voir ce que nous entendons. N’est-ce pas l’expérience même des disciples d’Emmaüs ?

Nous retrouverons une forme altérée et toxique, du mélange vue et audition, dans certaines expériences psychocorporelles du New-Age.

Mains-Pieds. Domaine de l’action et du tangible.

Dieu se révèle à Moïse au buisson ardent. « Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage, car il craignait de porter son regard sur Dieu. » (Ex 3, 1-6).

Pour se mettre en présence de Dieu et écouter sa Parole, Moïse doit retirer les sandales de ses pieds. En ôtant ses chaussures, il devient vulnérable, incapable de toute action, il demeure présent à ce qui advient, sans fuite possible. Retirer ses chaussures, c’est également entrer dans une intimité, on retire ses chaussures dans sa chambre. En ôtant ses chaussures Moïse entre dans un cœur à cœur avec Celui qui est.

L’annonce de la paix et du salut, dans l’Ancien Testament, se réalise grâce à l’action des pieds en marche. L’anthropologie biblique est très concrète et il est dommage que l’actuelle traduction liturgique de la Bible traduise pieds par pas.

« Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pieds du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » (Is 52, 7).

Saint Paul reprendra la même expression pour l’Annonce de la Bonne Nouvelle. « Il est écrit : comme ils sont beaux, les pieds des messagers qui annoncent les bonnes nouvelles ! » (Rm 10, 14).

Jean-Baptiste va encore plus loin : « je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. » (Mc 1, 7). Non seulement il ne se dit pas digne de laver les pieds du maître comme l’esclave ou le serviteur le faisait, mais de plus Jean-Baptiste ne s’estime pas digne de délier la courroie des sandales des pieds de Jésus. Il ne se sent pas digne d’arrêter Celui qui marche. Celui qui est et annonce le Salut et la Paix.

Marie de Béthanie, elle, osera oindre les pieds de Jésus, avec un parfum de nard pur, de grand prix (Jn 12, 3).

Jésus lavera lui-même les pieds de ses disciples au moment de la dernière Cène, juste avant sa Passion.

« Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix. »

C’est dire l’importance de ceux qui se mettent en route, en marche pour proclamer l’Heureuse Annonce. En marche en route c’est ainsi que l’on peut traduire, le mot hébreu ashrey. Ashrey pourrait également dériver de la racine yasha être droit, être juste. Ce même mot est employé par Jésus dans les Béatitudes. Le bonheur dans l’anthropologie biblique est mouvement orienté vers la vie, il est aussi action, action droite et juste, l’objectif est clair.

Hatta’t, le verbe Hata’veut dire louper la cible, viser à côté du but. C’est un geste qui n’atteint pas son but, une attitude maladroite qui est à la base de ce mot traduit par péché. Le but de la vie est d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces et d’aimer son prochain comme soi-même. Eh bien pécher, c’est louper cette cible, c’est être infidèle à l’Alliance de Dieu et trahir l’Amour. Quant à Satan, c’est celui qui fait obstacle, écran, et obscurcit le chemin.

Les psaumes

L’Église catholique depuis son origine et à la suite du Christ rythme sa prière tout au long des jours avec les 150 psaumes de l’Ancien Testament. Il est intéressant d’en chercher l’étymologie. Psaume vient de la racine d’un verbe grec psallô qui signifie : faire vibrer la corde d’un instrument. Vibration de tout l’être tourné vers son Dieu, nous y reviendrons dans le geste de l’inclination profonde fait plus de cent fois par jour dans les traditions monastiques.

Le psaume invitatoire à la prière des laudes exhorte à cette attitude : « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, à genoux devant le Seigneur qui nous a fait. » (Ps 94, 6).

À genoux a été traduit par adorons dans la traduction de la bible liturgique. Ce qui est dommage quant à la prise en compte de cette attitude corporelle qui dit l’intention du cœur et du corps. Car Berakah employé dans la Bible, désigne étymologiquement l’articulation, spécialement du genou. Elle évoque aussi les organes de la génération qui ont un caractère sacré : on jure en les touchant.[5]

La racine Berakah se trouve par exemple, dans le psaume 102, versets 1 et 2, traduite cette fois par bénis. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô, mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! »

« Devant moi, tout genou fléchira. » (Is 45, 23). Comment se fait-il que genou veuille également dire bénédiction ?

Le même mot se retrouve en arabe et est passé dans le français courant ; baraka, avoir la baraka : « faveur divine qui donne la chance[6] » Le chameau baraque, s’agenouille pour déposer ses charges et en recevoir d’autres. S’agenouiller est un geste qui exprime la disposition de se mettre au service. Obrigado en portugais et en vieux français je suis votre obligé. C’est précisément cette attitude de disponibilité, de se mettre à la disposition de faire la volonté de Dieu qui attire sa bénédiction. La bénédiction s’exprime alors par la fécondité et la croissance dans la vie et les actions de celui qui agit pense et dit selon la volonté de Dieu. « Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn, 1, 28).

Prier de tout son être

Mt 7,7 : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. »

Nous retrouvons la tripartie de l’être humain, la bouche pour demander, le cœur pour chercher et les mains pour frapper à la porte.

Lc 11, 9-10 : Moi, je vous dis : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. »

Pour cela, il est nécessaire d’opérer des choix pour purifier l’intention, l’orientation et l’acte.

« Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. » (Mc 9, 42-48).

Marc commence par la main, c’est-à-dire la réalisation de péché qu’il faut trancher, puis le pied qui conduit au péché, et finalement l’œil qui est la source de la convoitise. C’est une pédagogie et une progression ô combien réaliste, dans l’analyse objective du scénario qui conduit à louper la cible : aimer et être aimé !

Selon une prière de la liturgie mozarabe :

« Mets dans nos cœurs des désirs que tu puisses combler. Mets sur nos lèvres des prières que tu puisses exaucer. Mets dans nos œuvres des actes que tu puisses bénir ».

 L’Annonce de l’Évangile, cœur-langue-mains

Le kérygme ou kêrygma est la proclamation de Jésus-Christ mort et ressuscité. Il est donc de l’ordre de la bouche et des oreilles. Dans la Trinité, la Parole de Dieu, c’est le Fils.

La communion ou koinônia procède du partage de la mise en commun et de la participation. Elle est donc de l’ordre de l’union des cœurs. Le cœur de Dieu, c’est le Père

La diaconie ou diakonia est le service, la mise en pratique qui relève donc des mains des pieds. La main de Dieu, c’est l’Esprit.

Paul Claudel a magnifiquement souligné cette tripartie de l’être, la vue associée au cœur, la langue associée à l’ouïe, les mains associées à l’action : « La vue est l’organe de l’appropriation active, de la conquête intellectuelle… L’ouïe est celui de la réceptivité… L’œil et l’oreille sont les organes de l’intelligence, mais c’est par le toucher que nous parvenons à l’étreinte, qui est compréhension[7]. » P. Claudel dans L’œil écoute.

Ani. Le mot ani provient de la racine anah être courbé penché et par extension, abaissé, accablé, humilié. Il est donc lié à l’origine à une attitude corporelle. La Bible accorde une importance particulière à ces personnes, que sont les pauvres ou les humbles, courbées par le poids de ce qu’elles vivent.

« Dieu se lève pour juger, pour sauver tous les humbles de la terre. » (Ps 75, 10).

L’enseignement intime de Jésus se fait à Béthanie, dont le nom veut précisément dire, maison du courbé, de l’humble, du pauvre.

Les humbles ou les pauvres de cœur sont une option préférentielle pour le Royaume de Dieu. « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5, 3).

L’humilité est un des deux attributs du cœur de Jésus avec sa douceur.

« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » (Mt 11, 28-30).

L’humilité du cœur Jésus nous ouvre au Royaume de Dieu et sa douceur nous permet d’entrer dans la terre promise.

« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux… Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. » (Mt 5, 3 et 5).

La prière par excellence que Jésus enseigne à ses disciples le Notre Père contient cette demande à Dieu « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »

Incarnation qui invite tout l’être à entrer dans une dimension nouvelle : la vie théologale.

Hén, le sens premier de cette racine est physique, c’est se pencher, se pencher avec grâce dans un geste pur simple et beau. Ainsi le prénom Jean, Yohan, peut se traduire par Dieu se penche ou Dieu fait grâce et celui d’Anne signifie grâce. Dans le Magnificat Dieu se penche sur son humble servante. Le lieu de la rencontre est quand Dieu se penche et fait grâce et que l’homme est penché dans l’humilité.

Hén va de pair avec rahamim, la miséricorde. Il s’agit là aussi d’une racine qui a pour sens premier, les entrailles de la femme, le lieu de la gestation. La miséricorde de Dieu son pardon est une matrice qui donne vie à l’homme nouveau. Ainsi Nicodème, riche de toute la connaissance d’Israël demande à Jésus : « peut-on entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère et renaître ? » Et Jésus lui répond : « Personne, à moins de naître de l’eau et de l’esprit ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » Seule la miséricorde de Dieu peut engendrer cette nouvelle naissance.

Hén et rahamim, grâce et miséricorde sont à la base des deux attributs de l’Alliance de Dieu avec les hommes dans l’Ancien Testament. Cette charte de l’Alliance se situe dans le livre de l’Exode 34, 6 : « Yahvé, Yahvé, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Cette Alliance trouve son accomplissement dans l’incarnation. Jésus est le fruit des entrailles de la Vierge Marie. Dieu choisit pour incarner sa miséricorde, le sein de la Vierge Marie.

Shalom, la Paix. La racine shalem signifie être parfait, complet, solide, et par extension, en bonne santé. Mais elle a aussi un autre sens : payer, acquitter ses dettes. En fait shalem correspond davantage à la notion de justice plus qu’à celle de paix.

Amen. En hébreu la racine est riche de signification, c’est s’appuyer sur quelque chose de solide. Être en sécurité, en sûreté. Faire confiance. Être fidèle. Confirmer que c’est vrai, fiable, droit. Prendre un engagement.

Ce n’est pas seulement affirmer que c’est la vérité et y adhérer, c’est aussi prendre l’engagement d’agir selon cette vérité.

Amen est optatif : qu’il en soit ainsi, et déclaratif : il en est ainsi.

Saint Augustin précisait dans son sermon contre les pélagiens : « Amen est votre assentiment, votre consentement, votre approbation. »

« Ainsi parle l’Amen, le Témoin fidèle et vrai, le Principe des œuvres de Dieu. » (Ap 3, 14).

« A Lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen. » (2 Tm 4, 1)

Pour un discernement

Pour rendre le message de la Révélation plus audible, théologiens et responsables pastoraux contemporains, dans un souci de bienveillance et de dialogue, certes louable, peuvent « pasteuriser » ce message, à tel point qu’il ne soit plus une pierre d’achoppement. Or c’est la vérité qui nous rend libres. Bien sûr nous ne sommes pas la Vérité et ne pouvons pas la détenir tout entière, mais nous croyons en Celui qui a dit : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » (Jn 14, 6-7). Nous croyons également au dépôt de la Foi dans la tradition apostolique. C’est-à-dire, nous croyons à la justesse de la lecture et des commentaires des Écritures Saintes par les Pères de l’Église et à leur suite, à l’interprétation magistérielle de ces Écritures et de cette tradition.

Or il ne faut en aucun cas pervertir le sens de l’Écriture suivant une interprétation qui semble pertinente, mais qui en édulcorerait les promesses de vie qui en sourd, grâce au Souffle Saint. Voici ce que disait saint Irénée que nous retrouverons dans le prochain exposé. « Enflés d’une Gnose (connaissance) au nom usurpé, ils admettent volontiers les Écritures, mais ils en pervertissent l’interprétation. »[8]

Ou bien encore : « […] C’est en transposant et en transformant les paroles du Seigneur et en les faisant passer d’un sens à un autre qu’ils séduisent beaucoup d’adeptes par leurs fantasmagories cohérentes. »[9]

Et Justin, le saint patron des philosophes, appuyait sa pensée sur une connaissance sensible, plus que sur des spéculations : « Car, pour ce qui n’est pas compris que d’une façon spéculative, le critère de vérité reste notre connaissance sensible et en dehors de ce critère, il n’en existe pas d’autre. »[10]

C’est ainsi que saint Justin parlant des prophètes écrivaient : « […] remplis de l’Esprit-Saint, ils ne disaient que ce qu’ils avaient « vu et entendu » […] Ce n’est pas sous une forme de démonstrations abstraites qu’ils ont parlé : au-dessus de toute démonstration, ils étaient les témoins fidèles de la vérité. »[11]

Ainsi pour mieux distinguer et discerner, il s’agit de nous décentrer, car la pensée biblique n’est pas à concevoir du point de vue de l’homme, mais du point de vue de Dieu. La Révélation biblique est théocentrique. Cependant elle est profondément existentielle. La Révélation a pour objectif permanent de faire prendre conscience aux hommes des rapports existentiels et vitaux entre les quatre relations détruites ou perturbées par le péché : relation à Dieu, à soi-même, aux autres et à la nature.

L’anthropologie biblique est toujours concrète, incarnée. La description du monde visible comme invisible est souvent relative à notre expérience corporelle. Sa perspective est communautaire, même si elle peut s’inscrire dans des histoires singulières.

Elle est dynamique et linéaire elle a une origine, une trajectoire et une finalité. Chaque histoire s’inscrit dans cette dynamique. L’homme création ex nihilo, ne trouve sa promotion, sa vocation et son parachèvement qu’en étant orienté vers sa plénitude en Dieu.

À la suite de la théologie des Pères de l’Église, elle est typologique. Tout est contenu dans le commencement comme le chêne est contenu dans le gland. Chaque étape déploie en l’explicitant les figures ou les types précédents. Les promesses de la Révélation s’accomplissent et trouvent leur plénitude en Jésus-Christ.

Bertran Chaudet

Bibliographie

L’œuvre intégrale de Marcel Jousse.

Dom Pierre Miquel, Les Mots clés de la Bible. Les classiques bibliques, Beauchêne Paris 1996.

Eisenberg et A. Abécassis. À Bible ouverte, t. I, II, III, IV. Collection Présence du judaïsme, Albin Michel.

Cahiers Évangile. Cœur, langue, mains dans la Bible, CE n° 46. Petit dictionnaire des Psaumes, CE n° 71. 50 mots de la Bible, CE n° 123.

Père H. Lassiat. L’actualité de la catéchèse apostolique. Ed Présence. 1979.

Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire du Nouveau Testament. Livre de vie, Éd du Seuil, 1996.

Dhorme, L’emploi métaphorique des noms des parties du corps en hébreu et en akkadien, Geusthner, 1966.

Bernard Frinking, La Parle est tout près de toi. Paris-Bayard Éd Centurion, 1996.

Pierre Schaeffer, La Parole notre amie. Christ source de vie n° 259, 1984.

Marie-Hélène Dechalotte, L’homme de Bethsaïde. Éd Médiaspaul, 2017.

Notes

[1] La phylogenèse est l’histoire évolutive à travers les générations d’une espèce ou d’un groupe d’espèces apparentées.

[2] L’ontogenèse regroupe les processus qui concourent au développement d’un individu dès sa conception.

Selon le zoologiste allemand, Ernst Heinrich Haeckel (1834-1919), le développement embryonnaire (l’ontogenèse) reproduit fidèlement les étapes traversées au cours de l’évolution de l’espèce (phylogenèse).

[3] J.Eisenberg et A Abécassis. À Bible ouverte, t. I, p. 51-52. Collection Présence du judaïsme, Albin Michel. 1991

[4] En grec : akouô avec hypo, donne hypakouô : obéir

[5] Dom Pierre Miquel, o.s.b. Les Mots clés de la Bible. Les classiques bibliques, Beauchêne Paris 1996.

[6] Définition du Petit Dictionnaire Larousse.

[7] P.Claudel, L’œil écoute, Gallimard 1946, p.34 et 92.

[8] Saint Irénée. Contre les hérésies. Dénonciation d’une gnose au nom menteur. III, 12, 12. p. 330-331. Ed du Cerf. 1985

[9] Ibid. p. 54. I, 8, 1.

[10] Justin, Fragment 1, Éd. Albert Hamann, 1958.

[11] Justin, Dial. 7/1-2, Éd. Albert Hamann, 1958.

2 réflexions sur « L’homme et son corps dans la révélation biblique »

Laisser un commentaire