Sophrologie, éléments de discernement

Kinésithérapeute de profession, je me suis très tôt intéressé à toutes les méthodes de prise de conscience corporelle et techniques de relaxation, les enseignant dans le cadre de la formation professionnelle des infirmières en psychiatrie, ou dans le cadre d’un diplôme universitaire de formateur d’adultes ou DUFA. Il est important d’envisager une distanciation critique quant aux limites de ces techniques dans certaines pathologies psychiatriques, mais aussi sur les sujets sains quant aux effets d’emprise, de manipulation et de dérives. C’est ainsi qu’infirmières ou étudiants avaient des critères de discernement objectif pour évaluer différentes méthodes de relaxation ou de prise de conscience corporelle adaptables à leurs pratiques. Le discernement est primordial, tant sur le plan de la raison que sur le plan de la Foi si nous sommes chrétiens. Ce discernement consiste à vérifier avec attention l’anthropologie qui sous-tend ces méthodes et techniques. Car aucune technique, aucune méthode dans ce domaine ne sont neutres. Dès que l’on touche à l’homme, la subjectivité du ressenti peut dominer l’objectivité.

Un des best-sellers de Laurent Gounelle, « L’homme qui voulait être heureux », a pour sous-titre : « ce que l’on croit peut devenir réalité ». Gounelle a du succès, car il s’inscrit dans ce courant New Âge ou post New Âge, où l’on pense pouvoir acquérir la sagesse, l’illumination, la connaissance en se laissant conduire tant par son intuition, et que par une domination de ses propres pensées. Ainsi nous n’avons pas à nous convertir au réel selon la pensée de Bossuet qui disait : « Les événements sont nos maîtres », mais nous pourrions infléchir le réel par nos propres croyances. Ceci n’est ni plus ni moins qu’une exaltation moderne de la pensée magique. L’homme devient en lui-même et par lui-même son propre créateur et sauveur.

Et c’est précisément ce à quoi nous entraîne la sophrologie. La sophrologie pénètre, le monde de l’entreprise, du commerce, de l’enseignement, du sport, du monde médical et paramédical…

Il est curieux de constater, que dans nombre de collèges ou de lycées d’enseignement privé se recommandant de l’Église catholique, la sophrologie soit proposée aux élèves. La sophrologie y est présentée comme une méthode permettant de diminuer le stress au moment des examens, d’améliorer les performances d’apprentissage, de perfectionner concentration et clarté de pensée… Combien de fois ai-je été témoin de l’agressivité de sophrologues et de leurs adeptes, quand je leur proposais de discuter sur le fondement de leurs pratiques. Il n’existe aucune étude épistémologique sur la sophrologie réalisée par des personnes qui ne soient pas sophrologues, c’est-à-dire qui ne soient pas juges et parties.

Origine de la sophrologie

C’est un psychiatre, le docteur Caycedo qui est à l’origine de la sophrologie. Né en 1932, originaire de Bogota en Colombie, Caycedo fit des études de neuropsychiatrie en Espagne. Caycedo s’était également intéressé aux états modifiés de conscience dans les transes médiumniques. Il s’initia à l’hypnose[1], fondant même une société d’hypnose clinique et expérimentale à Madrid en 1959. Il se maria à Genève en 1963, à une fervente adepte du yoga. Caycedo passa deux ans en Orient où il reçut l’enseignement, prétendit-il, des plus grands rajas yogis hindous, des yogis tibétains, puis des maîtres zen japonais. Ainsi fut-il initié aux techniques de maîtrise et de modification de conscience. Il décrivit ces recherches dans deux livres qui seront fondateurs de la sophrologie : « La hindia de los Yogis et Letters of silence ». C’est alors qu’il nomma sa méthode : « relaxation dynamique ».

Ce voyage initiatique en Inde et au Japon sera déterminant dans l’élaboration des trois premiers degrés de la sophrologie[2].

Caycedo a créé en 1960 ce néologisme, sophrologie. Sophrologie est composé du grec « sophron » : sain d’esprit, sensé et de « phren » esprit, conscience, et « logos » étude, discours, traité, savoir ou science. Il dit avoir trouvé la racine de ce mot dans Platon qui nomme « sophrosunè » cet état de calme, et de concentration suprême de l’esprit, produit par de belles paroles (charmides, 157 B.).

La devise des praticiens est : « Ut conscienta noscatur. » « Afin que la conscience soit connue ! » Caycedo a sa propre définition de la conscience, elle correspond selon lui à : « la force d’intégration de tous les éléments et structures physiques et psychiques de l’existence. » Cette définition n’a donc rien de scientifique, ni de moral, ni de philosophique, ni de spirituel au sens chrétien du terme.

La sophrologie se veut une science qui étudie la conscience, une philosophie pour mieux vivre en harmonie, une thérapie, une connaissance plus large et plus ouverte du monde qui s’accompagne d’une expérience. Ce n’est donc pas une simple méthode de relaxation. La sophrologie est une vision sur l’homme, son objectif est de « se rapprocher de ses valeurs de vie, de tout ce qui est fondamental pour soi, de ce qui donne sens à son existence[3] »

Dans les années 1970, la sophrologie se développa partout. Le premier congrès mondial en 1970 réunit à Barcelone 1400 spécialistes venus de 42 pays différents. En décembre 1971, le Centre de sophrologie de Paris fut créé. À cette époque, la sophrologie se définissait comme étant un « yoga occidental ».

En 1977, le 25 août, Caycedo prononça la Déclaration de Recife, ou « Déclaration des valeurs de l’homme ». Caycedo présenta la sophrologie comme étant fondatrice d’une conscience nouvelle, salvatrice de l’humanité, mobilisatrice et révélatrice des ressources cachées de l’homme.

« Cette déclaration servira à la fois de base et d’orientation pour le futur de notre école et, aussi, de principe pour l’acquisition d’une conscience nouvelle, seule solution permettant d’affronter la maladie des masses dont souffre l’humanité…

La sophrologie se définit comme une fondation à caractère international, apolitique et aconfessionnel, fondation que j’ai créée pour tenter de sauver les valeurs de l’homme face à la crise de la civilisation contemporaine…

Devant le phénomène de masse irréversible et dont le développement est inéluctable, l’unique solution réside dans la mobilisation des réserves génétiques conservées dans les structures biologiques de l’homme. La science a démontré le potentiel énorme et la capacité qu’a l’homme de donner naissance à des structures nouvelles, dans lesquelles existait la possibilité de s’adapter à des circonstances inconnues.

La sophrologie a créé des techniques capables de mobiliser de telles réserves… »

Nous avons là les ingrédients nécessaires et suffisants pour une emprise totalitaire, pour une mise sous dépendance ouverte à toutes les dérives possibles. Cette mégalomanie, cette volonté d’hégémonie sur la conscience même de l’homme sont le propre des gourous ou des dictateurs.

Principes de la sophrologie

La sophrologie se veut neutre, sans adhésion à une religion, mais de fait, elle puise dans des anthropologies religieuses orientales. Presque toujours, ceux qui pratiquent la sophrologie disent se sentir bien ou mieux après une séance. Mais nous devons nous interroger sur ces perceptions du corps, et ces inductions produites mentalement. Ne sont-elles pas sous-tendues par des croyances sur le sens de l’homme et du monde qui posent alors des questions d’ordre moral et métaphysique jamais abordées ?

Dans le premier niveau de la sophrologie, Caycedo s’inspire de la pensée du yoga hindou ; dans le deuxième, les techniques bouddhistes proprement dites ; dans le troisième, enfin, celles du zen japonais. « Il n’y a pas de yogas sans gourou » postule Caycedo lui-même. Nous sommes prévenus, nous entrons là dans une initiation qui nécessite un guide qui a parcouru lui-même ce chemin initiatique, s’inscrivant dans un regard et une relation particulière à soi, aux autres, au monde et à sa finalité.

La sophrologie, dans le degré I, peut être comparée à d’autres méthodes de prise de conscience corporelle. En cela elle peut être bénéfique, aidant à mieux connaître son corps et à se détendre. Mais très vite et dès ce niveau, il est envisagé des exercices de mentalisation, qui s’éloignent de la simple prise de conscience corporelle. En effet il est proposé de voir son corps de l’extérieur, ou d’induire certains climats intérieurs par des exercices de visualisation. Nous nous éloignons insensiblement du « hic et nunc », ici et maintenant de la tradition chrétienne qui nous ramène toujours au réel de l’incarnation.

Le degré II. Pour Caycedo, c’est la répétition des sensations qui crée le sentiment. Ainsi le sentiment est traité à la manière d’un conditionnement réflexe. Nous retrouvons cela dans la PNL ou programmation neurolinguistique. Ainsi l’on peut à force de répétition programmer ses émotions et ses sentiments pour en demeurer maître en toutes situations et circonstances. La première phase consiste en une série d’exercices de prise de conscience corporelle, avec des mouvements associés à une respiration synchronique, suivie d’un voyage hors du corps. Il s’agit de visualiser et contempler son corps comme si nous étions extérieurs à lui. Puis il faut explorer l’espace, le cosmos, en découvrant le monde avec un regard nouveau. « On fait ainsi l’expérience que notre conscience est illimitée puisqu’elle à la faculté de s’extérioriser. [4] »

Ce degré II se termine par l’émission d’un souhait positif. « La respiration est associée à une pensée positive qui concerne directement le sujet (j’ai la paix), ou des êtres qui lui sont chers, ou encore qui concerne tout l’univers (puissent tous les êtres avoir la paix). [5] » Formulation d’une prière laïque, chère à la pensée positive que nous retrouvons également dans la méditation de pleine conscience[6]. À qui s’adresse cette prière, à soi ou au monde ou à une énergie indifférenciée ?

Le degré III est inspiré par une méditation zen qui permettrait de réaliser la fusion des contraires et des complémentaires vers l’essence de toute chose, et qui développerait la compréhension intuitive. Cette intuition serait l’accès à une conscience cosmique, paisible et harmonieuse, où tout est un, tout est dans tout. Il faut pour y arriver se débarrasser de la raison et d’une intelligence analytique, pour accéder à cette connaissance directe et immédiate. « Le moi est dilué, au profit d’un vécu immédiat, sans a priori ni perspective d’avenir, sans limitation spatio-temporelle. L’instant est perçu dans sa plénitude, dans un sentiment d’absolu, d’infini, d’éternité. État syncrétique, qui ne privilégie aucun pôle de la totalité « soi, autrui, cosmos », mais la conscience de leur liaison. Comment, pratiquement aborder cette dimension ? Tout d’abord en se concentrant sur le point hara (entre l’ombilic et le pubis), centre de soi, de l’équilibre, d’énergie où naît le mouvement respiratoire… Le point hara représente aussi le lieu de la jonction entre notre « être profond » et le monde extérieur. On commence donc par vivre intensément la zone du hara, autour de laquelle se fait progressivement le vide.[7] » C’est ce qui s’appelle chez nous, s’intéresser à son nombril…

Mais pour le sophrologue : « L’esprit ne poursuit aucune intention : les représentations (images mentales) n’apportent plus que ce qui est perçu de l’extérieur. La méditation tend à exclure de son esprit toute pensée de vouloir saisir… Le troisième degré engage en fait le sujet dans une dimension transcendantale, vers la saisie d’une conscience pure… [8] » Cependant Bernard Etchélécou, en psychologue clinicien, semble prendre de la distance en concluant : « Ce vécu méditatif, au-delà des mots, au-delà du sens, appelle cependant une interrogation de la part du psychologue : s’agit-il réellement d’accéder à un niveau supérieur de conscience, ou ce vécu symbiotique porte-t-il essentiellement la marque de la régression (vers une relation fusionnelle fœtale) ? [9] »

Le degré IV permettrait d’intégrer au quotidien moins de souffrance, plus de détachement et d’efficacité mentale et physique. Ce sont donc des perspectives qui se trouvent dans le bouddhisme ou le zen. Deux cycles composent ce degré IV que Caycedo ajouta à partir de 1990 :

Le cycle radical qui utilise l’énergie[10] en provoquant des vibrations sonores pour stimuler les centres d’énergie interne (frontal, thyroïde, thymus, ombilical et sous-ombilical) que l’Orient et les écoles ésotériques appel les chakras. Ces chakras seraient des portes d’entrée de l’énergie universelle dans notre corps. La Kundalini, énergie primordiale, pourrait pénétrer chacun de ces chakras et atteindre le septième chakra (sahashara chakra) au niveau de la tête pour permettre l’illumination. La mise en fonction de cette énergie induit des états médiumniques qui ouvrent à des pouvoirs occultes.

Le cycle existentiel. Nous y trouvons entre autres le sophro-déplacement du négatif (SDN) qui permettrait de se libérer de toutes les énergies négatives de nos vies (angoisses, stress, sentiments négatifs, répétitions de pensées négatives…) L’exercice proposé consiste à éliminer le négatif à chaque expiration, en suggérant que l’énergie positive terrestre ou céleste pénètre dans notre corps à chaque inspiration en y introduisant énergie, harmonie, paix.

Beaucoup de sophrologues ne suivent pas Caycedo dans ce cycle radical et existentiel, où il a rajouté douze degrés supplémentaires. Tous les aspects de la vie y sont modélisés selon ce qu’il convient de ressentir et de percevoir. L’adepte est en effet dépossédé de tout désir propre, de toute agressivité, colère ou appétence particulière pour ressentir comme il convient de ressentir selon la sophrologie. Nous sommes là dans une dérive où les désirs et les phantasmes de l’initié deviennent la norme et le but à atteindre par les adeptes.

Quelques éléments de discernement

Le risque est grand dans les approches holistiques comme la sophrologie, de confondre et de mélanger le physique, le psychologique et le spirituel. D’autant que dans l’état sophro liminal dans lequel se trouve le patient, le sophrologue peut avoir un effet intrusif ou inductif lié à ses propres pensées ou conviction. Ainsi certains patients n’hésitent pas à parler de viol psychique lié à une emprise consciente ou non du sophrologue qui peut durer des années.

Des inductions qui se veulent neutres le sont-elles réellement ? « Il y a quelque chose d’éternel dans votre ventre qui respire.[11] ». « Sentez cette énergie qui s’exprime par cette force intérieure. [12] » Quelle est la relation entre le ventre qui respire et l’éternité ? De quoi s’agit-il quand le sophrologue parle de force intérieure et d’énergie ?

Régression psychologique

Le patient se laisse aller aux suggestions du sophrologue, la douceur de sa voix, le climat apaisant de type fusionnel, lui rappelle la présence rassurante d’une mère. Henry Wallon a bien décrit cette étape de la personnalité de l’enfant à propos de la relation qui s’instaure entre la mère et l’enfant. « C’est la symbiose affective, après la symbiose organique de la période fœtale[13] » Certes nous gardons la nostalgie de cette relation sans conflit, sans préoccupation alimentaire ou d’habitat, de cette mémoire première qui nous ramène à cette douce vie intra-utérine. Mais y revenir par l’état sophronique créé par l’artifice d’exercices est une régression où toute fonction critique est abolie, toutes les fonctions intellectuelles sont en veilleuse ; alors l’imagination et la suggestion prennent l’apparence du réel.

Mélange psycho spirituel et pensée positive

D’une manière générale, on assimile facilement aujourd’hui l’affectivité et la spiritualité, le psychologique et le spirituel, l’émotionnel et le réel. Nous assistons par voie de conséquence au remplacement de la conscience morale par la conscience psychologique. L’abandon de la dimension rationnelle, morale, légale, institutionnelle, découle de cette idéologie voulant libérer sans limites ce que seraient toutes ses potentialités.

La sophrologie pose comme postulat : la pensée positive. Il est très en vogue de répéter ce slogan : « il faut positiver ». La pensée positive ne doit pas tenir compte de ce qui serait négatif. Il s’agit de ne voir que le bon côté des choses, jusqu’à abolir de notre esprit tout ce qui serait gênant, source d’inquiétude, d’angoisse, de culpabilité ou de remords. Cette pensée auto suggérée amène à décider seul de tout, oubliant les désirs ou la volonté de nos proches qui pourraient altérer cette vision des choses. Le monde est alors pensé selon nos désirs et non selon la réalité. Il s’agit de nous persuader que les moyens qui nous permettent de nous sentir mieux, sont la vérité. Ainsi dans cette logique si nous pensons positivement, nous ne rencontrons que de bonnes choses et ce que nous croyons devient la réalité, adage de Gounelle que nous avons vu en introduction. Cette pensée serait reliée à l’énergie de vie ou conscience cosmique qui commande et guide notre monde, cette âme du monde que l’on retrouve dans l’Alchimiste de Coehlo.

En étant relié à cette conscience nous devenons illimités, nous devenons comme dieu. « Ayez une foi inébranlable en vous-mêmes et en ce travail intérieur. [14] » Dans cette perspective, la seule limite que nous ayons proviendrait du manque de foi en notre propre potentiel infini. Cette divinisation de l’homme, par la propre force de son mental amène au déicide d’un Dieu qui serait autre que nous-mêmes. Cette auto déification cette auto glorification n’a plus besoin de recevoir quoi que ce soit de la grâce d’un Dieu Créateur et Sauveur. Ces perspectives sont celles de la promesse du serpent au livre de la Genèse, chapitre 3,5. « Vos yeux s’ouvriront, vous serez comme des dieux. »

Développer toutes nos capacités, toutes nos potentialités enfouies est la finalité de ce processus, jusqu’à l’effacement de la notion de bien et de mal. Il y a donc une anesthésie ou un endormissement de la conscience morale. Des exercices peuvent être proposés à des personnes vivant dans l’inquiétude ou la culpabilité. L’auto persuasion, proposée alors par la sophrologie pour gommer ou enfouir les sentiments « négatifs », peut apporter un soulagement apparent. Toute culpabilité peut être éradiquée. Or la tradition chrétienne enseigne que la culpabilité ou les remords peuvent ouvrir à la conscience et à la responsabilité morale, et permettre d’évaluer les conséquences de nos pensées de nos paroles et de nos actes, nous ouvrant ainsi à la réalité, et par conséquent à la liberté d’agir selon le bien et la vérité. En sophrologie, il n’est jamais question de réconciliation avec Dieu, avec soi-même, avec notre prochain à qui nous aurions pu librement porter préjudice. Il s’agit de se suffire à soi-même, de s’auto guérir plutôt que de se convertir.

Éléments de discernement spirituel

Le bonheur promis par la sophrologie n’est pas celui des Béatitudes.

Pour le sophrologue Abrézol, « Le bonheur est possible. Il dépend essentiellement de nous ; c’est en nous que nous devons le chercher. [15] »

Il s’agit de s’auto programmer dans cette recherche par des exercices répétés jusqu’à obtention du résultat voulu. Nous sommes loin du bonheur paradoxal promis par Jésus dans les Béatitudes. « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux. Heureux les doux, ils obtiendront la Terre Promise… Heureux ceux qui pleurent… Heureux ceux qui ont faim et soit de Justice… » (Mt 5, 3-12). Le Christ prévient que ceux qui veulent le suivre doivent prendre leur croix. C’est dans ce choix si exigeant, dépassant nos seules forces humaines, que Dieu donne sa Grâce et sa Paix. Et cette Grâce et cette Paix adviennent dans l’inattendu et la gratuité, suscitant dans le cœur du disciple du Christ, gratitude et louange de Dieu.

Dans le document du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux « Jésus-Christ, le porteur d’eau vive. Une réflexion chrétienne sur le Nouvel Âge », une analyse correspond bien à ce qui est proposé par certains sophrologues : « Les traditions Nouvel Âge brouillent consciemment, délibérément, la véracité des différences et des distinctions entre Créateur et créé, entre humanité et nature, entre religion et psychologie, entre réalités subjectives et objectives, dans l’intention apparemment louable de surmonter le scandale de la division. Cependant, pour le Nouvel Âge, il s’agit de la fusion systématique des éléments que la culture occidentale a toujours nettement distingués.

Ne serait-ce pas juste dans ce cas de parler de « confusion » ? La tradition chrétienne a toujours valorisé le rôle de la raison pour justifier la foi et pour comprendre Dieu, le monde et la personne humaine. Le nouvel âge est bien dans l’air du temps quand il rejette la raison accusée d’être froide, calculatrice et inhumaine. Mais s’il est utile d’insister sur la nécessité d’un bon équilibre entre toutes les facultés, la mise à l’écart d’une faculté essentielle à toute vie pleinement humaine n’est pas justifiée. La raison a l’avantage de l’universalité : elle est à la libre disposition de chacun, à la différence de la fascinante religiosité « mystique, ésotérique ou gnostique… Le défi est de montrer qu’une saine collaboration entre la foi et la raison peut améliorer la vie humaine et renforcer le respect pour la création.[16] »

L’Esprit

Pour le chrétien, la vie spirituelle est avant tout, relation : relation de personne à personne, relation avec Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Le chrétien qui confondrait les expériences psychocorporelles vécues en sophrologie avec la vie spirituelle se tromperait. En effet, il peut y avoir une confusion entre l’induction mentale et la maîtrise de la respiration qui entraînent certains effets psychocorporels, et l’accueil de l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint est Souffle-Saint, si l’on veut traduire au plus près de l’étymologie le latin spiritus, avec sa racine spirare qui a donné en français le mot respiration, inspiration, expiration. Le souffle (ou pneuma en grec, rouah en hébreu) se trouve présent dès les premiers versets de la Genèse, premier livre de la Bible. Ce souffle planait sur les eaux, avant même la création de l’homme. On retrouve rouah, le souffle, quelques versets plus loin quand Dieu crée l’homme à son image et à sa ressemblance et lui insuffle dans les narines une haleine de vie ; et l’homme devient ainsi un être vivant. Le Souffle traverse l’ensemble de la Bible, il inspirera les patriarches, les prophètes et tous les saints d’Israël. Il inspirera les apôtres le jour de la Pentecôte. Ce Souffle permet la relation entre l’homme et son Créateur. Mais ce Souffle-Saint ne se maîtrise pas, il s’accueille en toute gratuité dans l’inattendu de la vie. Dans l’évangile selon Saint Luc, Marie, couverte du Souffle-Saint, répond à l’ange qui la visite pour lui dire qu’elle serait la Mère du Sauveur : « Comment cela se fera-t-il ? » Elle dira à sa cousine Élisabeth dans son Magnificat : « Mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur » que nous pourrions traduire, au plus proche de l’araméen, selon Le Père Marcel Jousse, sj : « Mon souffle se rythme dans le Souffle de Dieu mon Sauveur. »

Ceux et celles qui découvrent la voie chrétienne se nourrissent d’une confiance de plus en plus absolue en Dieu, qui rejoint tous les hommes à travers le mystère de la croix et de la résurrection de son Fils Jésus le Christ.

La vie spirituelle du chrétien se situe dans cette adhésion de tout l’être à ce désir, source de tout engagement : « Que ta Volonté soit faite ! » Dans cet abandon confiant se réalise la finalité spirituelle du chrétien : devenir fils de Dieu et frère de Jésus-Christ, participant librement à l’œuvre de la création.

La prière chrétienne

La prière chrétienne n’a rien à voir avec des techniques capables de produire des réactions systématiques, si subtiles ou si séduisantes soient-elles. Saint-Paul, bien au fait des courants gnostiques de son temps qui prétendaient apporter l’initiation suprême aux mystères de la vie, dira : « Je vous dis cela pour que personne ne vous abuse par des discours séduisants. » (Col 2,4).

La prière chrétienne commence par un cri, un cri existentiel qui sourd du tréfonds de la personne : « Dieu, viens à mon aide.[17] » Cette prière ne cherche pas à étouffer la détresse ou l’angoisse par des exercices psychophysiques, elle ne cherche pas à évacuer, à anesthésier, à enfouir le tragique de nos souffrances, mais elle oriente nos cris vers Celui seul qui peut soulager, guérir et donner un sens, Dieu Créateur et Sauveur.

À ce cri personnel : « Dieu, viens à mon aide », la réponse se fait collective : « Seigneur, à notre secours. »

Celui qui se reconnaît dans ce cri peut découvrir une multitude de frères et de sœurs qui n’attendent de repos et de salut qu’en Dieu seul. La réponse devient ecclésiale et engendre la fraternité, une fraternité pour bâtir un monde qui se reçoit de cette expérience spirituelle fondatrice.

La vie spirituelle chrétienne trouve sa source, son réconfort et son épanouissement dans la « trithérapie » que lui propose l’Église, à savoir :

  • La lecture amoureuse de la Parole de Dieu.
  • La vie sacramentelle sans cesse renouvelée par le sacrement de réconciliation et l’eucharistie.
  • La vie fraternelle.

Ainsi le signe d’une authentique vie spirituelle chrétienne est l’amour de Dieu, de tout son cœur de toute son âme et de toutes ses forces, et l’amour du prochain comme soi-même. (Mt 22, 36-39).

La soif de nombreuses personnes qui se tournent vers la sophrologie ou d’autres techniques de développement personnel est une réalité et un aiguillon pour nous, chrétiens. Il s’agit alors véritablement de nous mettre au service de la quête de sens et de bonheur des hommes et des femmes de notre temps. Tout d’abord, en vivant plus pleinement le mystère de l’Amour de Dieu dans notre vie ; et en cela notre conversion n’est jamais terminée, elle est toujours à ressaisir, elle est toujours insuffisante.

Certains éléments des méthodes proposées actuellement peuvent être valables, notamment lors des premiers moments de pratique ; essentiellement autour de la relaxation, d’une respiration ample et complète. Il s’agit alors de mieux connaître son corps dans sa physiologie naturelle et paisible. Cette première phase est saine et s’inscrit dans une meilleure connaissance de nous-mêmes. Mais rapidement, celui qui pratique est entraîné à aller plus loin, à faire des expériences. Celles-ci sont orientées, et le formateur n’a pas toujours conscience lui-même que ce qu’il propose est sous-tendu par une anthropologie qui n’est pas neutre, contrairement à ce qui lui a été dit. Ces techniques qui prétendent, en passant par le corps, accéder à l’âme de la personne doivent être discernées, à l’aune de l’enseignement de l’Église catholique « experte en humanité ». L’Église propose sans discontinuité par l’exemple de ses saints, des chemins uniques qui conduisent au bonheur.

Bertrand Chaudet

Rappel : Sophrologie, repères pour un discernement pratique et spirituel. Bertran Chaudet. Éditions Salvator, 2013.

[1] https://sosdiscernement.org/h/hypnose/

[2] Caycedo, La India de los Yogis, Scientia, Barcelone, 1971. Et Letter of silence, Bhavani and sons, New Delhi, 1966.

[3] Cindy Chapelle, La sophrologie pour les nuls, First Editions, août 2011, p. 2.

[4] Thierry Loussouarn, Transformez votre vie par la sophrologie, Ed Dangles, 1990, p. 23.

[5] Bernard Etchélécou, Comprendre et pratiquer la sophrologie. Inter Editions, 2009, p. 41.

[6] Sur la méditation de pleine conscience, voir ces articles

[7] Bernard Etchélécou, Comprendre et pratiquer la sophrologie. Inter Editions, 2009, p. 41, 42.

[8] Ib, p. 43.

[9] Ib. p. 44.

[10] Ce terme d’énergie ne fait jamais l’objet d’une définition précise, si bien que l’on ne sait pas vraiment de quoi il s’agit.

[11] Dr Abrézol, Tout savoir sur la sophrologie, Editions Randin, 1995, p. 94.

[12] Ib., p. 79.

[13] Henry Wallon, Les étapes de la personnalité de l’enfant, Ed A. Collin, 1941, rééd 2002.

[14] Bernard Etchélécou, Comprendre et pratiquer la sophrologie, Inter Editions, 2009, p. 69.

[15] Raymond Abrézol, Vivre heureux ici et maintenant, Lanore, janvier 2007, p. 12.

[16] Document du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux : « Jésus-Christ, le porteur d’eau vive. Une réflexion chrétienne sur le Nouvel Âge », Pierre Téqui éditeur, 2003. p. 96-97.

[17] Cette prière débute la « Prière des heures » que de plus en plus de laïcs vivent aujourd’hui. C’est la prière appelée autrefois bréviaire, que prêtres et diacres, et la plupart des congrégations religieuses et de nombreux laïcs, font aujourd’hui selon une modalité où les 150 psaumes sont priés en quatre semaines.

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