Virginie. L’article de Mikaël Corre dans La Croix

Virginie la voyante et la mystérieuse Alliance des cœurs unis , par Mikael Corre, envoyé spécial à Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan), le 11/10/2022

Enquête. Inspiration ou mystification ? Fondée autour d’une  certaine « Virginie », âgée de 61 ans, une récente et discrète  association de groupes de prière, l’Alliance des cœurs unis, revendique  aujourd’hui 2 700 membres. Depuis mars, plusieurs signalements ont été  adressés à la cellule des dérives sectaires de l’épiscopat.             

Ce n’est pas le sanctuaire voisin de Sainte-Anne-d’Auray qui attire des foules, ce vendredi 9 septembre dans le Morbihan, mais le manoir en granit sombre d’un particulier. Dans une grange attenante déjà bondée, 250 personnes ont commencé à prier le chapelet. L’assemblée – plutôt féminine, d’âges et d’horizons variés – ressemble à celle de n’importe quel sanctuaire marial.

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Dehors, les retardataires se pressent devant une table en plastique blanc où l’on inscrit ses coordonnées, et indique si l’on souhaite recevoir le scapulaire de l’Alliance, ce médaillon original remis lors de la cérémonie d’entrée dans la communauté. Quelque 2 700 personnes l’auraient déjà reçu depuis le milieu des années 2010. « Aujourd’hui ça ne sera pas possible, explique une femme à un petit groupe déçu. Notre évêque référent, Mgr Marc Aillet (évêque de Bayonne, NDLR) a demandé que les postulants ne le reçoivent plus directement. Ils doivent au préalable rencontrer un prêtre de l’Alliance. »

Le groupe qui se réunit en cette fin d’après-midi, en marge d’une procession mariale – la Troménie de Marie – fondée par l’un de ses membres, s’appelle l’Alliance des cœurs unis. « Concrètement, c’est juste une communauté de gens qui se réunissent en petits groupes pour prier », explique Ivan Noailles, gendarme retraité et membre de l’Alliance, rencontré à Sainte-Anne-d’Auray. Sa raison d’être : diffuser les révélations d’une mystique de 61 ans, « Virginie », de son vrai nom Gaëtane de Lacoste Lareymondie (Virginie est son deuxième prénom).

« C’est Jeanne qui vous dit ça »

« Vous n’avez pas en face de vous quelqu’un de spécial », commence, dans la grange, cette femme blonde au visage doux, qui raconte que le Seigneur lui parle régulièrement et lui donne des visions depuis 1994. « C’est tout simplement quelque chose que j’ai remis à l’Église, par l’intermédiaire de Mgr Aillet notamment, et de mon père spirituel, qui est aussi l’aumônier de l’Alliance, le père Marie-Philippe (Thurotte) » (1), de la communauté Saint-Jean.

Éloquente, la mystique décrit le visage sanglant de Jésus qu’elle dit avoir vu sur l’autel de l’église de Domrémy-la-Pucelle (Vosges) : « L’une de ses paupières était totalement transpercée par une aiguille de 8 cm. » Elle cite, bouillonnante, ce que Jeanne d’Arc lui aurait confié durant une messe en Vendée. « Vous vous rendez compte, c’est Jeanne qui vous dit ça ! Ça vous percute un peu ? »

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Sa conférence mêle des conseils de développement personnel (l’importance du sourire, « ne pas dire “je suis nul” puisqu’on a été créé par Dieu ») et des messages plus politiques, monarchistes, avec une insistance sur le sacrifice et le martyre. « Je ne suis pas un oiseau de malheur, mais le temps passe vite… », prévient, à Sainte-Anne-d’Auray, cette mère de cinq enfants, qui affirme que le Christ lui a récemment demandé de se rendre sur l’île Madame, en Charente-Maritime. « J’ai dit au Seigneur : “Tu m’envoies confier l’Église de France à des prêtres morts pendant les guerres de Vendée ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? On va avoir une Révolution à l’envers ?” Jésus me répond : “Mon enfant, il y aura d’autres Vendée”. C’est tout ce que je sais. »

À la sortie de la grange, la discussion s’engage avec Virginie. « Vous êtes le bienvenu mais je préfère qu’il n’y ait pas d’article sur nous… » Les 2 700 fidèles ayant reçu le scapulaire sont répartis en « 80 groupes de prière pour l’Église et la France », précise seulement la mystique. Ils sont surnommées « boutons de rose ». Mais qui sont « les roses », ces personnes que plusieurs sources décrivent comme le noyau de l’Alliance ? « Les roses sont entre 15 et 20, mais je ne vous donnerai pas leurs noms, répond Virginie. Ce sont seulement des personnes qui souhaitent s’investir dans la société avec des valeurs chrétiennes. Il n’y a rien de communautaire. »

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Plusieurs prêtres et fidèles interrogés par La Croix décrivent l’Alliance comme une Église parallèle évoluant dans la plus grande discrétion, sous les radars des paroisses. Le « groupe des roses » a tout de même quelque chose d’une société secrète. En effet, les roses, qui n’étaient que 13 à l’origine, sont décrites dans le premier tome du livre de Virginie, Les Secrets du roi, comme « l’inverse ou le “pendant contraire” d’un ordre maçonnique mondial ».« Jésus me montre que 13 roses n’est pas un hasard à ce jour…, écrit-elle. Jésus me montre un triangle qui ressemble à une pyramide : il y a 13 boules noires. Ce sont les tout-puissants de notre monde d’aujourd’hui. Je reçois qu’eux aussi ont fait un pacte, mais avec les ténèbres. »

Les roses sont très liées à la droite catholique conservatrice. Parmi les membres que La Croix a pu identifier, on compte la cofondatrice de la Manif pour tous Béatrice Bourges et Caroline de Villiers, fille de Philippe de Villiers, qui prête régulièrement à l’association l’anneau attribué à Jeanne d’Arc récemment acquis aux enchères par son père. Contactées, les deux femmes confirment s’être « consacrées aux saints cœurs unis de Jésus et Marie ».

En communication avec les morts

Pour bien comprendre la naissance des roses, il faut remonter au début des années 1990. Gaëtane de Lacoste Lareymondie ne se fait pas encore appeler « Virginie ». La trentenaire est journaliste. Elle réalise notamment des interviews et des reportages pour une revue de spiritualité, Chrétiens magazine, pour laquelle elle arpente les lieux de miracles présumés, de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) à Tournai (Belgique), et rencontre de nombreuses « voyantes » comme Francine Bériault (qui se fait appeler « la fille du oui à Jésus »), Myrna Nazzour ou encore Mirella Pizzioli, une Italienne qui revendique un « charisme de communion des saints », et la fait entrer en communication avec les morts.

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En 1992, Virginie s’envole pour un pèlerinage à Medjugorje (Bosnie-Herzégovine) où elle fait la rencontre d’une certaine Christine, qui jouera un rôle majeur dans la fondation de l’Alliance. Avant son décès à la fin des années 2000, cette dentiste demandera en effet à Virginie et à quelques amies d’aider Martine L. (2), une autre voyante, à retranscrire et à publier les messages que celle-ci recevrait du Christ.

Un groupe se crée donc autour de cette coiffeuse de Reims (Marne). On se partage ses écrits. On les retranscrit. Plusieurs livres (Le Roi choisi par Dieu, Seul l’amour sauvera le troisième millénaire, tomes 1, 2 et 3) sont publiés aux Éditions Resiac. À Martine, le Christ aurait annoncé depuis l’an 2000 qu’après « de grands événements mondiaux », les descendants des Bourbons et des Capétiens reviendront gouverner la France.

Le groupe se repolarise très vite autour de Virginie, qui témoigne pour la première fois publiquement de ses visions en 2008 à Orléans. On y retrouve les mêmes références monarchistes que chez Martine. « Le Christ, c’est la tête. Et nous savons ce qui s’est passé en France quand on a commencé à décapiter. Quand on se coupe de la tête, c’est la mort qui s’ensuit », déclarait par exemple Virginie à Sainte-Anne-d’Auray.

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Au début des années 2010, les roses écument les églises et sanctuaires mariaux. Les révélations de Virginie se multiplient, et des réunions sont organisées à Versailles, dans le Var ou encore à Reims, en vue de leur publication. « Ce sont ces messages du Ciel qui m’ont ramenée à l’Église », témoigne à La Croix Sylvie de Corta, l’une des premières roses, et plus particulièrement chargée de retranscrire les messages. « Tout ce que dit Virginie, on sent qu’elle l’a vraiment vécu. » En 2012, le premier tome des Secrets du roi est publié. Le groupe se dote d’un acte de consécration « aux deux saints cœurs unis de Jésus et Marie », répété chaque matin. Une chaîne de prière perpétuelle s’organise, chaque membre ayant son « tour de garde », aussi appelé « jour de rose ».

« Emprise » et « manipulation », d’anciens membres témoignent

Le 19 avril 2014, les statuts de l’association l’Alliance des cœurs unis sont déposés auprès de la sous-préfecture de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Trois sources indiquent à La Croix que c’est également à ce moment-là que Virginie aurait « reçu du Christ » la demande d’écrire à l’évêque du diocèse, Mgr Aillet. « J’ai accepté d’accompagner pastoralement l’Alliance tout en disant toujours que je ne peux pas préjuger de l’authenticité des révélations », explique ce dernier à La Croix.

Ces dernières années, des évêques ont fait part de leurs réserves, conduisant l’évêque de Bayonne à demander à Virginie de mettre un temps ses conférences en pause. Des témoignages d’anciens membres de l’Alliance – La Croix a pu les consulter et rencontrer plusieurs auteurs – sont parvenus à la cellule des dérives sectaires dans des communautés catholiques, à partir de mars. Les critiques adressées – « emprise », « manipulation des esprits », « impossibilité de quitter librement le groupe des roses » – ont conduit le responsable de la cellule, Mgr Jean-Luc Brunin, à alerter Mgr Aillet. « Il n’y a pas de preuves permettant de conclure à d’éventuels problèmes », déclare ce dernier à La Croix. L’évêque de Bayonne affirme que rien dans les messages de Virginie n’entre en contradiction « avec la foi ou les mœurs ».

« Aujourd’hui je n’y crois plus », affirme, quant à lui, le père Antoine Coelho, ancien père spirituel de Virginie entre 2012 et 2013. « Ce n’est pas à moi de juger de la véracité de messages supposément reçus du Ciel. C’est à l’Église. Ceci dit, sur ces questions spirituelles complexes, j’invite tout fidèle à une très grande prudence », termine ce prêtre qui a rejoint le diocèse de Toulon, où il a fondé en 2017 une fraternité, la Maison de l’Esprit Saint. Comme lui, plusieurs prêtres et évêques contactés par La Croix jugent qu’une enquête canonique sérieuse devrait être menée.

« Une boule noire à la tête de l’Église »

Dans Les Secrets du roi, Virginie explique en effet que la mère de Jésus a été conçue « dans le sein du Père », avant le commencement du monde. « Le lait maternel de Marie est de substance spirituelle divine car elle est l’épouse de l’Esprit Saint », décrit encore la mystique. Cette femme mariée depuis 1980 se présente également comme « la veuve » ou « l’épouse » du Christ. Ce dernier, dit-elle, l’aurait embrassée sur la bouche lors d’une apparition.

Un autre point sujet à caution concerne le pape François. Virginie ne dit jamais qu’il est apostat, mais elle témoigne de la vision, une semaine après son élection en 2013, « d’une boule noire à la tête de l’Église ». « Je demande au Seigneur de m’éclairer sur ces infiltrations lucifériennes… », écrit-elle plus tard.

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La plupart des boutons de roses rencontrés à Sainte-Anne- d’Auray disent garder un certain recul vis-à-vis de ces messages. « Il y a un grand respect de la liberté de chacun », assure une jeune magistrate parisienne qui a reçu en 2019 le scapulaire des mains de Mgr Aillet, à Bayonne. « L’Alliance porte du fruit. Il y a de beaux liens de solidarité entre nous. Et vous savez, on est en communion avec l’Église et le pape François. » Quelques jours après la conférence de Sainte-Anne-d’Auray, des membres bretons de l’Alliance allaient pourtant jusqu’à évoquer, au cours d’une rencontre, des « anges de Satan » qui inspireraient le successeur de Benoît XVI.


« Des élus qui espèrent sauver la France et l’Église »

Joachim Bouflet

Historien spécialiste des phénomènes mystiques

« Virginie se met beaucoup en valeur, ce qui constitue déjà un critère rédhibitoire. Je ne vois pas, dans ses propos, de ligne conductrice – sauf un programme politique royaliste. Elle prône le retour au royaume chrétien, à la France de Jeanne d’Arc. Cela s’inscrit dans une filière pseudo-mystique et occulte qui remonte jusqu’au XIXe siècle, à l’image de fausses visionnaires comme la Bretonne Marie-Julie Jahenny (1850-1941).

Cette “alliance” va à l’encontre de l’unité du corps ecclésial en ravivant passions et nostalgies. Elle verse dans le non-théologique, autour d’une utilisation du titre de “Marie co-rédemptrice” pouvant aller jusqu’à une déification de la Vierge. La situation sociopolitique en France est un terrain pour ce phénomène, dans un milieu traditionnel en opposition au pape François. Ceux qui y adhèrent se considèrent comme des élus, le petit reste des fidèles qui espèrent sauver la France et l’Église. »

Recueilli par Benoît Fauchet

(1) Contacté, il n’a pas souhaité répondre à La Croix.

(2) Aucune de ces apparitions n’est pas reconnue par l’Église.

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