Recyclées : les Travailleuses Missionnaires

Un nécessaire examen de conscience

par Honorat Gonfalon

Pour de nombreux responsables ecclésiaux tant à Rome, qu’à Ouagadougou ou en France, notamment Marseille, la condamnation par le tribunal correctionnel d’Épinal de la Famille Missionnaire Donum Dei (FMDD) en août 2022, doit mettre un terme final à une longue attente de plusieurs années durant lesquelles la politique de l’autruche a été leur principale ligne de conduite.

Désormais, puisque l’on a d’un coup de crosse magique transformé en congrégation religieuse (société de vie apostolique) ce qui était un mouvement de laïcs (tiers ordre carmélitain), il n’y a plus officiellement de sueurs froides à avoir de la part de la Justice Civile. Il n’y a plus de risque de mise en examen puisqu’il n’est pas légalement obligatoire de salarier les membres d’une congrégation religieuse. On peut donc poursuivre comme auparavant le recrutement, la « formation » et l’exploitation dans des entreprises de restauration des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée, plus communément appelées les « TM ».

Toutefois retentit dans l’esprit de certains la prise de position du futur cardinal AVELINE exprimée dans LA CROIX du 11 août 2022. Nous le citons :

« … certaines crises sont salutaires. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et le travail réalisé par l’épiscopat avec l’ensemble des fidèles nous rendent plus vigilants et attentifs aux personnes victimes et nous obligent à un vaste examen de conscience. »

1. Un fondateur pervers

En effet cet examen de conscience concerne au premier chef le milieu clérical. Il retient toute notre attention et, puisque la CIASE est mentionnée, il est nécessaire de signaler que le fondateur du mouvement condamné des Travailleuses Missionnaires de l’Immaculée a fait l’objet d’un dossier à charge bien documenté remis par l’AVREF en temps opportun à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. D’ailleurs le président de la Ciase Jean-Marc SAUVE s’est personnellement déplacé pour auditionner l’une des plus anciennes « TM » qui avait connu ce fondateur, l’abbé Marcel ROUSSEL-GALLE et avait dû souffrir de sa perversité avant de créer une association d’aide aux victimes appuyée dans les années quatre-vingt par l’évêque de Saint-Denis en France et le Supérieur de la congrégation du Prado.

Marcel Roussel-Galle

Le comportement pour le moins « inadéquat » (!) de Marcel ROUSSEL-GALLE et les règlements abusifs qu’il a imposés aux travailleuses auraient dû amener depuis longtemps l’évêché de Besançon à cesser d’entretenir sur place le culte de ce personnage adulé comme « enfant du pays », à refuser tout accord avec la FMDD au risque du délit de marchandage, et à stopper tout enseignement de sa « pensée » auprès de novices bien crédules issues de pays du Sud. Cela n’a pas été fait et le scandale créé par cette condamnation est le fruit d’une longue négligence qui devrait rentrer dans l’examen de conscience prôné par Mgr AVELINE.

2. L’échec du prétendu « travail missionnaire » demandé à ces jeunes femmes venues de pays du Sud

La seconde suggestion relative à cet examen de conscience concerne la nécessaire réflexion sur l’échec patent du prétendu « travail missionnaire » demandé à ces jeunes femmes venues de pays du Sud. Sans aller jusqu’aux outrances de Marcel ROUSSEL GALLE qui obligeait certaines d’entre elles recrutées mineures après un contrôle de virginité (sic) à ramasser dans les années 50 des galets sur la plage de Dieppe pour le compte d’entrepreneurs de bâtiment, l’épiscopat doit se souvenir que la fondation des Travailleuses Missionnaires entrait dans le grand espoir suscité après la seconde guerre mondiale par le mouvement du christianisme social. Ce travail de mission devait s’exercer dans le monde du travail, dans certains milieux déshérités, et être le fait de jeunes français, de jeunes françaises et non d’immigrées exploitées.

En dépit de la belle figure de Madeleine Delbrel, en dépit des actions innovantes déployées par la Congrégation du Prado cet échec des espoirs suscités par le christianisme social pèse encore aujourd’hui sur les consciences comme l’a rappelé récemment Sœur Véronique Margron dans un éditorial consacré aux prêtres-ouvriers le 9 septembre dernier sur RCF. Elle y évoquait ceux qui sont « les témoins et les sentinelles de d’un magnifique visage de l’Église, celui de la proximité avec la vie des plus modestes d’entre nous, des plus précaires. Comme l’ont été et le sont encore tant de religieuses vivant en quartier populaire ou partageant le travail dans des entreprises de nettoyages, des cantines, des hôpitaux et bien ailleurs ». C’était bien l’intention initiale des TM.

Ce mouvement faisait suite notamment au livre « France pays de mission » écrit en 1942 par une grande figure, l’abbé Henri GODIN. Il devrait faire partie de cet examen de conscience vu la désaffection que connaît actuellement l’institution ecclésiale. Séduit par le discours enjôleur et trompeur de Marcel ROUSSEL GALLE, ignorant les troubles physiques et psychologiques de ce jeune prêtre, le futur cardinal VEUILLOT lui avait donné son feu vert pour tenter l’expérience des « travailleuses missionnaires ».

Sept décennies plus tard on ne peut que constater le fiasco. Tout observateur sensé ne peut que reconnaître que l’affaire des « TM » est bien loin d’être un simple problème de droit social et de travail dissimulé traité par la Justice civile. Marcel ROUSSEL-GALLE a saboté un espoir qui s’était levé, une attente à laquelle avaient répondu généreusement de jeunes femmes. Pourtant les raisons de création de ce mouvement étaient valides au départ. Elles ont été dénaturées. Mais le projet présenté au cardinal VEUILLOT et les interrogations de l’abbé GODIN méritent d’être considérés lors de cet examen de conscience.

L’abbé Henri GODIN

3. Un système rodé d’exploitation transnationale

La troisième suggestion que suscite cette condamnation vient de la plaidoirie, lors du procès, de Maître Julie GONIDEC qui représentait les parties civiles, étant mandatée par le Comité Contre l’Esclavage Moderne (CCEM). Elle a en effet pointé, selon le compte rendu largement repris du journaliste de l’AFP « un système rodé d’exploitation transnationale », notamment en lien avec le Burkina Faso, destiné à « faire travailler dans des conditions contraires à la dignité humaine » des jeunes femmes, souvent issues de milieux modestes.

C’est sur ce point également que l’examen de conscience doit être mené, tant en France qu’au niveau de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui avait diligenté une visite apostolique bidon et ainsi suscité de faux espoirs parmi les victimes. En effet le pape François s’est élevé à diverses reprises contre les formes subtiles et multiples de l’esclavage moderne. On sait que certaines des jeunes femmes qui travaillaient dans les sanctuaires de Domrémy ou de Lisieux ont été réorientées vers des destinations d’où elles ne pourront certainement pas s’échapper : le restaurant de Lima au Pérou, le restaurant de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, tous deux sociétés commerciales opaques, et aussi des sanctuaires en Amérique Latine (Notre Dame de Lujan en Argentine, Notre Dame de Guadalupe au Mexique), des établissements au Kenya, au Congo, … et des destinations aux objectifs peu clairs : Brésil, Bolivie…).

On doit bien comprendre que l’esclavage moderne n’a plus rien à voir avec l’image de la traite largement véhiculée dans notre inconscient collectif. L’esclavage moderne est « soft » : plus besoin de chaînes, il suffit de confisquer sous un prétexte aisé à trouver les papiers d’identité, les passeports des intéressées et il leur est impossible de prendre la fuite. Elles sont coincées et totalement dépendantes du détenteur de ces papiers.

Ces faits ont été rapportés lors du procès. Le système est bien rodé et il questionne les épiscopats du monde entier ainsi que l’ordre des Carmes trop longtemps complaisant envers ce tiers ordre laïc dont il avait la charge.

Le silence protecteur de Mgr Pontier, quand il était archevêque de Marseille et Président de la Conférence des Évêques de France a été éloquent. Son successeur, aujourd’hui cardinal, s’est empressé de faire reconnaître cette association sectaire d’affiliation carmélitaine comme société de vie apostolique pour la faire échapper aux poursuites légales. Sauf que cette reconnaissance hâtive et tardive a comme seul objectif de se couvrir.

En résumé l’examen de conscience proposé s’articule sur trois volets :

  • Le culte abusif du fondateur d’un mouvement
  • L’échec du « christianisme social » et la mauvaise définition du « travail missionnaire »
  • La mondialisation de l’esclavage moderne et exploitation transnationale de jeunes femmes

Le jugement d’Épinal doit en être l’utile déclencheur.

En savoir plus sur les Travailleuses Missionnaires

Le scandale des serveuses pour 15€/mois à Notre-Dame de la Garde, un article dans La Provence le 24 août 2022.

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