Ryke Geerd Hamer, la biologie totale, le décodage biologique

Georges Fenech, Gare aux gourous, Santé, bien-être, Éd. Du Rocher, 2020, pp. 50-58.

Témoignage du parcours d’Alain

« Mon frère a été abusé durant sa maladie et en est mort raconte Jean-Marc, avec tristesse. Alain a été victime de charlatans de la médecine alternative et d’un médecin, le docteur Richard X, chirurgien installé dans le sud de la France. En juillet 2006, on pratique une biopsie sur un petit bouton douteux sur son visage qui provoquait une gêne de plus en plus perceptible au niveau de l’œil droit et empêchait le fonctionnement normal des sinus.

Un mois plus tard, les médecins diagnostiquent une tumeur du sinus maxillaire. Mon frère, également témoin de Jéhovah, ne fait confiance qu’au docteur Richard X. Un protocole médicamenteux, chimiothérapie et radiothérapie, est mis en place avec l’oncologue. Alain suit son traitement durant trois mois environ … Il refuse l’extraction de sa tumeur jusqu’à son hospitalisation. Durant une chimiothérapie, il m’avoue qu’il voit une kinésiologue et qu’ « il envisage de mettre un terme au protocole chimique qui l’empoisonne ». Selon lui, il lui suffirait de chercher les causes de la maladie et d’identifier les membres de la famille responsables de son cancer ! Il ne veut pas servir de cobaye à la médecine qui le traite comme un simple numéro.

Quand nous nous sommes revus, il m’a accusé d »‘être responsable de sa leucémie déclarée ». Elle était due, selon lui, « à notre mauvaise entente au moment de ses premiers soins » !

C’est à cet instant qu’il m’avoue qu’il a décidé de recourir à la médecine parallèle pour soigner son cancer : il prend alors plusieurs rendez-vous chez Mme Suzanne Y, kinésiologue et adepte de la « biologie totale » de Claude Sabbah.

Mon frère décide également de rencontrer Paul Z qui se prétend docteur en « décodage biologique ».

Au cours d’une « consultation », Paul Z aurait dit à Serge que les hémorragies abondantes des sinus (et par la suite de l’orbite) étaient dues à l’efficacité du décodage biologique.

Mon frère reprend pendant quelque temps son traitement conventionnel. Plus tard, un certain David R, naturopathe, lui conseille la cure Breuss. Cette cure fait perdre à Alain plus de 30 kg. La tumeur évolue considérablement et provoque des lésions dentaires. Le naturopathe lui conseille alors de l’huile de pépin de raisin bio pour désinfecter et soulager les douleurs des gencives et des dents, et de prendre contact avec un dentiste énergéticien pour un décodage dentaire, car cette zone, au niveau du palais, peut être touchée par des fuites énergétiques. Ce dentiste utilise des appareils qui sont censés identifier l’origine du problème dentaire. La séance coûte 75 euros et se déroule dans une résidence hôtelière.

Le 9 avril 2008, après des souffrances indescriptibles, Alain accepte enfin son hospitalisation.

Alain est décédé le 29 mai 2008, à l’âge de 42 ans. »

Ryke Geerd Hamer

Ce témoignage saisissant illustre une fois de plus que, parmi toutes les méthodes psychologisantes, celle dite de la « nouvelle médecine germanique », appelée encore « biologie totale » ou « décodage biologique », est sans aucun doute l’une des plus redoutables. Elle a été inventée par un Allemand, Ryke Geerd Hamer. Il avait lui-même développé un cancer, selon lui, dû au choc psychologique provoqué par le meurtre de son fils. Partant du postulat, issu donc de sa propre expérience personnelle, qu’un choc psychologique affaiblit les défenses immunitaires, Ryke Geerd Hamer récuse de facto tous facteurs génétiques et environnementaux à l’origine de la maladie. Toute maladie serait pour lui la résultante exclusive d’un choc psycho­logique intense et d’un conflit intérieur non résolu qui donnerait naissance automatiquement à des « programmes de survie biologiques» enclenchés par le cerveau. Notre psyché influerait ensuite directement sur nos cellules en provoquant des maladies. Cette théorie applicable aux pathologies tant bénignes qu’incurables garantirait l’auto­guérison du malade, mais … à la condition de cesser les traitements conventionnels.

La première plainte contre ce médecin allemand, déjà frappé d’interdiction d’exercer dans son pays, remonte à 1996, à la suite du décès d’une femme atteinte d’un cancer du sein, qui avait refusé les traitements oncologiques.

Il fut condamné, le 1er juillet 2004, pour exercice illégal de la médecine à trois ans de prison ferme par la cour d’appel de Chambéry.

Ryke Geerd Hamer est décédé le 2 juillet 2017, à l’âge de 82 ans, en Norvège, pays où il avait trouvé refuge, à la suite de ses démêlés judiciaires en Allemagne et en France. Ses théories n’en ont pas moins continué à se répandre en France, en Europe et dans le monde. Des milliers d’élèves formés à son enseignement sont devenus à leur tour formateurs et dispensent un enseignement coûteux, sans aucune validation scientifique. Les haméristes seraient aujourd’hui en France au nombre de deux mille.

Claude Sabbah

Un disciple de Hamer particulièrement actif est le Français Claude Sabbah, lequel prétend que, grâce à sa méthode de « biologie totale des êtres vivants », et en s’appuyant sur la Programmation neurolinguistique (PNL) et la psychogénéalogie, il peut identifier le choc à l’origine du cancer. Le docteur Claude Sabbah, inventeur de la « biologie totale des êtres vivants », a finalement été condamné en novembre 2015 par le tribunal correctionnel de Montpellier à deux ans de prison ferme et 30 000 euros d’amende pour publicité mensongère, à la suite de la plainte déposée par l’épouse d’un malade souffrant du cancer de la prostate. Claude Sabbah l’avait persuadé de se soigner uniquement avec sa technique et d’abandonner ses traitements oncologiques. L’homme, après avoir déboursé des milliers d’euros en conférences et séminaires, est mort dans de grandes souffrances.

Les tenants de cette pratique s’appuient sur des méthodes floues d’autoguérison autour de la « mémoire cellulaire, la biothérapie, la biopsychogénéalogie ou le décodage biologique ». La biologie totale prétend donner un sens à tous les aléas de la vie, au comportement, à la maladie, aux accidents, aux échecs, aux ruptures … La biologie totale est au fond une croyance, analogue à une religion qui relierait le péché à la maladie. Il suffirait donc d’identifier la cause pour « décoder » et « recoder » comme il faut.

Christian Flèche

En France, Christian Flèche est l’un des plus célèbres « décodeurs » biologiques.

Le 27 février 2012 (Commission d’enquête du Sénat sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé), devant des sénateurs éberlués, l’homme s’était lancé dans une explication déroutante :

« Il s’agit d’une nouvelle approche de la santé à visée pratique s’intéressant sans exception à tous les symptômes physiques – angines, cancers, scléroses en plaques, diabètes, allergies – et psychiques – dépression, phobie, obsession – qui s’appuie sur l’expérience de nombreux chercheurs et praticiens. »

Et de citer des cas concrets de liens directs entre le symptôme de la maladie et un conflit intérieur non résolu :

« Par exemple, détaille-t-il, les personnes souffrant du côlon, dont la fonction est de véhiculer des choses sales, ressentent souvent qu’il y a quelque chose de pourri dans leur vie. Les problèmes de côlon ascendant peuvent encore être reliés à des conflits avec les ascendants, ceux du côlon descendant à des conflits avec les descendants. »

La commission d’enquête sénatoriale se frotte les yeux. Aujourd’hui, il n’existe aucune preuve scientifique permettant d’affirmer qu’un choc traumatique ou un stress peut provoquer le cancer, et encore moins qu’en chassant le stress on éradique cette maladie.

Certes, on sait mesurer l’effet somatique d’un stress. Il peut se traduire par une augmentation du rythme cardiaque, par une libération des hormones (adrénaline, cortisol, etc.), mais de là à provoquer un cancer il y a un pas que seuls les pseudo-thérapeutes ont franchi allègrement. Comme l’explique le docteur Sarah Dauchy, psychiatre et chef du département des soins de support de l’unité psycho-oncologie de à Gustave-Roussy (Villejuif) (Le Figaro Santé, 6 mai 2019),

« la psycho-neuro-immuno-oncologie est un champ fascinant dans lequel on va sûrement découvrir un certain nombre de choses. Il y a des pistes à explorer pour comprendre proba­blement des mécanismes en jeu autour de l’immunité. Mais les choses sont certainement beaucoup plus complexes que l’idée reçue « stress-cancer » que l’on n’observe pas au plan épidémiologique ».

Les offres de guérison miracle

Toujours est-il que le succès de cette théorie fumeuse est tel que le site annuaire-therapeute.com peut afficher un glossaire de soixante-quatre méthodes pratiquées par quelque dix mille thérapeutes. Les haméristes ont créé leur propre site internet, le-cancer.info, en créant délibérément une confusion avec le site officiel e-cancer de l’Institut national du cancer. Autre site charlatanesque, passeportsante.net, qui prétend que « la sclérose en plaques aurait pour origine une perte d’emploi après une chute au travail » et que « le cancer des os serait dû à un patron constamment méprisant … ».

Tout le monde s’accorde sur de possibles conséquences somatiques d’un état psychique, mais le charlatanisme naît dès lors qu’on propose à la carte toutes sortes de recettes censées déprogrammer la maladie par une psychothérapie, jusqu’à son élimination totale.

Les offres de guérison miracle sont particulièrement redou­tables quand elles ciblent des patients atteints d’un cancer. On sait que cette maladie, malgré les progrès considérables de son traitement, continue à provoquer de vives inquiétudes, voire une forme de culpabilisation. Sa charge émotionnelle reste très forte. Profitant de cette grande fragilisation, les dérapeutes interviennent en se targuant d’être le dernier rempart contre les traitements lourds, tels que la chimiothérapie, la radiothérapie ou l’intervention « mutilante», qu’ils bannissent.

En désespoir de cause, leurs patients finissent par se détourner de la médecine conventionnelle, en abandonnant leur protocole de soins au profit d’un processus d’embriga­dement à coups de stages, de séminaires, d’achats de livres et de produits miracles, de plantes, d’essences de fleurs, de crèmes, et quelquefois d’appareils pseudo-scientifiques, tels que le « Zapper » de Hulda Clark supposé rééquilibrer les énergies en nettoyant l’organisme de tous les déchets énergétiques pour laisser la place à la circulation de nouvelles énergies.

De nombreux exemples dramatiques illustrent ce fléau, à l’instar de celui de Nathalie de Reuck qui a décrit dans son livre On a tué ma mère (Nathalie DE REUCK, Philippe DUTILLEUL, On a tué ma mère ! Face aux charla­tans de la santé, Buchet-Chastel, 2009) sa fausse prise en charge par des praticiens de la « médecine nouvelle germanique ».

Face à ce fléau, il faudra attendre l’année 2012 pour que l’Inserm se décide enfin à alerter le public sur les dangers de la « biologie totale ». Le site du ministère de la Santé met en garde :

« La biologie totale propose une théorie explicative des maladies humaines qui n’est pas « en accord avec les données actuelles de la science », qu’il n’existe, actuellement, aucune validation scientifique de ces méthodes quant à leur efficacité et leur sécurité [ … ] non plus d’étude rigoureuse visant à prouver le mode d’action, à garantir la sécurité ou à prouver l’efficacité de la biologie totale. »

Puis, en guise d’avertissement il y est précisé :

« Le risque essentiel est d’écarter les patients présentant des pathologies graves, des traitements dont l’efficacité a été démontrée, ce qui peut entraîner une perte de chance ou un risque vital pour ces patients. »

Cet avertissement a minima a le mérite d’exister. Mieux vaut tard que jamais. Mais après, que fait-on? Ne laisse-t-on pas agir impunément ces semeurs de morts ? Le président de la commission d’enquête, le sénateur Alain Milon, pose une question embarrassante à Jean-Yves Grall, directeur général de la Santé ( Commission d’enquête du Sénat – n° 480 – tome Il, p. 196) :

« Sur les quatre cents pratiques non conventionnelles recensées, vous en avez évalué trois en trois ans. Faudra-t-il attendre quatre cents ans pour les autres ?

Réponse gênée du numéro deux de la Santé :

Il ne s’agit pas de lenteur, mais de respect d’une procédure. Ne pas prendre le temps d’être rigoureux, c’est s’exposer à de nombreux risques. Certes, six en trois ans, ce n’est pas beaucoup, concède-t-il, mais nous avançons. »

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