Le pycho-spirituel mis à nu

De la blessure psychologique aux thérapies psycho-spirituelles, CCMM, avril 2022, 346 pages, 25 €.

Recension, par le Frère Jean-Gabriel de l’Enfant-Jésus ocd, revue Carmel n° 183, mai 2023.

Le présent livre, qui émane du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) fondé par Roger Ikor voilà plus de 40 ans, dénonce les dérives initiées par ce que l’on désigne sous le terme de « psycho­spirituel », un curieux mélange des domaines psychologique et spirituel, et que le CCMM explique ainsi: « L’individu est porteur de blessures qui impactent son présent et ses possibilités d’évolution. Ces blessures constituent le lieu privilégié de la rencontre avec Dieu qui vient, si on le laisse œuvrer, guérir, libérer, relever par son amour misé­ricordieux » (p. 48). Au premier abord, on serait tenté de conclure qu’il n’y a rien là de problématique. Plus encore, et c’est l’argu­ment souvent avancé, pourquoi se priver de ce qui constitue une forme de thérapie pour un mieux-être psychologique et spiri­tuel? Pourtant, l’étude présente du CCMM et les nombreux témoignages qui y sont recensés, attestent que le psycho-spirituel constitue une forme d’emprise mentale dont les conséquences peuvent s’avérer graves et irrémédiables.

Un rapport du Docteur Guiouillier – psychiatre mandaté en 2011 par la CEF (Conférence des Evêques de France) pour une enquête auprès des Agapèthérapies du Puy en Velay, notait déjà de graves carences en matière de connaissance psychologique, ce qui d’après lui ne pouvait qu’aboutir à des interprétations erronées et simplistes : « D’emblée, écrivait-il dans le rapport désormais officiel transmis à la CEF, dans la définition de l’Agapé, la recherche de bouc-émissaire est annoncée. Il y a confu­sion entre l’événement et le traumatisme ( … ) Le bouc-émissaire est recherché au lieu d’analyser la responsabilité individuelle. On recherche un agent extérieur p,our tenter de déculpabiliser le sujet, ce qui peut le soulager dans un premier temps, mais à quel prix? On utilise le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies psychoaf­fectives qui ne seront en fait ni nommées, ni analysées, juste suggérées au risque de les induire ».

Le livre du CCMM confirme ce que ce médecin analysait en son temps: le risque de souvenirs induits, dont les travaux de la psychologue cognitive Élisabeth Loftus, dès les années 70, ont montré l’exis­tence: « Le faux souvenir est un phénomène psychologique qui se produit lorsqu’une personne se remémore un événement qui, en fait, n’a jamais eu lieu » (ibid.) Les témoi­gnages, parfois accablants, qu’on trouve dans le livre du CCMM, offrent un écho terrible à cette dernière analyse. Car les faux souve­nirs induits « provoquent (chez le sujet) un changement profond de point de vue sur son histoire et bien sûr une grande désta­bilisation par destruction de son identité et des relations avec ses proches. ( … ) » (p. 54).

Certains parents en effet, témoignent du procès que leurs enfants leur ont fait au retour d’une session d’agapéthérapie où ils avaient selon eux compris combien leurs parents les avaient mal aimés, voire maltrai­tés.,. On se demande ce qu’a de spirituelle et chrétienne une démarche qui finit par reje­ter l’un des dix commandements de Dieu: « Tu honoreras ton père et ta mère»? … Le processus psycho-spirituel est fort bien analysé dans le chapitre 2 de cet ouvrage, qui souligne notamment l’enfermement dans la recherche des blessures; la perte du raisonnement et de l’intelligence de la foi par le détournement de l’Évangile au profit d’une conception pseudo-psychologique qui n’est en rien spirituelle; sans oublier l’aspect lucratif d’une celle entreprise, abordé dans le chapitre 5 de l’ouvrage (L’appât du gain) … Les chapitres 3 et 4 abordent quant à eux la confusion spirituelle régnant dans les communautés qui prônent ce mélange de psychique et de spirituel et laissent de nombreuses victimes sur le rivage de leur inconsistance …

Au terme du livre, on est en droit de se poser la question: « Mais que fait donc l’Église? » D’autant que peu de signes ont été donnés depuis les premières dénoncia­tions de ces dérives.

Pour en connaître la raison, on retien­dra avec profit les enseignements du diacre permanent Bertran Chaudet, contributeur au site SOS Discernement, qui lutte depuis longtemps contre les diverses dérives gnos­tiques qui menacent l’Église. Dans l’excellent premier chapitre de cet ouvrage – « Le Nouvel Âge a-t-il pénétré l’Église? » – il nous livre un panorama saisissant des diverses techniques que l’Église de France tend à intégrer dans sa pastorale, et qui semblent davantage marquées par l’esprit du New-Age ou du monde que par celui de Dieu …

Certes, le rapport de la CIASE a semblé faire l’état des lieux des abus dans l’Église. Mais, bien que nécessaire, il s’avère insuffi­sant. Les dérives sectaires doivent aussi être recensées; et les coupables sanctionnés, car la miséricorde a partie liée avec la vérité et la justice.

Puisse cet ouvrage et les témoins qui y figurent retenir l’attention de ceux qui, au Jour du Jugement, ne pourront dire qu’ils ne savaient pas …