Bousculade de Phurlai en Inde : qui est le gourou Bhole Baba qui a attiré 250 000 fidèles ?
Clémence Rebora et Céline Hoyeau , site de La Croix le 8/7/2024
Quelques jours après la bousculade qui a fait 121 morts dans un rassemblement religieux du nord de l’Inde, le gourou autoproclamé qui avait attiré à lui 250 000 fidèles – au lieu des 80 000 autorisés – est réapparu dans une vidéo samedi 6 juillet. Explications sur le parcours de cet ancien policier reconverti en chef spirituel sulfureux.
Bhole Baba, le prédicateur indien dont le dernier sermon s’est terminé par une bousculade meurtrière dans laquelle 121 fidèles ont perdu la vie le 2 juillet, s’est déclaré samedi 6 juillet « profondément bouleversé » par la tragédie. Environ 250 000 fidèles hindous – plus de trois fois le nombre autorisé – étaient venus l’écouter près de la ville de Hathras (Nord), à près de 140 kilomètres de New Delhi.
Dans une déclaration vidéo diffusée par les chaînes de télévision indiennes, le religieux s’est dit convaincu que les responsables de la catastrophe seront punis. « Que Dieu nous donne la force de supporter cette douleur », a-t-il ajouté, dans sa première réaction publique depuis la catastrophe, sans qu’il soit possible de déterminer d’où s’exprimait le prédicateur vêtu de blanc.
Bhole Baba n’était pas réapparu en public depuis les faits. Son avocat a déclaré jeudi 4 juillet à l’AFP qu’il ne se cachait pas de la police, mais a refusé de révéler où il se trouvait. La police a arrêté sept organisateurs et une enquête judiciaire a été ouverte pour déterminer les circonstances de l’incident. L’avocat du prédicateur a imputé la responsabilité de la bousculade à des « éléments antisociaux » dans la foule.
Selon des médias locaux, Bhole Baba se serait retiré dans un monastère voisin, dans l’Uttar Pradesh (Nord), dont les portes ont été fermées avec des chaînes de l’intérieur par des fidèles. Une vingtaine de policiers monteraient la garde à l’extérieur du monastère après la bousculade mais n’ont pas pénétré dans l’enceinte, entourée d’un mur de cinq mètres de haut.
Des plaintes pour agressions sexuelles et une peine de prison
Né dans une famille de fermiers à Bahadur Nagar, village d’un millier habitants de l’Uttar Pradesh, aîné de trois frères et sœur, Suraj Pal – qui se fait appeler Bhole Baba – est un ancien policier qui, selon The Indian Express, a gravi les échelons de la police locale, avant de prendre sa retraite sous la contrainte en 2000, en raison de plaintes pour agressions sexuelles.
Après avoir purgé une peine de prison, il aurait quitté Agra, se serait mis à prêcher et se serait réinventé sous le nom de « Saakar Vishwa Hari Baba ». Le gourou autoproclamé, qui aurait créé sa chapelle hors des contrôles brahmaniques habituels au sein de l’hindouisme, aurait très vite attiré des foules dans l’ashram de son village natal.
Alors que les gourous sont traditionnellement revêtus d’un tissu safran dans l’hindouisme, le sexagénaire se présente toujours vêtu de blanc et passe pour un « homme dieu » aux yeux de ses fidèles. Il possède aujourd’hui une demi-douzaine d’ashrams et des disciples dans les districts du Rajasthan et de l’Haryana qui bordent l’Uttar Pradesh.
Il prêche généralement avec sa femme, Premwati, tous deux assis sur des sièges dorés, mais il se fait discret sur les réseaux sociaux, n’a pas de site Web personnel et n’accorde quasiment jamais d’interview. Ses rassemblements attirent essentiellement par le bouche à oreille des personnes en quête de guérison et de merveilleux.
Une quête de miraculeux
Selon un enquêteur de la police locale interrogé par le journal The Indian Express, les femmes constituent la majeure partie de ses fidèles. « Ils viennent à ses satsangs (assemblée autour d’un gourou, NDLR.), le cœur accablé par la douleur – une maladie dans la famille, une fille célibataire, un fils capricieux – et repartent, croyant avoir trouvé un baume dans ses paroles. Presque tous sont issus de la communauté Dalit Jatav (une de ces communautés que l’on désigne comme « intouchables » dans le système de castes indien, NDLR) à laquelle appartient Suraj Pal et qui a une présence importante dans tout l’Uttar Pradesh. La plupart d’entre eux sont émotionnellement vulnérables et recherchent des solutions immédiates à leurs nombreux problèmes, contournant un système dans lequel ils se sentent marginalisés ». Parmi ses fidèles figurent aussi beaucoup de hauts fonctionnaires.
Si le mot comporte en français une forte connotation négative et sectaire, le gourou, en Inde, est un maître spirituel de l’hindouisme et l’accès officiel à ce statut religieux est, « dans l’orthodoxie hindoue, extrêmement contrôlé par les instances officielles », indique le père Yann Vagneux, prêtre des Missions étrangères de Paris à Bénarès et spécialiste de l’hindouisme.
Cependant l’Inde a vu prospérer ces dernières années de nombreux faux gourous, qui servent souvent les politiques en « leur créant un public fervent », « à l’instar de Bhole Baba », ajoute le prêtre. « Le problème de ces faux gourous s’apparente au problème des dérives sectaires que l’on trouve dans le christianisme ».
Durant les dernières décennies, les partis politiques, et notamment le BJP, parti du premier ministre Narendra Modi, se sont beaucoup appuyés sur cet hindouisme charismatique, très populaire, incarné par des figures telles Sadhguru, Baba Ramdev ou Asaram Bapu qui défraya la chronique il y a quelques années.
Clémence Rebora et Céline Hoyeau