TÉMOIGNAGE
Paul est né le 8 décembre 1928.
Le vieil homme a quitté cette terre, le 1er samedi du mois — jour de l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires. C’était le mois de mai, mois consacré à la Vierge Marie.
– Je te l’ai toujours dit papa, la Vierge Marie est penchée sur ton berceau depuis ton premier souffle… Tu as beaucoup de chance ! Car tu pourras toujours compter sur elle, que tu crois en Dieu, ou non.
– Rappelle-moi ce que signifie le 8 décembre ?
– C’est la fête de l’Immaculée Conception, papa.
Mon père n’a jamais eu la foi. Tout au plus, à certaines périodes de sa vie, se disait-il agnostique. Avec le recul, je me dis que c’était déjà un bon début.
Papa a toujours eu une bonne santé. Il n’est pas mort de maladie.
De 86 ans, jusqu’à son départ, à l’âge de 93 ans, mon papa a subi, chez lui, des séances hebdomadaires d’occultisme, pratiquées par son fils Marc, maître reiki, degré 3 – le degré plus élevé.
Au retour de l’un de ses voyages initiatiques en Inde, mon frère avait désigné notre père comme cobaye privilégié : une proie facile, à la fois dans l’ignorance et dans une confiance sans limite.
Dès sa première séance de reiki, sur le lit une place de son petit bureau, mon père s’abandonna entre les mains de son fils, sans se poser la moindre question. À la fin, il me confia même en souriant :
– C’était très agréable. J’ai eu l’impression de voyager sans prendre l’avion, me dit-il selon l’une de ses expressions bien à lui.
Le cobaye conquis faisait la publicité de mon frère, presque malgré lui.
Puisque le reiki lui apportait bien-être, relaxation, et même évasion, mon frère pourrait donc pratiquer sur notre papa sans frein ni limite dans le temps. Il s’y appliqua, hélas, pendant plus de 7 années consécutives.
Marc étendit la pratique de ses pouvoirs sur tous ceux qui, comme mon père, se trouvaient dans un premier temps, curieux, et puis ensuite, demandeurs.
À son travail, il y avait des listes d’attente. Sa réputation lui valut très vite, de pratiquer à l’heure du déjeuner, sur des collègues en quête de guérisons physiques. Car le reiki faisait des miracles, à l’image des prodiges du Christ… On pouvait facilement tomber dans le panneau.
Hélas, tôt ou tard, l’adversaire présente toujours à ses proies, une facture à payer…
Marc, 65 ans, à la réussite professionnelle éclatante, marié à une femme formidable, trois enfants, était un homme en apparence bien dans sa vie.
Et pourtant, la disparition tragique de l’un de ses fils, à l’âge de vingt ans, avait conduit mon frère en Inde, à plusieurs reprises, en quête d’une paix intérieure, jamais assouvie en France.
Marc avait-il cherché à l’autre bout du monde à donner une dimension spirituelle à sa vie ? Ou bien rêvait-il de communiquer avec l’âme de son fils disparu ?
Quoi qu’il en soit, en Inde, mon frère rencontra une femme française d’un certain âge, maître reiki de haut vol. Elle le persuada qu’il détenait des pouvoirs rares, des pouvoirs que les autres n’ont pas. Elle lui proposa de l’initier à cette nouvelle technique thérapeutique, ayant recours aux principes taoïstes et présentée comme modèle de médecine alternative énergétique.
Fondé sur les principes de la philosophie chinoise et japonaise, le reiki est une pratique de magnétisme qui fait rage aujourd’hui en occident.
Le reiki est l’énergie-lumière, l’énergie vitale, pure et une, en tant qu’énergie cosmique. Les premiers disciples ont traduit « reiki » par « force universelle de vie ».
Mon frère accrocha très vite à l’hameçon. Cette énergie universelle promise allait l’entraîner dans une aventure occulte, à la découverte de pouvoirs uniques, destinés à guérir les autres, à leur faire du bien, le tout sous la conduite et l’œil du « Divin ». Je l’interrogeais pour en avoir le cœur net :
– Qu’appelles-tu « le Divin » ? Tu parles de Dieu, n’est-ce pas ?
– Mais non, pas du tout ! Tu n’y connais vraiment rien ! Le Divin est bien supérieur à Dieu ! M’affirma-t-il dans un regard plein de mépris et d’arrogance mêlés.
Marc n’eut aucune difficulté à conquérir notre père :
– Papa, j’ai envie de te faire découvrir ce que j’ai appris. Tu vas vite sentir un grand bien-être…
– Comment ?
– Par une action du Divin, sur ton troisième œil… Tu n’as pas besoin de comprendre les prières que je vais faire. Je vais invoquer les énergies universelles, et elles vont te faire beaucoup de bien. Fais-moi confiance papa !
Dans ma famille – où chacun est baptisé — personne n’avait d’a priori négatif sur le reiki, bien au contraire. Puisque cette pratique extraordinaire venait du fils aîné tant admiré, on pouvait donc foncer sur le canapé choisi, les yeux fermés — au sens propre comme au sens figuré. On pouvait surtout se laisser surprendre, et parfois même se laisser guérir, par les mains et la magie inexpliquée de Marc.
Très vite, mon frère pratiqua également sur ma mère – ce qu’il continue à faire encore aujourd’hui.
Je me souviens du témoignage de cette dernière :
– Tu te rends compte, j’avais de l’arthrose dans le genou gauche depuis des années, et en une séance, ton frère m’a guérie ! Je n’ai plus du tout mal. C’est formidable son truc !
On n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Les mystérieux pouvoirs de mon frère et leurs nombreux bienfaits se diffusèrent comme une traînée de poudre dans toute la famille. Pour la plus grande fierté du maître, tout le monde était conquis et chacun en redemandait.
C’était perceptible, au fil des années, mon frère gagnait en assurance et en toute-puissance. Et il faisait l’admiration de tous.
Et pourtant, au cours d’un repas familial, j’avais bien tenté de mettre tout le monde en garde, en affirmant que le reiki était une pratique magique occulte, incompatible avec le baptême et la foi chrétienne — j’ai même offert à chacun un petit livre du père Jean-Marie Verlinde sur le sujet. (« Le reiki ». Éditions Bénédictines). Hélas, je parlais à des murs, et des murs sans oreille.
Mais revenons à mon papa.
Le maître reiki s’en donna d’autant plus à cœur joie que, plus il agissait sur le vieil homme, plus ses pouvoirs se fortifiaient.
Dans le cas contraire, s’il avait cessé de pratiquer – ce qu’il ne fit jamais hélas — les pouvoirs de Marc auraient diminué. Car le maître reiki capture l’énergie de sa « proie », en vue de grandir en force, c’est-à-dire d’augmenter ses dons énergétiques propres. Un peu comme un vampire a besoin de sucer le sang de sa victime, pour conserver son énergie de vie fondamentale, sinon il meurt.
Dès la première année de pratiques régulières, la puissance de mon frère était arrivée à un tel degré de maturité, qu’il réussissait même à pratiquer à distance, avec ou sans l’aval de ses « proies ». Plusieurs fois, la nuit, sans jamais lui en parler au préalable, mon frère décida d’agir sur le vieil homme endormi…
Pauvre Paul ! Durant les quatre dernières années de sa vie — de 89 à 93 ans — les séances s’intensifièrent – plusieurs impositions par semaine – précipitant petit à petit et de façon très visible, le pauvre homme, dans un abîme de détresse et de désespoir, d’une noirceur qui faisait peine à voir.
Dès les premiers mois, alors qu’il était encore mobile, papa semblait se noyer dans des sables mouvants intérieurs, sans rien pouvoir exprimer. J’ai essayé de communiquer plusieurs fois avec lui :
– Papa, que se passe-t-il ? Tu n’as pas l’air bien… Je le vois. À quoi penses-tu papa ?
Paradoxalement, sa souffrance muette semblait de plus en plus visible… En guise de réponse à ma question, il me jeta un regard terrifiant de désespérance.
Mais pourquoi ne me répondait-il pas, lui qui avait toujours été si communicatif ? Quelqu’un lui avait-il retiré la parole ? Je revois mon père, assis à la table de sa salle à manger, le regard prisonnier… Son être tout entier semblait séquestré dans un invisible cachot, images horrifiantes au fond de ses yeux : mon papa en pleine dégringolade intérieure…
Petit à petit, il perdait ses mots, comme on perd pied, dans un marécage boueux, sans fond. Plus rien ne serait jamais comme avant. Le reiki l’avait plongé dans un état de non-être, sans retour. Et ce n’était que le début…
Il chutait de jour en jour. Et de semaine en semaine, à chacune de mes visites, plus besoin d’explication ni de mots. Je comprenais, de façon claire, que papa descendait lentement dans une géhenne à mes yeux cachée, mais un enfer bien réel pour lui, au fond duquel des esprits mauvais dévoraient son cerveau, comme une meute de rats affamés. Ils vidaient le pauvre vieillard peu à peu, de sa substance de vie.
Je le voyais avec mes yeux de chair, mais aussi avec la lumière de ma foi, c’est-à-dire avec tout l’amour que j’ai pour Dieu : une force obscure aspirait le pauvre vieillard vers d’abominables ténèbres. Là, une mort certaine, innommable, l’attendait de pied ferme. Photos insoutenables dans mon téléphone, à l’appui. Bienvenue dans la barbarie du reiki.
D’un tempérament jovial, optimiste, amoureux de la vie, mon papa était devenu un fantôme de papa.
Après une première année d’abominable colocation intérieure, les mauvais esprits occultes semblaient avoir pris possession de sa liberté. Mais combien étaient-ils ? Et que lui disaient-ils ?
– Je suis devenu un bon à rien…
– J’ai raté ma vie…
– Je suis inutile….
– Ma vie ne ressemble plus à rien…
Les phrases poison de mon papa – et qui ne lui ressemblaient pas du tout, encore une fois – ne manquaient pas. Mais combien étaient-ils donc à lui chuchoter en rafale, des pensées si mortifères ?
Un jour, en pleine désespérance, toujours immobile dans son fauteuil gris, papa me dit de but en blanc :
— Je suis un moins que rien. J’aimerai que tu me jettes par le balcon…
– Mais, papa, c’est affreux ! Ne compte pas sur moi !
Parce qu’il était tombé avec son déambulateur dans l’entrée de son appartement, sans rien se casser — merci mon Dieu ! — mon père ne voulait plus marcher. Il avait bien trop peur d’une nouvelle chute.
En conséquence, il eut à subir la vie d’une « statue de chair », de jour comme de nuit. Ses journées devinrent très rudes. Son corps n’avait mal nulle part certes — puisqu’il n’était pas malade- mais il était privé de son autonomie : plus de douche le matin, plus de marche dans l’appartement ni sur le balcon…
Ce fut alors une autre sorte de chute, comme un laisser-aller de tout son être, affaiblissant davantage encore son esprit et ses pensées. Il était devenu totalement dépendant, réduit à l‘état d’un petit enfant.
Devant l’état psychique de mon père, le diagnostic de son médecin généraliste était stupéfiant. Il s’adressait à ma mère :
– Votre mari n’est pas malade. Il est âgé. Concernant son psychisme, je ne peux même pas parler de sénilité. Il y a des choses que la médecine ne peut pas expliquer… Je suis désolé.
Papa resta donc jusqu’à sa mort -un peu plus de deux ans plus tard- assis sur son fauteuil gris « spécial confort », ou bien allongé sur son lit, un téléviseur devant lui, dans chaque pièce.
Une équipe d’aide-soignants à domicile venait trois fois par jour s’occuper de sa toilette, l’habiller, le lever (du lit au fauteuil), lui changer sa protection (dans le milieu de l’après-midi), puis de nouveau, le coucher (du fauteuil au lit), sans oublier la visite d’un kiné, deux fois par semaine.
Papa ne pianotait plus sur son ordinateur, ne lisait plus, n’écrivait plus, ne téléphonait plus, ne mangeait ni ne buvait plus seul, non, il ne faisait plus rien, sauf regarder la télévision pendant des heures, et dormir le matin, dormir l’après-midi, entre les repas – si frugal — dormir, encore dormir, là aussi comme un petit enfant, parfois plus de douze heures par jour.
C’était un vieillard épuisé par plus de sept années d’un interminable reiki. Il en payait, aujourd’hui, le plus haut prix.
Le pauvre homme gardait toujours la bouche grande ouverte pendant son sommeil, et son visage m’impressionnait. Il avait l’air happé par un autre monde, et ses yeux, bien que fermés à triple tours, reflétaient l’attraction de tout son être vers une autre réalité, effrayante, abyssale. Quand papa dormait, il ressemblait à un cadavre vivant. Son visage abandonné reflétait déjà la mort éternelle.
Dans ce gouffre obscur, si loin de notre monde, mon père, à bout de course, faisait-il encore d’abominables rencontres ?
À la toute fin de sa vie, il se mit à pousser des cris pendant son sommeil, surtout la nuit. Des cris de peurs et d’épouvante. J’en déduisais que les mauvais esprits avaient aussi envahi sa vie nocturne. N’y avait donc plus aucun espace de paix possible pour le vieil homme ?
Lorsque je lui rendais visite, il était toujours très fatigué, triste et peu bavard. Il avait perdu le désir de communiquer, et avec lui, sa voix commençait à s’effacer, elle aussi.
En trois ans, mon père avait perdu le goût de vivre et plus de vingt-cinq kilos, car le reiki coupe aussi l’appétit, dans le but d’affaiblir tout ce qu’il peut, y compris l’organisme. Cette machine à tuer s’attaque à tout ce qui vit, pour réduire, tôt ou tard, sa proie en cendres.
Mon père avait gardé, pour quelques mois encore, son cœur aimant. Ses yeux pétillaient toujours pendant plusieurs secondes lorsqu’il il apercevait sa « grande fille » devant lui, malgré mon masque FFP2 sur le visage.
— Papa, c’est Mathilde ! Si tu savais comme je suis heureuse de te voir !
– Moi aussi, ma chérie.
Il n’arrivait plus à me sourire, mais je sentais un mélange d’amour et de détresse au fond de ses yeux. Son regard ne me quittait pas. Il mendiait de l’aide.
Alors, j’apportais à mon père un bout du Ciel : une image de Sainte Thérèse de Lisieux — que ma grand-mère paternelle aimait beaucoup — une petite prière à la Vierge Marie, ou lors d’une autre visite, la lecture à haute voix du prologue de Saint Jean dans le Nouveau Testament, celle d’un psaume, et puis, une autre fois encore, un chant à Marie sur mon téléphone… En un mot, j’essayais, durant quelques minutes, et sous le regard de ma mère toujours muette, de l’extirper de son enfer.
Et puis surtout, je voulais lui communiquer cette grande espérance qu’il semblait quémander : mon père buvait avec avidité tout ce qui venait du Ciel par mon intermédiaire. De toute évidence, il cherchait la présence du Christ vivant en lui, sans s’en rendre compte, ou bien sans se l’avouer. Et le vieil homme, qui n’avait jamais su comment prier, avait besoin d’une aide en forme de SOS.
Un jour, au cours d’une de mes visites en plein après-midi, je proposais à mon papa un cadeau-surprise, venu du Ciel :
il accepta que je lui accroche autour du cou, au bout d’un cordon en coton noir, une petite médaille miraculeuse couleur or, bénie, venue de la rue du Bac.
Je confiais ainsi mon papa à la Vierge Marie, certaine qu’elle ne pourrait jamais lui refuser son aide.
Ce jour-là, une alliance entre ces deux-là venait de se conclure. Un lien visible – accroché à son cou – se tissa entre l’âme de mon papa et la Reine du Ciel, terreur des démons, celle-là même qui allait tôt ou tard le sortir de ses abominables ténèbres. Je priais pour que ma mère ne lui retira jamais sa médaille.
Pendant toutes ces années terrifiantes, je demandais chaque jour à Jésus, mon Roi et Seigneur, de sauver papa de la géhenne de feu. Après tout, Paul n’avait jamais choisi le diable, il n’était qu’une pauvre victime égarée, enténébrée, plongée dans l’ignorance de la vie éternelle.
Pour cette raison majeure, un frère en Christ, prêtre au bénin, m’assura que mon papa serait sauvé. Or, puisque mon père ne priait pas pour lui-même, il fallait donc beaucoup prier pour lui. Ce prêtre créa, en conséquence, un petit groupe de priants africains, près de chez lui, et que je remercie de tout cœur aujourd’hui. Quelle grâce ! J’étais accompagnée pour accompagner l’âme de mon papa en péril.
Certains jours, je pouvais me lasser, ou pire, me décourager de prier. De plus, ma mère, mon frère et ma sœur me barraient la route dès qu’ils le pouvaient.
Je suppliais alors d’autres croyants, de venir au secours de mon père, et au plus vite. Je confiais la cause du vieil homme à plusieurs groupes de prières parisiens. En envoyant des photos de lui — il ressemblait déjà à un cadavre — les priants affluaient nombreux, sur mes réseaux sociaux.
Je confiais aussi cette âme en grand danger à la communauté des Bénédictines, mais aussi à des amies très priantes en Touraine, à une autre amie parisienne et à sa cousine — sœur Emmanuelle à Medjugorge — sans oublier un prêtre traditionnel parisien, un autre prêtre du Mans (ami d’amie), et j’oublie d’autres âmes priantes… mille pardons pour elles.
En un mot, la communion des saints battait son plein.
Je convoquais aussi mes meilleurs amis au Ciel : Sainte-Thérèse de Lisieux, Saints Louis et Zélie Martin, Saint Paul, Saint-Augustin, le Saint curé d’Ars, Sainte-Bernadette Soubirous… Sans oublier les innombrables âmes du purgatoire que j’invoquais chaque jour et qui n’attendaient qu’un seul mot, une seule prière de demande, un seul cœur à genou, pour aussitôt intercéder pour mon papa.
D’ores et déjà, mon père ressemblait au paralytique de la Bible porté par quatre âmes de foi. Or, pour lui, il fallait multiplier par cinq ou six peut-être, le nombre d’âmes croyantes, regroupées en une foule compacte sous son brancard. Par la grâce de Dieu qui peut tout, la force d’une chaîne d’amour brûlant et intarissable, s’apprêtait lentement à sauver l’âme de mon papa.
Tout se mettait en place, dans l’invisible. Et le combat était phénoménal.
Dans le cœur de mon papa, il y avait une place pour ce Dieu qu’il ne connaissait pas encore, et qui pourtant l’attendait, avec tant de patience et d’amour. La chance de mon père, je le savais avec certitude, c’était qu’au moment venu, il ne refuserait pas d’être sauvé.
Chaque fois que je rendais visite à mon père, je travaillais pour le Christ.
Ma mission consistait à apporter « la Lumière qui sauve » à mon papa incrédule, au bord du précipice. Il y avait une vraie urgence à ce que le vieil homme se convertisse.
Par grâce, mon papa n’avait pas oublié ma rencontre fulgurante avec le Christ vivant, quinze ans plus tôt, et ma vie bouleversée. Un jour, à peine étais-je arrivée, face à lui immobile dans son fauteuil, qu’il me lança :
– Une prière !
Le Seigneur le travaillait. Papa était assoiffé.
– Une chanson de Marie.
– Oh oui bien sûr papa, avec joie !
J’entonnais alors « Marie Vierge Sainte que drape le soleil… » . Mon père buvait chaque parole de ce chant, avec un regard que je n’oublierai jamais : on aurait dit qu’il se nourrissait de la présence vivante de Marie, cachée quelque part, à côté de lui.
– Encore.
Je changeais d’air. Je choisissais un Ave Maria classique, tandis que mon père confessait, avec un air si triste, avoir oublié les paroles de cette prière.
– Ce n’est pas grave du tout papa, puisque moi je m’en souviens ! Tu n’as qu’à écouter…
ll avait l’air si triste, que je me dépêchais de chanter Marie pour qu’elle le console à nouveau.
À côté de lui, ma mère, toujours muette pendant ces moments consacrés à Dieu, ne ratait rien de notre échange ni de mes chants. Comment savoir ce qu’elle en pensait ? Elle semblait neutre. Je me méfiais toujours d’elle.
La semaine suivante, tout avait changé. À ma proposition de prier Marie pour l’apaiser, mon père me répondit du tac au tac :
– Non ! J’ai la trouille de la Vierge Marie !
Ainsi, à ma plus grande stupéfaction, le diable venait d’emprunter la bouche et la voix de mon père pour me répondre. C’était comme s’il s’était trahi lui-même.
Une autre fois, tandis que je demandais à mon père combien d’années de mariage il fêtait ce jour-là – 66 ans — avec ma mère, il me répondit, sur un ton agressif :
– 666 !!!
J’étais effarée, tandis que ma mère ricanait à côté de lui…
Dans son cerveau, deux réalités se bousculaient l’une l’autre. Un autre jour, il vit, effrayé, un chien méchant à côté de moi dans le salon.
– Mais non Papa, je t’assure, il n’y a pas de chien. N’aie pas peur !
Mon père grimaçait. Il voyait réellement un animal dangereux devant lui, et je le savais.
– Votre père est possédé.
Le verdict était tombé de la bouche du prêtre africain, que j’avais au téléphone si souvent, pour m’accompagner dans cette épreuve. Je comprenais que ce n’était plus mon papa qui vivait, mais le diable, qui avait fait sa demeure en lui. L’horreur absolue.
Ce jour-là, j’ouvrais les yeux sur une réalité spirituelle que personne ne semblait voir autour de moi : ni ma mère, ni mon frère, ni le médecin, ni les aides soignants, ni la femme de ménage, ni la gardienne… J’étais seule à savoir.
Année après année, semaine après semaine, la puissance occulte du reiki avait tissé son œuvre de destruction, à la manière d’une araignée vénéneuse agençant en silence, sa toile de mort. Son but ultime ? L’enfouissement de sa victime, déjà captive, au pays du diable, là où la géhenne de feu ne s’éteint jamais.
Le prêtre du Bénin joua un rôle fondamental dans mon combat spirituel.
Un jour, il m’offrit une parole pleine de vie, en forme de bouclier :
– Ne soyez pas dans la compassion humaine. Ne fixez pas la souffrance de votre papa, et encore moins la vôtre, mais à la place, regardez l’œuvre de Dieu.
– Père, je ne vois rien…
– Eh bien ! Regardez la Gloire de Dieu à venir !
À partir de ce moment-là, les forces ne m’ont plus jamais quitté. J’ai pu accompagner mon papa sur ce chemin si douloureux qui mène au Christ, en me rappelant chaque jour qu’il n’y a pas de résurrection sans une part préalable — plus ou mois grande — de souffrance.
Celle de mon père, plongé dans une abomination démoniaque m’apparaissait comme la pire de toutes.
Dieu s’en servait-il pour purifier le vieil homme de toute une vie loin de son Créateur ?
Papa me dit un jour :
– je suis en agonie.
Elle dura quatre semaines. Il restait désormais dans son lit. Il était trop faible pour qu’on le déplace jusqu’au salon.
À chacune de mes visites, je devais prendre rendez-vous avec ma mère, comme chez le médecin.
Je n’avais pas le droit d’avoir la clé de l’appartement de mes parents, au contraire de mon frère et de ma sœur qui étaient toujours les bienvenus, même à l’improviste, se sentant chez mes parents comme chez eux.
Je n’avais pas le droit non plus de rester seule avec mon papa, d’avoir la moindre intimité avec lui, pas le droit de l’approcher ni de l’embrasser, ni de lui caresser la main, pas le droit de prendre un repas avec lui, pas le droit de dormir dans la chambre d’amis à côté de la sienne – il me l’avait demandé un jour et ma mère refusa de façon catégorique.
Je me sentais prisonnière de ma mère et de ses ordres. Elle m’interdisait de voir mon père et de lui parler sans masque. Et puis très vite, elle m’imposa le test covid sous ses yeux à elle, pour tout contrôler.
Alors, j’envoyais mon ange – gardien communiquer avec l’ange-gardien de mon père. Je le chargeais de lui dire tout ce que je n’avais pas le droit d’exprimer tout haut, devant lui :
« Papa, Dieu t’aime et il va te sortir de là, fais-lui confiance… Tiens bon mon papa, tu n’es pas tout seul. La Vierge Marie t’accompagne ! Et moi je prie pour toi tous les jours ! Tiens bon ! ». Je savais que mon message serait donné et reçu.
Ma mère épiait chacun de mes gestes. Elle me perturbait. Je priais pour que le téléphone sonne, afin qu’elle disparaisse quelques minutes dans la pièce à côté. Je rêvais d’embrasser mon papa en cachette, à toute vitesse. Le petit miracle eut lieu deux fois.
La deuxième fois, mon père laissa échapper un petit cri :
– J’ai soif !
Profitant de la courte absence de ma mère, je sortis très vite de mon sac, ma petite bouteille d’eau bénite et je versais quelques gouttes dans la bouche de mon papa, espérant le purifier. À ma grande surprise, mon père manifesta aussitôt un signe de souffrance aiguë. Visiblement, l’eau lui brûlait la gorge.
Le soir même, mon accompagnateur et prêtre béninois m’expliqua au téléphone que le diable, qui ne supporte pas l’eau bénite, s’était vengé sur le corps de mon papa, en lui brûlant la gorge… L’eau bénite ne brûle pas, mais l’ennemi, si.
Un autre jour, je décidais de faire venir un prêtre à son chevet. Car mon père m’avait lancé haut et fort, devant ma mère pour témoin :
– Je veux me confesser !
Ma mère refusa. Elle m’affirma sans vergogne, que mon père changerait d’avis le lendemain matin. C’était diabolique.
En conséquence, elle m’ordonna d’un ton sec, de ne pas m’en occuper. Je ne l’écoutais pas et poursuivais ma recherche dans mon coin. La providence mit sur ma route un prêtre de Paris que je connaissais et qui avait déménagé pour une paroisse à Clamart, à 5 mn de chez mes parents. Ce détail séduisit ma mère, qui avait ainsi l’impression d’accueillir un « voisin » chez elle, qu’elle ne connaissait pourtant ni d’Ève ni d’Adam. Mes parents se sentaient ainsi, un peu plus rassurés. La grâce de Dieu était avec nous.
C’était pour la fête de Notre-Dame de Lourdes, le 11 février 2021. Mon père n’avait jamais reçu le sacrement des malades. Il était très angoissé. La veille, l’adversaire lui fit croire que par cet acte, le prêtre le précipiterait dans la tombe. Je le rassurais, en lui proposant de recevoir ce sacrement moi aussi, dans son salon, le même jour et à côté de lui.
– Papa, je vais te prouver que nous ne mourrons pas ni toi ni moi, en recevant le sacrement des malades. Tu me fais confiance n’est-ce pas ?
Les angoisses de mon père disparurent. Et, ce jour-là, les portes du Ciel s’ouvrirent en grand pour lui. Contre toute attente, après le départ du prêtre avec lequel elle avait été si charmante, ma mère se précipita vers moi et me cria dans les oreilles :
– Alors, t’es contente de toi, hein ? T’as réussi à faire venir un prêtre !
Par moment, ma mère montrait des signes d’infestation notoires.
Le lendemain de la venue du prêtre, mon frère fit une nouvelle séance de reiki sur mon papa. Je l’avais pourtant prévenu :
– Papa, la prochaine fois que Marc voudra te faire une séance de reiki, dis-lui bien : je n’en ai pas besoin. D’accord ? Tu lui diras ?
Mon père me répondit alors :
– Mais… ton frère ne me demande pas mon avis…
Le diable est un voleur d’âme, qui agit de dos et dans le noir, par les mains d’un maître — et souvent d’un traître — qui semble avoir tous les droits.
Dès que papa se sentait oppressé, angoissé – à cause de ses séances de reiki, mon frère lui proposait une nouvelle séance pour l’apaiser, le soulager, ou même le rassurer. Pas moins que cela. La spirale infernale était sans faille, toute simple, et parfaitement huilée.
Le spectacle de mon père prisonnier d’une armée de démons, se poursuivit de façon interminable.
Je ne doutais pas que le Christ était à l’œuvre, et je m’accrochais à Sa future et gigantesque Victoire. Tout était une question de prières, de confiance et de temps.
Quelques jours avant sa mort, alors que mon père était toujours alité, je vis son visage grimaçant, se tordre de douleurs… Alors, sachant qu’il ne priait pas pour lui-même, j’invoquais la Vierge à haute voix et à sa place. C’était un SOS :
– Vierge Marie, Vierge Marie, à l’aide !
– Vierge Marie, Vierge Marie, au secours !
– Vierge Marie, Vierge Marie, à l’aide !
– Vierge Marie, Vierge Marie, au secours !
J’entonnais une litanie, en forme de cris désespérés, comme dans les psaumes, pendant de longues minutes.
Soudain, le visage de mon papa changea totalement d’aspect. Il s’était décrispé.
– Papa, est-ce que cela te fait du bien ?
Silence. Ma mère, qui ne me laissait jamais seule avec mon père, fixait ses pieds sans rien dire. Je ne l’entendais même pas respirer. Son regard évitait toujours le mien.
Tout à coup, comme par miracle, mon père trouva la force de redresser légèrement son buste sur son lit. Il s’écria d’une voix forte :
– CELA ME FAIT UN BIEN FOU !
Sa voix était magnifique. Elle venait du fond d’un cœur véritable, et traduisait une gigantesque libération intérieure.
La Vierge Marie avait balayé les démons du cerveau de Paul, d’un revers de manche. Pfft ! Exit.
– Recommence !
Le ton était déterminé. Mon père refusait de voir s’échapper cette paix sans prix.
Au bout de quelques minutes, je m’arrêtais de prier.
Tout à coup, au milieu du silence, mon père se redressa de nouveau sur son lit, et avec une force que je ne lui soupçonnais pas, il se mit à hurler :
– JE VOUS REMERCIE… VIERGE MARIE !
Puis, son buste se rallongea lentement. Mais où avait-il puisé la force de crier ainsi ?
Je cherchais le regard de ma mère, mais ses yeux fixaient toujours le sol. Elle m m‘évitait. Nous étions deux étrangères, côte à côte, assises sur le même petit lit, deux témoins silencieuses de la délivrance spectaculaire de Paul.
À cet instant précis, je compris que mon père avait fait l’expérience de LA FOI. Par l’action vertigineuse de la Vierge Marie, il était déjà sauvé.
Et Dieu me faisait l’immense grâce de pouvoir assister à Sa Victoire.
Par la suite, plusieurs fois par semaine, Marc a continué à pratiquer ses séances démoniaques sur mon père, qui n’a jamais cessé de souffrir, beaucoup souffrir… et ce, pendant de longues semaines.
Et puis, le 7 mai 2022, au bout du bout d’une lutte acharnée, Papa est mort. Macchabée livide, dépouillé, émacié, et surtout totalement exsangue, dans son petit lit. Jusqu’au dernier moment, l’ennemi a tout fait pour avoir sa peau.
Mais ce samedi-là, à 18h30, la mort a été engloutie.
Mon frère a bien tenté d’agir sur le cadavre de mon père encore chaud en faisant des prières occultes à voix basse, sur son troisième œil… En vain.
À TOI, LA GLOIRE, Ô RESSUSCITÉ ! À TOI, LA VICTOIRE, POUR L’ÉTERNITÉ !
GLOIRE A TOI, JÉSUS SAUVEUR !
ET PAR TOI, VIERGE MARIE… GLOIRE À TOI, JÉSUS VAINQUEUR !
Témoignage anonyme.