Bertran Chaudet, diacre permanent
Préalablement, il est important de définir ce qu’est la spiritualité qui, selon une acception récente, ne revêt pas du tout la même signification que celle retenue dans le catholicisme.
Quelle définition ?
Ainsi, quand le Dalaï-lama parle de « spiritualité laïque », André Comte-Sponville parle de « spiritualité sans Dieu » (Comte-Sponville, 2006). Cette spiritualité très peu définie est associée implicitement à une recherche d’intériorité, de connaissance de soi, de sagesse, voire de développement personnel. Indifféremment, cette perspective partisane semble aller de soi et être couramment admise. Ainsi,la spiritualité pourrait se vivre au sein d’une religion établie ou en dehors de tout contexte religieux, voire de toute foi en Dieu.
Déjà accepter cette définition inclusive met hors course, ceux qui n’y adhéreraient pas.
Pour le catholicisme, Dieu est trinitaire, Père, et Fils et Saint-Esprit. Dieu crée le monde ex nihilo, à partir de rien par sa Parole. Dieu sauve les hommes tombés dans le péché par son Fils Jésus-Christ. La vie spirituelle est générée et animée par le Saint-Esprit : à travers l’écoute de la Parole de Dieu (Bible) en Église, l’accueil des sacrements que celle-ci nous transmet, et la vie fraternelle vécue en cellules communautaires. Ainsi la vie spirituelle est infuse, elle est irriguée par les trois vertus théologales, la Foi, l’Espérance et la Charité. La notion de grâce est première, la sagesse exercée par les vertus cardinales est seconde : la prudence, la tempérance, la force et la justice. Aussi quand il est question de vie spirituelle, il est fondamental de savoir sur quelle représentation se construit notre réflexion.
La notion d’écologie a également le dos large, discipline scientifique, mouvement politique, idéologique, philosophique, néo-religieux ou engagement pratique. Il ne s’agit pas ici d’évoquer l’agriculture biologique, ou la permaculture qui ont une expertise dans leur domaine de compétence théorique et pratique établi sur des fondements objectivables.
Par contre, l’écospiritualité mélange deux catégories qui sont à distinguer. On serait surpris d’associer, chirurgie et spiritualité. La formule d’Ambroise Paré, « Je le panse, Dieu le guérit » laisse la compétence objectivable au chirurgien dans l’art du bistouri et du pansement, le mystère de la vie revenant à Dieu.
Or, l’écospiritualité fusionne deux mots formant un néologisme ; ainsi écologie et spiritualité seraient indissociables. Nous serions unis à la terre et au cosmos en une unité de vie, de destin et d’âme. L’écospiritualité se situe au-delà des dualismes, apparences illusoires, hérités de la culture judéo-chrétienne. Ainsi, l’écospiritualité dépasse les notions d’esprit et de matière, de visible et d’invisible, de masculin et de féminin, pour se connecter à l’énergie de vie. Pour cela, il s’agit de dépasser la raison qui appauvrirait et enfermerait l’être, et de développer l’intuition, la sensibilité, ouvrant à une spiritualité hors de toutes frontières.
En effet, il s’agirait de se dédouaner de la source néfaste qui serait issue de l’héritage biblique où Dieu bénit l’homme et à la femme qu’il vient de créer, et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre » (Gn 1,28).
Des écologistes y voient la permission que le couple et sa descendance bénis par Dieu sont autorisés à dominer et par conséquent à polluer la terre. C’est ainsi que, l’historien américain Lynn Townsend White Jr (1907-1987) dans un article devenu culte, paru en 1967 dans la revue Science, accusait le christianisme d’avoir contribué au saccage de la planète par son arrogance anthropocentrique.
L’hypothèse Gaïa conçoit la Terre non pas matériellement, mais comme un organisme vivant, capable de conscience, d’autorégulation intelligente où tout est interdépendant. La terre étant considérée alors comme notre mère, la déesse Gaïa. Ce concept panthéiste est né en 1969, sous la plume d’un biologiste britannique James Lovelock.
L’écologie profonde devient alors une religion gnostique qui professe un « culte de la vie », la biosphère étant une entité douée d’une conscience intrinsèque quasiment divine, plus élevée que tout être y compris l’homme. Il s’agit alors par une prise de conscience symbiotique, auto réalisée, de se fondre à cette nature divinisée.
Quelques points de repères historiques
Au XVIIe siècle, le philosophe Spinoza assimile, en un néo panthéisme, la nature au divin.
En 1854, le poète américain Henry David Thoreau écrit Walden, ou la vie dans les bois (Walden ; or Life in the Woods) qui deviendra une des bibles du mouvement hippie, précurseur des courants écologiques actuels, exalte une relation fusionnelle avec la nature première retrouvée.
Mahatma Gandhi, en Inde et sa doctrine non violente à l’égard de tout et de tous, deviendra le maître de sagesse d’une écologie intégrale qui s’y réfère.
Nous reviendrons plus loin sur Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie et ses recommandations concernant l’agriculture biodynamique. Steiner renouvelle l’ésotérisme théosophique et théorise dans un langage abscons la science de l’occulte. Il établit des correspondances secrètes entre les plantes, le corps humain, les planètes.
L’écologisme se recommande également du psychologue Carl Gustav Jung qui théorisa les liens entre nature et psyché.
Lanza del Vasto, disciple de Gandhi, fondateur des communautés de l’Arche en 1948, prône un retour à la terre, à l’autarcie, à la sobriété. Il influencera nombre de fondateurs de communautés nouvelles catholiques à tendance œcuméniques, notamment Ephraïm et la communauté du Lion de Juda, devenue communauté des Béatitudes.
À partir des années 1970, l’écologisme devient une auberge espagnole : féminisme, Wicca, tiers-mondisme, décroissance, pacifisme, s’y retrouvent sans pour autant se parler, mais parfois pour s’affronter. Le New Age faisant feu de tous ces bois disparates…
Des intellectuels conceptualisent et prônent un éveil spirituel, une forme de connaissance plus globale, plus intuitive, soucieuse de l’équilibre planétaire tant politique qu’économique entre le Nord et le Sud, une conscience plus aiguë de la dilapidation des ressources, associées à la multiplication des catastrophes dites naturelles, au réchauffement de la planète.
Sur cette dernière considération, nous pouvons être justement interpellés, et appelés à changer nos comportements tant individuels que collectifs.
Cependant, de nouvelles religiosités apparaissent appelant à une re-sacralisation de nos relations à la nature, considérant la terre, voire l’univers comme un être vivant.
Et chacun y va de son expérience personnelle, allant de la Méditation de Pleine conscience, aux expériences de chamanismes, d’animismes, de soufismes, de yogismes, d’hindouisme, de taoïsme, de druidisme, de Feng shui, de médecine chinoise… Se soigner soi-même et soigner la planète sont alors indissociables. Tout est respectable, rien n’est à interroger, tout se vaut. Car il s’agit de respecter tous types d’expériences, dont la subjectivité ne peut être remise en question par une rationalité jugée restrictive autant qu’étouffante, ou encore par un catholicisme dont les dogmes seraient autant d’entraves à la liberté.
Aujourd’hui
Des auteurs, comme Michel Maxime Egger1, tentent de christianiser cette écospiritualité en convoquant Saint Grégoire Palamas (1296-1359). Cependant, il n’est pas juste de confondre les énergies divines dont parle Saint Grégoire avec l’énergie de Gaïa. Ces deux concepts, ne sont pas assimilables, car l’un présuppose la Foi en la Révélation d’un Dieu trinitaire Créateur et Sauveur, l’autre pense le monde comme autonome et indépendant.
Egger use d’un subterfuge en distinguant panthéisme et panenthéisme quand il prétend que Grégoire Palamas affirme : « Dieu est dans l’univers et l’univers est en Dieu2 » La démonstration du théologien du XIVème est longue et complexe, mais ne peut en rien être réduite à cette confusion moniste de l’hypothèse Gaïa, et à sa suite de l’esprit du New Age, qui nient fondamentalement l’existence d’un Dieu personnel, Tout Puissant et Aimant. En effet, l’énergie divine, pour saint Grégoire Palamas est la communication que Dieu fait de lui-même dans sa bonté, pour donner vie aux êtres qu’il crée, les êtres humains en particulier. Cette énergie divine est incréée, en ce sens, elle n’est accessible que par grâce, comme un don gratuit, et non par initiation à l’intuitivité.
Quelques figures françaises
Jean-Marie Pelt (1933-2015)
Docteur en pharmacie, professeur de botanique, de biologie végétale à la Faculté de Pharmacie de Nancy, puis à la Faculté des Sciences de l’université de Metz, c’est une grande figure française de la défense de l’écologie, ne cachant pas son attachement au christianisme. Il a animé nombre d’émissions de radio et de télévision. Cependant favorable à l’agriculture biologique, il s’est largement fourvoyé en apportant son soutien à l’anthroposophie 3 à l’agriculture biodynamique 4, adhérant au comité de soutien des écoles Steiner-Waldorf, pointé par la Miviludes comme dérives pseudo-scientifiques.
Pierre Rabhi (1938-2012)
Très invité médiatiquement vers la fin de sa vie, il préconisa l’agriculture biodynamique fondée sur les recommandations ésotérique et occulte de Rudolph Steiner. Agriculture rapportant plus par les enseignements donnés que par les résultats pratiques ! Il fonda en 2007 l’association Colibris, militant pour une « sobriété heureuse » basée sur la décroissance, selon des valeurs dites spirituelles. 5
Son livre : Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, a été vendu à plus de 500 000 exemplaires.
Pierre Rabhi, fut un gourou de l’écospiritualité. De sa petite voix doucereuse, il professait avec assurance des apophtegmes pseudo philosophique et des inepties en matière d’agriculture.
Le sociologue Gérald Bronner, membres du comité de parrainage de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), considère que « Rabhi est peut-être adorable, mais, lorsqu’il affirme que ses techniques agricoles pourraient nourrir la planète, il trompe nos concitoyens. Sa ferme ne survit que parce qu’elle peut compter sur le travail de 150 bénévoles ! »6
Sa spiritualité à géométrie variable, selon ses interlocuteurs, possédait une grande virtuosité à manier des poncifs.
Michel Maxime Egger
Né en 1958, il s’autoproclame « méditant-militant ». Il professe une spiritualité centrée sur l’unité entre le cosmique, l’humain et le divin et milite pour écocitoyenneté s’engageant à une sobriété joyeuse solidaire et respectueuse des enjeux planétaires. Il est une des figures pionnières et emblématiques francophones de l’écospiritualité.
Il est toujours intéressant de suivre le parcours d’une personne qui ne renie aucune des étapes de son cheminement intérieur.Michel Maxime Egger, catholique dans son enfance, est représentatif de cette génération attirée par l’Inde, et le bouddhisme zen. Il fut initié par Henri Hartung (1921-1988), fils de général, petit-fils de banquier suisse, disciple de Ramana Maharshi (1878-1950), un des plus grands gourous indiens de son temps. Hartung, suite à sa rencontre avec Dürckheim, se forma auprès d’un maître zen, puis d’un maître soufi. Hartung relate ses expériences dans son livre L’Iris et le Lotus7, où le syncrétisme Pan religieux affleure.
Egger en 1987 se convertit à l’orthodoxie et rencontre une de ses grandes figures, l’Archimandrite Sophrony (1896-1993), au monastère Saint-Jean Baptiste, dans l’Essex (Grande-Bretagne). Il est ordonné diacre et exerce son ministère de 1995 à 2005 à la Paroisse orthodoxe francophone de Genève Sainte-Trinité-Sainte-Catherine. Pour parfaire son œcuménisme à large spectre, en 2005, il cofonde avec la théologienne Lytta Basset8 La Chair et le Souffle, une revue d’anthropologie et de spiritualité publiée par la Faculté de théologie de l’Université de Neuchâtel d’obédience protestante. À partir de 2014, il codirige la collection Fondations écologiques aux Éditions Labor et Fides. Il publie « La Terre comme soi-même », « Soigner l’esprit », « guérir la Terre » « L’être caché du cœur », « Voies de la contemplation ». Son écospiritualité prône une approche holistique, laïque et transreligieuse de l’écologie.
Selon l’écospiritualité, écologie et spiritualité sont, pour reprendre les termes de Michel Maxime Egger, « indissociables, parce que nous sommes avec la Terre dans une communauté d’être, de vie et de destin. Parce que la nature — au-delà de ses apparences matérielles — est habitée par le mystère du « plus grand que soi » qui est la source de toute vie. Parce que sans une nouvelle conscience et un sens du sacré, nous n’arriverons pas à rétablir l’équilibre de la planète, construire le monde véritablement durable et équitable auquel nous aspirons. »9
Michel Maxime Egger est parallèlement adepte de l’écopsychologie. Une psychologie ouverte et transdisciplinaire, basée sur « l’idée de l’existence d’un lien ontologique entre les êtres humains et la nature comprise comme le « vivant » au sens large » dans le but — à travers différentes pistes théoriques et pratiques — de conduire à la guérison conjointe de la Terre et de l’humanité : comme l’explique Michel Maxime Egger, en 2014, dans Soigner l’esprit, guérir la Terre — Introduction à l’écopsychologie. Il y est urgent de « retrouver notre capacité à résonner à l’unisson de l’âme du monde, à nous relier à notre propre nature, et donc à la nature et à ses constituants, par notre corps, nos sens, notre âme, notre esprit et aussi notre raison. »
Philippe Desbrosses
Né en 1941, agriculteur, docteur en science de l’environnement, musicien, il se présente comme un des pionniers de l’agriculture biologique.
Il préside de 1983 à 2007 la commission nationale du Label AB. Il est expert consultant chargé par le ministère de l’Agriculture auprès de l’Union européenne.
Il reprend la ferme de Sainte Marthe de ses parents en Sologne. Il est à l’origine de l’Intelligence verte une association qui promeut l’agriculture biologique, les savoirs agricoles traditionnels et la préservation et réhabilitation d’espèces de graines anciennes. Cependant Intelligence verte n’est pas exclusivement une approche pragmatique ou scientifique de l’écologie, car y sont mêlés religions et ésotérisme.
Il anime des forums Ecologie et spiritualité. Lors de l’un d’eux il déclare : « Ce qui m’a amené à l’agriculture biologique, c’est la lecture d’un livre un peu décrié (c’est un euphémisme), mais qui, moi, m’a fait passer une étape au-dessus : c’était « le Matin des magiciens », de Pauwels et Bergier, en 1968. J’ai fait ma petite crise mystique à cette époque et j’ai découvert l’alchimie. De l’alchimie au retour à la terre-l’alchimie de la terre, l’or noir des étables—, l’importance de cette richesse qui est pourtant une matière nauséabonde, m’est apparue de manière flagrante, et c’est comme ça que j’ai quitté le costume à paillette pour revenir avec les bottes dans le fumier en août 1973… Tout mon parcours estémaillé de cette recherche mystique et spirituelle, que je n’ai jamais dévoilée parce que c’est plutôt contre-productif si vous défendez des idées très sérieuses, très rationnelles, et qu’en même temps vous y mêlez une quête spirituelle. »10
Ce mélange de plans est caractéristique de l’écospiritualité. Ainsi Philippe Desbrosses fort de sa notoriété propose des stages Mandala inspirés de la tradition indo-tibétaine revue à la sauce New Age occidentale, ainsi que des initiations à la géobiologie, faisant appel à la radiesthésie, voire à la médiumnité pour trouver les lieux propices aux habitations, aux abris pour animaux et aux cultures.
Desbrosses proclame une nouvelle profession de foi : « C’est peut-être l’émergence d’une nouvelle foi écologique dans une vision globale de l’univers, d’une nouvelle approche scientifique, d’un nouveau contrat entre les hommes et leur environnement. »11
Ainsi, dans son approche mystico-scientifique : « Chaque intervention de l’agriculteur ou du jardinier est renforcée positivement ou négativement selon le moment de la journée et les configurations planétaires. En d’autres termes, la plante reçoit les forces ou les faiblesses des musiques célestes du moment. »12 Cette poésie en apesanteur doit beaucoup aux élucubrations de Rudolph Steiner qu’il cite : « La pensée moderne doit très vite s’affranchir de cette tendance pour que l’humanité redécouvre enfin sa véritable dimension spirituelle… Le mérite de Rudolph Steiner, c’est d’avoir décrit tous les risques et d’avoir indiqué les pistes pour y échapper. »13 L’ortie serait-elle une plante martienne, en affinité avec le fer ?…
Ainsi pour l’anthroposophe John Soper : « Le rôle de l’agriculteur devient comparable à celui du prêtre. Ainsi grâce à la préparation 500, le cultivateur réintroduit la force christique dans ses cultures… Il s’agit d’une sorte d’acte sacramentel et l’agriculteur devient un prêtre. »14
Un prêtre d’une pratique magique sans fondement scientifique ou spirituel.
Comment ne pas réagir, en tant que catholique, il aurait fallu attendre cette écospiritualité pour accéder à la véritable dimension spirituelle. Quelle hubris, quelle arrogance, la spiritualité de nos Pères dans la Foi depuis 2000 ans serait fausse, illusoire, alors que ces utopies à base d’intuitions, d’idéologie, mais aussi de superstitions seraient en adéquation avec une authentique spiritualité.
Ecospiritualité et néopaganisme
Cette écospiritualité s’accompagne d’une exaltation sans réserve aux religions considérées comme païennes par le catholicisme. Les propositions de stage initiatiques au chamanisme, au druidisme, au catharisme, au celtisme, au soufisme, mais aussi satanisme se sont multipliées ces dernières années. Les religions nordiques sont remises à l’honneur par certains groupes de musiques Metal Rock.
Après le règne de Dieu, il y a eu le règne de l’homme il s’agit désormais d’adhérer au règne de la nature et de ses énergies.
La signification de la vie se trouve dans la subjectivité de chacune de ces expériences immanentes. Une anthropologie moniste, s’accommodant avec des animismes de tout poil, remplace toute perspective transcendante révélée. Comme l’écrit avec concision Chantal Delsol, philosophe essayiste : « Pour le monothéisme, ce monde est un séjour. Pour le cosmothéisme (écospirituel), il est une demeure. »15
Effectivement cet écologisme néopaïen est en parfaite contradiction avec l’esprit de l’Évangile, signifié dans la lettre à Diognète : « Ils (les chrétiens) résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous les devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère… les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. » »16
La religion de l’écospiritualité
Bien sûr, il est indispensable de protéger l’environnement, de considérer les impacts délétères de certaines activités humaines. Cependant, il devient difficile d’interroger ou de contester certaines affirmations, sous peine d’excommunication préalable.
Chantal Delsol ne se situe pas contre une écologie raisonnée, mais elle pointe ce qui est appelé ici l’écospiritualité. Elle voit clairement se profiler cette nouvelle religion : « L’écologie est une religion, une croyance : non que le problème écologique actuel ne doive pas être considéré comme scientifiquement démontré, mais parce que ces certitudes scientifiques concernant le climat et l’écologie produisent des convictions et des certitudes irrationnelles, en réalité des croyances religieuses, nanties de toutes les manifestations de la religion… L’écologie a ses grands prêtres, ses rites, ses prophètes, ses excommunications. Elle ne laisse pas parler ses opposants, ce qui est le signe d’une religion et non d’une science. C’est donc au nom de cette religion immanente et païenne que nous réintégrons toutes les dimensions indispensables de l’existence qui auparavant étaient prises en compte et cultivées par le christianisme. »17
Avec un catéchisme que l’on apprend aux enfants dès la maternelle. Avec ses dogmes notamment celui de l’anthropocène. Nous serions entrés dans une nouvelle période géologique, où par l’homme aurait irrémédiablement influencé la géologie et les écosystèmes. Bien que cette notion d’anthropocène ne soit pas admise par la communauté scientifique géologique, car insuffisamment fondée, elle est diffusée largement dans certaines universités catholiques comme l’Université Catholique de l’Ouest ou UCO, dans le cursus des sciences de l’éducation.
« Aujourd’hui, on voit des institutions catholiques vouer leur dévotion… au culte de Gaïa, forme de cosmothéisme post moderne. »18
En février 2022 se tenait un colloque sur « la théologie face à Gaïa » organisé par les Bernardins, le Centre Sèvres des Jésuites, et l’Institut catholique de Paris, à l’affût de toutes nouvelles tendances. L’objet était de corriger la théologie de fond en comble afin de revoir la dogmatique, sur le péché originel, la domination masculine, l’exclusion des minorités sexuées ou asexuées. Autrement dit, se rendre compatible à l’écospiritualité inclusive de l’hypothèse Gaïa.
Chantal Delsol ne mâche pas ses mots. Sa sagesse héritière de son expertise en philosophie et son intelligence de la Foi, éclairent de manière singulière ces « pasteurisations » théologiques.
« Une partie de l’Église… glisse vers le panthéisme. L’ardeur des partisans de Gaïa à convertir nos théologiens peut traduire la volonté jubilatoire d’anéantir un adversaire agonisant. La crédulité nigaude avec laquelle les institutions catholiques se jettent sur l’appât, peut traduire la joie de se sentir intéressant et important fut-ce pour se voir sommé de disparaître… On peut, pour survivre, tenter de se mettre d’accord avec ses adversaires, tâchant de se sauver en se perdant. Il s’agit en tout cas, et très certainement, d’une forme de rejet de soi, culpabilité des anciens oppresseurs après une inversion normative. Ce type de manifestation montre et démontre le mal-être de l’institution ecclésiale, et probablement aussi son inadaptation au monde présent. Il est normal et utile de promouvoir des rencontres avec des courants opposés… Mais dialoguer n’est pas se dissoudre dans les thèses de l’adversaire, et on n’a pas besoin de cesser d’exister pour être tolérant — c’est même le contraire…
Par ailleurs, quand le discours de vérité se débarrasse des dogmes par crainte de la raideur, et de trop de certitude, peut-on parler encore de mission ? »19
L’écospiritualité a ses dogmes, notamment celui qui érige nos devoirs religieux envers le cosmos que l’on aurait offensé, supplantant le premier commandement, celui d’aimer Dieu de tout son cœur de toute son intelligence et de tout son cœur, mais aussi celui d’aimer son prochain comme soi-même.
La Rédemption viendrait-elle des énergies de la nature, auxquelles nous aurions à fusionner, ou de la communion au au Christ, seul Rédempteur et Sauveur ?
1 Études – mars 2023 – n° 4302, L’écosipritualié, un chemin entre terre et ciel, Michel Maxime EGGER.
2 Grégoire Palamas, « Cent cinquante chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques »,
n° 104, La Philocalie, tome II, Desclée de Brouwer – Jean-Claude Lattès, 1995, p. 518.
3 https://sosdiscernement.org/a-menu/anthroposophie/
4 https://sosdiscernement.org/biodynamie-risque-de-lanthroposophie/
5 Jean-Baptiste Malet, « Le système Pierre Rabhi », Le Monde diplomatique, août 2018
6 https://www.ccmm.asso.fr/?s=Pierre+Rabhi
7 Henri Hartung L’Iris et le lotus – Longue marche sur le chemin initiatique. Éditeur Tredaniel 1990.
8 Née en 1950 en Polynésie française où son père était pasteur, Lytta Basset, théologienne, pasteure, formatrice en accompagnement spirituel, est l’auteure d’ouvrages remarqués où elle mêle audacieusement théologie, psychologie et expériences extrasensorielles. (https://www.generations-plus.ch/societe/lytta-basset-la-mort-et-moi-624)
9 Michel Maxime Egger, Écospiritualité : réenchanter notre relation à la nature, Genève, Éditions Jouvence, 2018, p. 12.
10 Cité par Père Jean-Christophe Thibaut, l’agriculture biodynamique Méthode bio ou pratique occulte ? » Collection Un regard chrétien sur… Ed Artège mai 2024, p. 163
11 Philippes Desbrosses, L’intelligence verte. L’agriculture de demain, Ed du Rocher1997.
12 Philippes Desbrosses, Agricultures biologiques. Préservons notre futur, Ed du Rocher1998.
13 Philippes Desbrosses, Nous redeviendrons paysans ! Ed du Rocher,1993.
14 Joshn Soper, Pour comprendre le Cours aux agriculteurs de Rudolph Steiner, Le Courrier du livre, 1992.
15 Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Ed Cerf nov 2012, p.101.
16 Lettre apologétique de la fin du IIe siècle d’un auteur chrétien qui annonce la nouveauté radicale du christianisme au regard du paganisme.
17 Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Ed Cerf nov 2012.
18 Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Ed Cerf nov 2012. P. 148.
19 Chantal Delsol, La fin de la chrétienté, Ed Cerf nov 2012. P. 151 à 153.
Voir aussi le podcast métadechoc, l’écospiritualité