Stress, traumatisme et harcèlement

Une conférence (25 octobre 2001) de Didier ANTHOR, Psychothérapeute, Consultant senior en ressources humaines.

Cet exposé constitue une tentative de précision sur les notions de stress, de harcèlement et de traumatisme ainsi qu’une approche des liens que ces notions entretiennent entre elles.

L’usage des notions

Depuis Saussure, nous savons que le signe linguistique est aléatoire et que de même il y a plusieurs niveaux de langue. Un même mot a plusieurs sens et plusieurs usages avec des publics et des contextes différents. Le mot stress dans un domaine médical va faire référence à dès phénomènes biologiques, avec notamment, la production de substances telles que l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol. Le même mot stress, chez les psychologues va désigner un état psychologique, avec trois phases : la phase d’adaptation, la phase de résistance, la phase de dépassement. Dans le grand public, le stress désigne la pression mentale ressentie dans une situation : par exemple, il est commun de dire « ici tout le monde est stressé ! », « ici on manage par le stress ».

En fait, les trois notions qui nous intéressent (stress, harcèlement et traumatisme) sont passées d’un domaine scientifique à un usage grand public. Il y a actuellement une banalisation de la notion de harcèlement qui sert à la fois deux maîtres : l’intégration dans notre système de connaissance d’un phénomène nouvellement reconnu socialement et une protection contre celui-ci. En affirmant à qui veut bien l’entendre que tout le monde peut être stressé, harcelé, traumatisé, les individus se défendent magiquement, tentent au niveau des mots de nier leur fragilité.

La souffrance et la destruction que représentent ces processus sur les plans psychique et biologique. Chacun de ces processus peut conduire à la mort par pathologie ou par suicide. À la réception téléphonique du centre de prévention, 25 % des appelants confient avoir fait au moins une tentative de suicide. Les psychothérapeutes, accueillent des personnes qui sont hémiplégiques, en énurésie secondaire ou atteints de bien d’autres maux, à la suite d’un harcèlement moral au travail.

Pour avancer dans la compréhension, abordons en premier la notion de stress, sujet principal de l’exposé de ce soir.

La définition du stress

Le stress se manifeste, quand, face à un événement qu’elle considère comme important et comme une menace éventuelle, une personne doit juger de ses ressources personnelles et sociales afin d’être en mesure d’assumer la situation. Il lui faut alors élaborer des stratégies d’ajustement pour en réduire la perturbation ; si la mobilisation des ressources permet de le faire, cela va constituer une expérience positive qui renforce le sujet (c’est un stress normal), dans le cas contraire, cela va introduire un dysfonctionnement chez la personne, qu’elle va traiter grâce à ses défenses habituelles, si le dysfonctionnement s’installe, il va entraîner des pathologies psychiques et physiques (c’est un stress chronique).

Le stress est une réponse non spécifique à la situation ; que l’agent stresseur ou la situation soient plaisants ou désagréables, cela n’est pas important « la seule chose qui compte, est l’intensité de la demande de réajustement ou d’adaptation ». Le stress a trois objectifs : il focalise l’attention, il mobilise les capacités mentales et il incite à l’action. De nature réactionnelle, le stress disparaît lorsque disparaît le stresseur.

Si l’on peut mieux décrire les différents états du stress et voir en quoi le même mécanisme d’adaptation à une situation peut dans certains cas être favorable pour la personne, dans d’autre cas néfaste, on serait tenté de voir dans la situation extérieure au sujet, la cause de cette distinction importante. La tentation est grande ; une typologie des « mauvais cas de figure » pourrait rendre d’énormes services en matière de santé. En réalité, ce n’est pas la situation qui doit être qualifiée de stressante, mais c’est essentiellement l’évaluation subjective faite par la personne qui importe. Il nous faut renoncer ici à une illusoire description objective de faits contrôlables et ayant la même valeur pour tous. C’est toujours de la particularité de la réactivité actuelle de la personne, en rapport avec l’événement, qu’il faut partir pour comprendre ce qui se passe pour le sujet. Ce qui compte ici, c’est premièrement de voir comment la situation est perçue (quels sont les éléments d’information ont été sélectionnés par la personne, quels sont ses moyens de comparaison, en tenant compte de ses capacités physiologiques, cognitives et émotionnelles). et deuxièmement, d’examiner comment la situation a-t-elle été interprétée.

Plusieurs études confirment que c’est le stress perçu par les personnes concernant les événements de leur vie quotidienne et le passé récent qui est le plus prédictif des troubles de la santé psychologiques et physiques ultérieurs, alors que la gravité objective de l’agent stresseur est moins prédictif sur les troubles psychologiques et physiques et ce, avec une grande variabilité d’un sujet à l’autre.

Nous retiendrons la définition de l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail ; le stress « survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement de nature psychologique. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité ».

Les liens entre stress et harcèlement

Il n’y a pas à confondre stress et harcèlement. Les deux notions ne se superposent pas dans un usage équivalent, mais elles entretiennent néanmoins des rapports entre elles.

Tout d’abord le stress désigne un état psycho-physiologique de l’individu, alors que le harcèlement un phénomène psycho-social, impliquant une dimension relationnelle entre une personne qui subit ce harcèlement et une autre personne ou un groupe de personnes qui mettent en œuvre ce mode de rapport à autrui. D’un côté, dans le harcèlement, on a affaire à une situation globale, d’un autre, dans le stress il s’agit plutôt de la conséquence du premier sur le second (du harcèlement sur le stress), d’un état de réaction adaptative de la personne, mettant celle-ci en défense, quand elle se sent soumise à une agression ou à une menace.

Pour le harcèlement, si l’on se réfère à la définition de la loi sur le harcèlement adoptée en 2002 qui précise : « Art. L. 122-49. – Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » ; la traduction sur le plan psycho­physiologique de l’altération de la santé physique ou mentale consiste, en un premier temps, dans le déclenchement d’un état de stress chez la personne qui subit le harcèlement.

Invariablement le harcèlement moral au travail va engendrer cet état de stress et le prolonger, car harcèlement rime avec durée et répétition. Les effets de ce harcèlement sur la santé de la personne seront comparables à ceux décrits dans la troisième phase de l’état de stress (stress dépassé).

Le harcèlement va produire les désordres sur la santé imputables au stress, mais sans pour autant en constituer une cause spécifique. Par exemple, le « BURN OUT » aboutit aux mêmes résultats que le harcèlement moral, sans y être assimilable. Le stress n’est pas un état pathologique, c’est son maintien de manière forcée pour la personne qui va produire la dégradation de la santé, par le dépassement des capacités d’adaptation du sujet, par l’ouverture d’une crise, par l’épuisement de ses ressources, par l’installation d’une conduite de survie où les défenses engagées peuvent déboucher sur l’instauration d’un état pathologique.

Ce que l’on observe, c’est que le harcèlement va dans une première phase développer l’état de stress, l’aggraver dans ses effets, mais les conséquences mortifères du harcèlement ne peuvent se résumer au seul état de stress.

Il y a un saut phénoménologique fondamental entre stress et traumatisme. La gravité des destructions qu’inflige le processus de harcèlement tient davantage à l’installation d’un syndrome post-traumatique.

Mais avant d’aller plus loin et dans les rapports entre harcèlement et traumatisme prenons quelques instants pour distinguer encore harcèlements et stress.

Dans une première phase, où l’on subit le harcèlement moral, les signes de manifestations sont effectivement ceux du stress.

La différence entre une pression externe et le harcèlement, c’est que celui-ci est un processus qui dure et qui s’aggrave. Si, dans la situation de travail, cela ne dépasse pas cette première production de stress, un repos réparateur à la dimension de l’atteinte suffira à rétablir l’équilibre ; ou bien dans l’organisation du travail, un changement positif des conditions d’activité permettra d’obtenir une amélioration.

Le harcèlement se caractérise par la durée et la répétition que subit la personne, c’est ce qui va faire entrer celle-ci dans une deuxième phase ; les symptômes vont empirer et constituer alors une atteinte durable de la santé de la personne. Aux premiers symptômes, vont s’ajouter d’autres avec notamment l’élévation des troubles neurovégétatifs. À partir de cette deuxième phase, on peut dire que le harcèlement n’épargne personne.

Il y a des différences qualitatives particulières des individus pour résister au stress ; mais le harcèlement lui, fait plier tout le monde.

Il est dès lors difficile de conserver un état de santé et des relations sociales, le harcèlement est aussi un processus d’isolement global, avec l’environnement professionnel, avec l’entourage familial et avec ses propres ressources. Le harcèlement va enclencher le développement de ressources de défense de la personne à un niveau inhabituel.

Dans la troisième phase du harcèlement, c’est l’entrée à proprement parler dans un syndrome post-traumatique qui pose sa marque irréversible au cœur de la psyché de l’individu. Même si on a affaire à un management par le stress, il y a une différence essentielle, car dans ce cas de situation productrice de stress, il n’y a pas d’intentions malveillantes comme dans le harcèlement, ni de développement de relation passionnelle avec tous les sentiments qui l’accompagnent. L’objectif reste alors la production ; alors que dans le harcèlement c’est la soumission qui est visée. Le harcèlement met en œuvre un autre type de rapports à l’autre, c’est l’emprise et le déni d’autrui comme sujet, qui est instauré et c’est cela qui constitue la cause essentielle du traumatisme chez la victime de harcèlement moral, quel que soit le type de harcèlement moral au travail : hiérarchique, par les pairs ou par les subordonnés.

Le harcèlement et le traumatisme

Le harcèlement ne correspond pas au schéma classique du traumatisme où, à un choc, s’ensuit un état traumatique, le harcèlement par sa durée et sa répétition de l’attaque constitue ce que l’on appelle un traumatisme cumulatif : la succession et la potentialisation de mini-chocs conduisent au même état pathologique que celui dû à un seul choc. Bien que le stress puisse conduire à la mort par épuisement progressif, rappelons que ce n’est pas le but premier de ce mécanisme psycho-biologique, mais bien au contraire l’adaptation à situation importante pour l’individu. Le stress est une réponse non spécifique tandis que l’état post-traumatique constitue la mise en place d’un ensemble de défenses comme réponse spécifique à une situation humaine très particulière.

Le traumatisme ne signifie pas, utiliser ses propres défenses, mais plutôt, le dépassement de celle-ci.

« L’angoisse constitue une protection contre le choc (schrek, la peur). Dans la mémoire traumatique, il semble que l’esprit n’ait pas eu le temps de recourir à cette protection et qu’il ait subi, sans y être préparé le traumatisme. Sa reichchutz (sa défense contre les stimulis) est débordée, il se voit frustré de sa fonction principale et primaire, celle d’éloigner les excitations excessives. » 28 février 1919, Lettre E. JONES FREUD

La différence essentielle entre stress et traumatisme, c’est que, le trauma lui, inclut d’emblée pour la personne la rencontre avec sa propre mort. C’est le fait de subir l’impensable qui détruit, de rencontrer une ou plusieurs personnes, qui ont à votre égard une visée destructrice, que celle-ci soit consciente ou non chez l’agresseur. Celui-ci déploie bien souvent, ses capacités pour ne pas être perçu tel quel par l’entourage et ses défenses pour ne pas voir les conséquences de ses conduites. La situation sera plus grave encore, lorsque l’on découvre l’intention meurtrière, que l’on perçoit confusément que l’autre « veut ma propre mort » ; on plonge alors dans un autre monde. La découverte de la haine, chez l’autre, mais aussi chez soi, la saisie dans ses tripes de la violence, fait basculer la personne dans une descente aux enfers. Les victimes entrent dans un fort ressenti de sentiments mêlés de culpabilité, de honte et de peur, surtout, le plus intenable est d’être confronté sans cesse à une perception de l’horreur (l’effroi).

De cette entrée dans le post-traumatique, s’en suit un cortège de symptômes :

La dépression s’installe plus ou moins fortement en fonction de la personnalité, de son hygiène de vie et du soutien de son entourage. Le risque majeur reste le suicide.

Certaines addictions s’installent, avec des dépendances au tabac, à l’alcool et aux toxiques, mais également à certains médicaments psychotropes.

Les troubles du comportement alimentaire se développent aussi.

La pathologie somatique s’aggrave et se multiplie également. Le harcèlement, non stoppé, conduit régulièrement au développement de pathologies chroniques sévères fortement invalidantes, telles que la fibromyalgie, des atteintes cardiaques ou neurologiques.

En plus de ce tableau de dommages subis, le harcèlement va progressivement installer la personne dans ce qui est décrit par le terme d’État de Stress Post-Traumatique (ESPT) ; lequel est bien mal nommé, car il ne s’agit pas de stress, mais c’est la référence américaine en psychiatrie.

Cet état se caractérise par :

– les réactions à l’état de choc (ex : panique, crise d’angoisse…)

– des conduites d’évitement – le simple fait pour la personne harcelée de passer devant le lieu du travail peut provoquer des malaises,

– des pensées intrusives – les événements blessants du harcèlement reviennent continuellement en flash de manière involontaire dans la représentation mentale.

– des somatisations diverses.

Le syndrome post-traumatique est d’une nature radicalement différente du stress. Il pousse la personne vers la mort, par pathologie ou suicide.

Cela pose d’ailleurs un problème de fond pour la santé publique en ce qui concerne le traitement de ce harcèlement ; les victimes sont mal soignées ; c’est le premier risque de survictimation. Cela va de la dénégation de la souffrance « Allez, il faut retourner au travail, maintenant », jusqu’au traitement médicamenteux lourd et inapproprié.

L’expérience de plusieurs années d’accueil des personnes victimes de harcèlement permet d’affirmer que tout harcèlement sérieux doit être pris en charge sur le plan psychologique avec si possible, un psychothérapeute spécialiste en victimologie.

Le harcèlement est un fléau social, son traitement fondamental doit être placé au niveau de la prévention au sein des entreprises et des services, avec une élévation de la conscience éthique dans les relations de travail.

Le harcèlement pose la question du sort de l’humanité, du retour de la barbarie dans notre civilisation dominée par un économique inféodé au financier.

Didier ANTHOR, psychothérapeute, consultant senior en ressources

Le site du Cepvim sur lequel j’avais trouvé cet article n’existe plus. Vous pouvez retrouver Didier Anthor ici.

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