par Eve Seguin, Acfas Magazine
Eve Seguin, Professeur-e- d’université, Université du Québec à Montréal, détient un doctorat en sciences politiques et sociales de l’Université de Londres (Royaume-Uni). Spécialiste du rapport entre politique et sciences, elle est professeure de science politique et d’études sociales sur les sciences et les technologies à l’UQAM. Ses recherches portent sur les controverses technoscientifiques publiques, l’interface État/sciences/technologies, et les théories politiques des sciences.
Si vous êtes chercheur dans une université, il y a de fortes chances que vous ayez initié un mobbing, participé à un mobbing, ou détourné les yeux d’un mobbing. Pourquoi? 1. Parce que les mobbeurs, actifs et passifs, ne sont pas des sadiques ou des sociopathes, mais des gens parfaitement ordinaires. 2. Parce que les universités sont des organisations qui favorisent le mobbing. 3. Parce que, de fait, le mobbing est endémique dans les universités1 .
Définir
Avant d’aller plus loin, clarifions la terminologie. Au Québec, le mobbing n’existe pas. En effet, la Loi sur les normes du travail se contente de parler de « harcèlement psychologique », une dénomination vague recouvrant plusieurs phénomènes. Si de nombreux chercheurs et intervenants parlent plutôt de « harcèlement psychologique collectif » pour designer le mobbing, on ne trouve aucune occurrence de ce syntagme dans le document de la Commission des normes du travail qui présente la Loi, son interprétation, et la jurisprudence2 .
Le mobbing est un grave dysfonctionnement organisationnel, que la qualification tant de « harcèlement » que de « psychologique » masque entièrement, même si on y appose l’adjectif « collectif ». Mobbing vient du terme anglais mob, qui désigne un regroupement plus ou moins incontrôlable de personnes cherchant à exercer de la violence. De fait, cette définition pointe vers quatre traits essentiels du mobbing. 1. C’est un processus collectif. 2. C’est un processus violent, et même d’une extrême violence, que la littérature spécialisée compare au génocide et au viol. 3. Cette violence est délibérée. 4. La psychologie individuelle des agresseurs et de leur victime ne fournit aucune clé pour comprendre le phénomène.
Le mobbing est souvent assimilé au bullying; or les deux phénomènes devraient être distingués3 . Le bullying est une forme de harcèlement psychologique puisque la victime souffre consciemment, jour après jour, des remontrances, des reproches, des demandes de performance irréalistes, des critiques, des insultes, des pressions, des sautes d’humeur, sans jamais voir reconnaître la valeur du travail qu’elle accomplit. Le scénario typique est celui du directeur qui victimise sa secrétaire4 . Cette dynamique, pour accablante qu’elle soit, peut se régler relativement facilement quand des supérieurs hiérarchiques ou le service des ressources humaines sont alertés. La victime est alors mutée dans une autre unité de l’organisation.
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