Le développement personnel cartonne. Livres et coach fleurissent et nous permettraient de résoudre tous nos problèmes moyennant un certain coût. Alors, vraie solution pour tout le monde ou un sacré coup marketing ?
Avec
- Albert Moukheiber Psychologue clinicien, docteur en neurosciences cognitives
- Camille Teste Militante féministe, professeure de yoga et autrice
- Christie Vanbremeersch Formatrice et écrivain
Si vous avez poussé les portes d’une librairie pour y trouver l’ouvrage de vos vacances, vous avez sûrement remarqué la place prise désormais par le rayon Vie pratique. Auparavant, c’était le refuge des livres de cuisine et des manuels de culture physique. Mais si ces livres existent, leur rayon abrite désormais des ouvrages de développement personnel et il s’étend de plus en plus face au succès de ces manuels, guides et méthodes censés nous apprendre à mieux vivre.
Un podcast de 56 mn, le débat de midi sur France Inter, avec Jean-Matthieu Pernin
L’altruisme efficace, Les quatre accords toltèques, Le pouvoir de la confiance en soi, sont quelques-uns de ces succès de la littérature de développement personnel. Un genre qui se vend très bien, notamment après la crise sanitaire qui a vu bondir les achats de livres de 19 % en France et 6 millions de livres vendus entre mai 2021 et avril 2022.
Les applications, les podcasts, les émissions se multiplient sur le sujet et le monde entier semble avoir trouvé le chemin pour répondre à ces problèmes existentiels. Très appréciés par certains, décriés par d’autres pour le côté pensée magique enrobée de marketing, pourquoi le développement personnel rencontre-t-il un tel succès ?
Des livres qui correspondent à notre époque ?
Le développement personnel ne date pas d’hier. Il serait né au XIXe siècle, mais aujourd’hui, on voit un véritable phénomène du coaching et sur plein de supports différents. Selon le psychologue Albert Moukheiber, ce sont les mêmes mécanismes que pour les régimes alimentaires : « Que ce soit par la pensée magique ou bien la loi de l’attraction, ce sont toujours les mêmes ficelles. Lorsqu’on va mal, on va avoir tendance à individualiser les sujets. On se sent responsable alors que ce n’est pas le cas. Nous sommes des animaux sociaux, il y a donc plein de facteurs systémiques. Mais ça arrange beaucoup de personnes. Par exemple, s’il y a un problème dans une entreprise, le patron ne va pas augmenter les salaires ou améliorer les conditions de vie et de travail, il va embaucher un coach qui va devenir responsable du bien-être de l’entreprise. »
Aller mal, cela existe depuis toujours, et les solutions magiques ne sont pas nouvelles. On les retrouve dans L’Oracle de Delphes par exemple, où déjà, on retrouve une vision curative de la santé et de la psychologie : « On oublie complètement les déterminants sociaux, hiérarchiques. C’est ce qui se passe actuellement dans certaines boites, où l’on considère que l’entreprise est une famille. »
La quête de la meilleure version de soi-même
Nous vivons dans une époque individualiste où les livres de développement personnel en sont le reflet. Pour Camille Teste : « C’est comme un piège issu du néolibéralisme qui nous rend responsables de nos malheurs et de nos bonheurs. C’est la quête de la meilleure version de soi-même. Là où c’est pernicieux, c’est ce que la philosophe slovène Alenka Zupančič appelle l’impératif bio moral. Non seulement, il faut travailler sur soi, développer tout un tas de pratiques pour aller mieux, mais en plus, si vous ne le faites pas, vous êtes une mauvaise personne. C’est devenu une question morale. » À lire aussi : Le développement personnel fait-il du mal aux femmes ?
Les coachs, les nouveaux psys ?
Aujourd’hui, les coachs sont partout, et pour beaucoup de personnes, il est plus facile de dire que l’on voit un coach qu’un psy. Pour le psychologue Albert Moukheiber : « Au départ, le coaching était uniquement dédié aux compétences professionnelles. Par exemple, si vous aviez une entreprise de dix personnes qui grossissait jusqu’à avoir 200 salariés et que vous ne saviez pas gérer ça, on faisait appel à un coach qui vous formait au management. Petit à petit, il y a eu un glissement où les coachs ont commencé à gérer les angoisses, la qualité du sommeil… Il y a une grande partie du business du coaching, où on forme des coachs à devenir coach, où les gens se découvrent une compétence de coach. Ça rapporte beaucoup plus d’argent de vendre une formation que des séances individuelles qui risquent de s’arrêter.
Le coach n’a pas non plus les mêmes contraintes qu’un psy. Si un psy veut développer sa thérapie, il doit faire un groupe expérimental, valider sa méthode par des confrères, la publier dans une revue scientifique, voir s’il y a des facteurs confondants, alors qu’un coach peut simplement dire qu’il a trouvé une technique qui marche, en faire une méthode, et la certifier. »