Quête de soi, bricolage religieux… Qui sont les « nouveaux spirituels » d’aujourd’hui ?

Entretien avec Marc Bonomelli, auteur des Nouvelles routes du soi (Arkhê, 2022). Site du journal La Croix 17/8/23. Recueilli par Marguerite de Lasa.

Le journaliste Marc Bonomelli s’est immergé pendant deux ans dans les milieux des « nouveaux spirituels », et en a fait un livre Les Nouvelles Routes du soi (Arkhê, 2022). Des retraites chamaniques au culte de Gaïa ou au yoga, il y décrit la multiplicité des pratiques de ces nouveaux spirituels et la quête de sens dont elles témoignent.    

La Croix : Comment distinguez-vous les nouvelles spiritualités des religions traditionnelles ?

Marc Bonomelli : Aujourd’hui, un certain nombre de « nouveaux spirituels » considèrent les dogmes et les institutions religieuses comme un enfermement. En même temps, ils vont chercher des traces de transcendance dans différentes traditions religieuses, ce qui va donner lieu à des syncrétismes, à une forme d’hybridation très caractéristique. Je les appelle des « créatifs spirituels » parce qu’on ne met pas suffisamment l’accent sur l’investissement de ces personnes dans la recherche d’une vérité, d’un alignement, d’une authenticité.

Quel est le rapport de ces nouveaux spirituels aux religions et notamment au christianisme ?

M. B. : Certains vont opposer spiritualités et religions, même si Jésus et Marie sont toujours considérés comme des figures inspirantes. Beaucoup estiment aussi que chaque religion recèle une facette de la vérité, chacune d’entre elles incarnant une voie particulière pour arriver au même sommet.

Si le mot de vérité revient souvent chez les nouveaux spirituels, il ne désigne pas une vérité dogmatique. Certains rejettent d’ailleurs le catholicisme parce qu’ils considèrent que la vérité y est assimilée à un catalogue de dogmes auxquels il faudrait adhérer. Eux recherchent au contraire une transformation intérieure. Pour eux, être dans la vérité signifie être authentique, être vrai avec soi-même, trouver son soi.

Cette recherche peut passer par des expériences diverses : beaucoup de gens vont faire de la méditation, du yoga, du chamanisme, en cherchant ce qui est juste pour eux. Ils s’efforcent pour cela de se mettre à l’écoute de leur corps, qui leur envoie des signaux. Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle est un exemple de pratique spirituelle catholique réinvestie par les nouveaux spirituels pour se reconnecter à l’essentiel, à eux-mêmes, à la nature. Aujourd’hui, les nouvelles spiritualités remettent le corps et le sensible à l’honneur.

Ne peut-on pas y voir une forme de consumérisme des pratiques et des expériences religieuses ?

M. B. : Cette critique est tout à fait légitime. Effectivement, l’offre de nouvelles pratiques spirituelles est toujours plus grande pour des personnes en quête de mieux-être et de sens. Les réseaux sociaux jouent d’ailleurs un rôle crucial dans la diffusion de ces nouvelles spiritualités, ainsi que dans l’uniformisation des discours et des croyances. Mais la multiplication des expériences est aussi vécue par les nouveaux spirituels comme une manière d’éviter l’aliénation, de conserver leur autonomie et leur distance critique. Souvent les gens craignent les sectes, les gourous, et ils ne souhaitent pas être enfermés dans une religion. Beaucoup de nouveaux spirituels se considèrent toujours en chemin.

Dans ces spiritualités, qui mettent l’accent sur la quête de soi, n’y a-t-il pas un risque d’égocentrisme ?

M. B. : La quête du soi dont parlent les nouveaux spirituels, c’est ce qu’il y a de divin en nous. Ils distinguent d’ailleurs souvent l’ego et le soi. Le soi désigne le soi authentique qu’il faut faire vivre et rayonner à travers toutes sortes de pratiques. Cela s’inscrit très souvent dans un projet éthique écologique. L’aspiration à la communauté est très présente dans ces milieux : le boom des écovillages témoigne notamment d’un besoin de cultiver des relations plus authentiques avec les autres, qui ne seraient pas basées sur des masques ou sur des jeux sociaux. L’idée selon laquelle pour pouvoir aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même est très présente.

Quelle vision de Dieu portent les nouveaux spirituels ?

M. B. : L’expression : « Dieu est en nous » revient souvent, mais cela ne veut pas dire que Dieu n’est qu’en nous. Certes, les nouveaux spirituels parlent moins de la prière, ou d’une relation personnelle avec Dieu que les chrétiens, même si cela existe. Tout en considérant que Dieu n’est pas une personne, certains prient l’univers par exemple. Les catholiques pointent souvent du doigt « une spiritualité impersonnelle ». Je crois qu’on pourrait davantage parler d’une spiritualité transpersonnelle. Un certain paradigme animiste revient, avec l’idée selon laquelle l’âme est présente dans l’arbre, dans le cosmos, la lune et les étoiles.