Le bruit des bots

Grégory Aimar

L’intelligence artificielle et le réchauffement climatique sont les deux grands enjeux du XXIe siècle, et ils ont deux points communs : premièrement, impliquer des risques inédits pour l’humanité, qui ont été identifiés par des scientifiques, des philosophes et des artistes depuis le siècle dernier, et, deuxièmement, ne susciter malgré les alertes que très peu de réactions de la part des gouvernements ou de la population, qui assistent, comme médusés, à l’inflation de leurs effets sur le monde. Com- ment expliquer un tel paradoxe ? Une partie de la réponse se trouve dans les racines mêmes de ces menaces existentielles : le matérialisme.

(…)

Les croyances matérialistes

La possibilité pour un être humain d’imaginer l’existence d’une conscience artificielle repose sur sa vision matérialiste du monde. Une vision qui a émergé à la faveur du recul de la religion dans nos sociétés et avec le soutien d’une partie de la communauté scientifique. À titre d’exemple, citons Guillaume Dumas, professeur agrégé de psychiatrie computationnelle à l’université de Montréal : « Notre modèle démontre comment la convergence neuro-IA met en évidence les mécanismes biologiques et les architectures cognitives qui peuvent […] conduire à la conscience artificielle », déclarait-il à SciTechDaily en novembre 2022 (4). Et l’idée n’est pas nouvelle. En 2014, Christof Koch, scientifique en chef et président du Allen Institute for Brain Science, affirmait déjà dans un article pour le MIT Technology Review : « Si vous pouviez construire un ordinateur doté des mêmes circuits que le cerveau, cet ordinateur aurait également une conscience qui lui serait associée. Il ressentirait le fait d’être cet ordinateur. Je ne dis pas que la conscience est une âme magique. C’est quelque chose de physique. (5) »

Dans cette optique, tout est fait actuellement pour convaincre le public que l’intelligence artificielle pourrait être douée d’une forme de sensibilité, voire de conscience, et qu’un jour les machines seront capables de remplacer les êtres humains dans presque tous les domaines. En fait, si l’on considérait le matérialisme comme une religion, l’intelligence artifi- cielle en serait le dieu. Une divinité omnipotente et omnisciente, dont les technoprophètes attendent la venue comme le messie. Depuis 2021, les membres de certains groupes Facebook peuvent publier des demandes de prières. Une fonctionnalité qui a été développée par l’entreprise en parte- nariat avec le créateur de YouVersion, une application biblique populaire. Et ce n’est qu’un premier pas, Sarah Lane Ritchie, maître de conférences en théologie et en sciences à l’université d’Édimbourg, en est persuadée : « Je ne pense pas que nous sachions encore toutes les manières dont ce mariage entre les Big Tech et l’Église se déroulera. (6) »

LIRE L’ARTICLE DANS LA REVUE DES DEUX MONDES

Un autre article de Grégory Aimar

La chaîne YT de Grégory Aimar

L’état de sidération et de dissociation

Sidération et dissociation pendant un viol : les 2 mécanismes de survie du cerveau contre l’arrêt cardiaque

Sur le site Madmoizelle.com

Lors d’une expérience traumatique intense, le cerveau mobilise deux mécanismes d’urgence : la dissociation et la sidération. C’est ce qui explique l’absence de réaction de nombreuses victimes de viol : un réflexe biologique de survie.

Plus d’un quart des Français·es estiment que « lorsqu’une femme ne réagit pas et ne s’oppose pas, on ne peut en aucun cas parler de violences sexuelles ».

Dans une société qui baigne dans la culture du viol, ces chiffres issus d’une enquête IPSOS réalisée pour l’association Mémoire traumatique ne sont pas vraiment étonnants.

Ne pas réagir, ne pas être en état de se défendre ou d’appeler à l’aide est fréquent chez les victimes d’agressions sexuelles et de viol, mais l’explication scientifique de ce mécanisme de protection n’est que rarement délivrée.

Pourquoi les victimes de viol ne se défendent pas ?

La youtubeuse de la chaîne Le labo de la légiste a ressorti ce week-end une vidéo datant de 2013. On y explique très bien quels étaient les mécanismes psychologiques et physiologiques à l’œuvre, pour comprendre cette absence de réaction chez de nombreuses victimes.

Michel Cymès et Marina Carrère y détaillent ce que sont les états de sidération, de dissociation, et le syndrome de stress post-traumatique.

https://twitter.com/LaboDeLaLegiste/status/964556304034484227

Impossible de réagir pendant une agression sexuelle ?

Tout démarre avec une partie de notre cerveau nommée l’amygdale : son rôle est de décoder les émotions, de gérer nos réflexes. En cas d’agression, c’est l’amygdale qui déclenche une série de réactions :

  • Production d’hormones du stress : adrénaline et cortisol
  • Celles-ci accélèrent le flux sanguin, le rythme cardiaque, la respiration
  • Les muscles sont contractés pour être prêts à la fuite

Mais ces réactions initiées pour la survie peuvent entraîner une « surchauffe ». Marina Carrère détaille les réactions en chaîne :

« Les centres nerveux au niveau du cortex censés analyser et modérer les réactions sont comme dépassés par les signaux d’alerte. »

La victime est incapable de réagir car l’élément de son cerveau censé gérer ses réactions de survie est entrain de s’enrayer. Elle est comme paralysée : c’est l’état de sidération.

En parallèle, le niveau de stress continue d’augmenter puisque l’amygdale fonctionne à plein régime, trop fort en réalité.

« Pour éviter que le survoltage provoque un arrêt cardiaque, le cerveau déclenche une sorte de court-circuit avec de la morphine et de la kétamine.

L’amygdale est isolée, la production d’hormones de stress est stoppée. »

« Hors de son corps » pendant une agression

Mais le corollaire de ce « court-circuit », salvateur sur le moment, est le fait que la victime de l’agression soit totalement coupée de ses émotions, comme spectatrice des événements.

C’est ce que décrivent de nombreuses victimes de viol, qui expliquent avoir eu l’impression de voir la scène « d’en haut », d’être « hors de leurs corps » : c’est l’état de dissociation.

Suite à cette mise en quarantaine de l’amygdale, le souvenir n’est pas évacué vers l’hippocampe, censé être le siège de la mémoire. Il est piégé dans une région du cerveau qui n’y est pas dédiée et va donc se constituer en « mémoire traumatique ».

La victime peut développer ce que l’on appelle un syndrome de stress post-traumatique.

Laure Salmona, citée dans un article sur les agressions sexuelles entre enfants il y a quelques mois, expliquait ce qui en découle :

« Comme cette mémoire n’a pas été intégrée et traitée, elle peut provoquer une amnésie de l’événement, et peut ressurgir n’importe quand. »

Si ce souvenir n’est pas assimilé via une thérapie par exemple, Laure Salmona détaillait que « des flashs peuvent surgir n’importe quand, en particulier lorsqu’on se retrouve dans un endroit qui rappelle l’événement traumatique, lorsqu’on voit l’agresseur, lorsqu’on sent une odeur, lorsqu’on se retrouve dans une situation similaire ».

« C’est comme si on revivait la scène, ça peut aller jusqu’à l’hallucination visuelle, auditive, ça peut être extrêmement douloureux. »

L’avantage de cette vidéo est qu’elle explique de manière très pédagogique les mécanismes physiologiques, des réactions naturelles, que les victimes ne sont pas en mesure de maîtriser.

De quoi expliquer que oui, une victime qui ne réagit pas reste une victime et n’est en rien responsable de son agression

"Je m’en voulais de ne pas avoir pu réagir…. Je suis restée dans cet état plusieurs jours, à ne même pas pouvoir en parler. Maintenant je comprends mieux ce qui s’est passé. Le cerveau disjoncte par protection… C’est un mécanisme neurologique de préservation de la vie…. En conditions extrêmes…. "

Le zozotérisme

« Les nouvelles croyances sont le produit de l’idéologie individualiste de notre époque »

Thierry Jobard, libraire, recueilli par Léo Laboureur, La Croix du 6 nov. 23

Libraire, Thierry Jobard remarque depuis plusieurs années la
prolifération d’ouvrages ésotériques. Il a publié Je crois donc je suis (Rue de l’échiquier), un essai critique sur les nouvelles croyances, symptômes de l’individualisme et du libéralisme contemporain.

Pourquoi, comme libraire, écrire sur les nouvelles spiritualités ?

Thierry Jobard : Depuis quelques années, j’ai remarqué un engouement spectaculaire pour les ouvrages ésotériques. J’ai été témoin de l’augmentation significative de leur production – on peut même parler de surproduction – et de leur vente. Après discussion avec des collègues libraires, j’ai compris que tout le marché du livre était concerné.

Cette augmentation concerne aussi les produits dérivés, comme les jeux de tarot ou les oracles qui élargissent le rayon ésotérisme. Même dans ma librairie, qui est généraliste et universitaire, il faut faire de plus en plus de place au rayon spiritualité.

Existe-t-il un « business » autour de ces nouvelles spiritualités ?

T. J. : Il existe un marché très prospère autour de l’édition de livres ésotériques. Avant, les ouvrages ésotériques restaient marginaux et édités par des maisons spécialisées. Maintenant, même les plus grandes maisons, comme Hachette, ont leur propre collection spécialisée dans l’ésotérisme. On remarque aussi la recrudescence de maisons d’éditions ésotériques, avec des collections encore plus spécifiques : chamanisme, sorcellerie, etc.

Mais le business ésotérique ne concerne pas uniquement les ouvrages. La vente d’oracles et autres pierres aux vertus bienfaisantes ne cesse d’augmenter. Avant, le marché de l’ésotérisme avait un public très ciblé. Tout se vendait dans des boutiques spécialisées pour « initiés ». De nos jours, avec sa démocratisation, notamment par les réseaux sociaux, les produits s’achètent un peu partout, y compris sur Internet.

Quelles distinctions faites-vous entre ces nouvelles croyances et l’ésotérisme traditionnel ?

T. J. : Il existe beaucoup de différences entre l’ésotérisme traditionnel et ce que j’appelle le « zozotérisme ». L’ésotérisme est à l’origine un savoir occulte, caché, transmis par un maître, créant une relation privilégiée avec ses « initiés ». Ces nouvelles croyances quant à elles sont disponibles partout et pour tout le monde. On peut se former en un clic sur Internet.

Mais c’est surtout dans leur dessein que les deux courants divergent. Historiquement, l’ésotérisme permet de déchiffrer un monde indéchiffrable, comprendre les mystères de la nature, de l’homme et plus généralement du monde. Le « zozotérisme », quant à lui, ne cherche pas de réponse mais des solutions. Comme pour le développement personnel, le sujet cherche à acquérir des connaissances pour mieux vivre, voire être plus performant.

Dans votre ouvrage, vous parlez de nouvelles spiritualités plutôt que de nouvelles religions, pourquoi ?

T. J. : Pour les adeptes de ces nouvelles pratiques, le terme religion est à bannir. La religion incarne l’autorité par le dogme. Il faut comprendre que ces nouvelles croyances sont le produit de l’idéologie individualiste et libérale de notre époque. On ne veut obéir qu’a une seule règle : celle qu’on se fixe. Le sujet décide lui seul de la manière dont il doit pratiquer sa croyance. C’est un véritable « marché de la croyance » où le consommateur est roi.

J’entends par marché de la croyance, la liberté de l’individu à choisir sa spiritualité. Or, le marché est fait pour vendre, ainsi ces nouvelles croyances doivent répondre au désir du consommateur, c’est-à-dire aux normes de son époque. Aseptisées, ces nouvelles spiritualités vont être modelées pour répondre aux critères de l’Occident. On va parler de chamanisme, tout en laissant les rites qui ne nous intéressent pas de côté. Il en va de même pour le yoga ou la méditation, on fait le tri dans les doctrines et on s’approprie ce que l’on souhaite.

Ces nouvelles spiritualités impliquent-elles une nouvelle manière de croire ?

T. J. : Le choix du terme « spiritualité » n’est pas anodin. En effet, ce terme est sémantiquement neutre et à la mode. Il est devenu branché de dire qu’on est « en quête de spiritualité ». Or, dans notre conception actuelle de la croyance, la foi, comme engagement total de l’individu mais aussi comme phénomène social, parce que partagé par beaucoup, est centrale.

Dans le cadre de ces nouvelles spiritualités, il s’agit plutôt d’une « croyance molle ». On peut passer d’un engagement à un autre, être chamaniste un jour, puis néo-druide un autre, on peut d’ailleurs assembler des croyances qui sont en totale contradiction. Ce n’est d’ailleurs pas anodin, si ces nouvelles croyances refusent toutes figures d’autorité relatives à une notion de communauté. Dans le christianisme, par exemple, la croyance organise une forme de vie sociale, ici, le rapport au spirituel est purement individuel et ne concerne que celui qui le pratique.


Auteur de Je crois donc je suis. Le grand bazar des croyances contemporaines, Rue de l’échiquier, 96 p., 12 €.

Il a écrit aussi

La mode du « développement personnel » ne se dément pas. Sans cesse, nous subissons une injonction à nous libérer de nos croyances limitantes et à acquérir un « surplus d’être » pour devenir un meilleur individu. Bien sûr, on pourrait penser qu’il n’y a là que de bonnes intentions : qui refuserait une version améliorée de soi-même ? Mais derrière les discours sucrés et inoffensifs, c’est à la montée d’une idéologie politique que l’on assiste.

Car la forme de bien-être promise par le développement personnel constitue trop souvent une exploitation de soi par soi… Dans ce monde merveilleux, tout tourne autour de cet axiome : quand on veut, on peut. Et si on ne peut pas, c’est qu’on ne veut pas assez. Le collectif disparaît de l’écran pour ne laisser que des individus responsables de tout à 100 % : de leur destin, de leur emploi, et même de leur santé ! C’est à cette vaste supercherie que s’en prend ici Thierry Jobard, preuves à l’appui…

Qui est Donna J. Haraway ?

“Laudate Deum” : une citation étrange

Le numéro 66 de l’exhortation du Pape François, Laudate Deum (2023), dit : « Dieu nous a unis à toutes ses créatures. Pourtant, le paradigme technocratique nous isole de ce qui nous entoure et nous trompe en nous faisant oublier que le monde entier est une “zone de contact”. » L’obscurité du texte, qui renvoie au panthéisme du “tout est lié”, est aggravée par la note de bas de page qui renvoie à un livre de Donna J. Haraway : When species meet, Minneapolis, 2008. (Traduction française: Quand les espèces se rencontrent, 2021.) 

Peu de gens connaissent Donna J. Haraway, qui a connu la célébrité surtout dans les années 1990. L’écrivain et philosophe est considérée comme chef de file d’un courant de pensée qui s’est baptisé “cyber-féministe”, “écoféministe” ou encore “féminisme post-humain” voire “post-gendrisme”.

La marque de fabrique de son travail – une attaque cinglante contre l’anthropocentrisme – est d’étendre la théorie du genre aux questions technologiques (telles la modification du corps humain) et, au-delà, au règne animal. Zoologiste et philosophe, elle a étudié à Yale, où elle a été honorée en tant que grande ancienne élève. Il convient de mentionner qu’elle a grandi avec une mère catholique et qu’elle a été éduquée par des religieuses du Colorado.

Il convient encore de mentionner qu’elle a bénéficié d’une bourse Fulbright – selon certains, un système de cooptation de personnes prometteuses pour faire avancer le programme de l’establishment anglo-américain – pour se rendre à Paris afin d’étudier la philosophie de l’évolution à la Fondation Teilhard de Chardin.

Le cyber-féminisme

La popularité de la penseuse américaine a commencé en 1985, lorsqu’elle a publié dans la Socialist Review son Manifeste pour les cyborgs : science, technologie et féminisme socialiste dans les années 1980, devenu ensuite simplement Manifeste Cyborg (publié en France en 2002).

Il s’agit d’un essai considéré comme un jalon du nouveau féminisme, qui, en fin de compte, nie l’identité des femmes et s’oppose à l’ancien féminisme. Haraway prône le dépassement des dualismes sociaux et biologiques : elle critique la structure binaire de la culture occidentale qui a généré des divisions entre des catégories telles que homme/femme et naturel/artificiel.

Ces dualismes, affirme Haraway, « ont tous été systématiques dans les logiques et les pratiques de domination des femmes, des personnes de couleur, de la nature, des travailleurs, des animaux… tous constitués en tant qu’autres ». Le concept de cyborg est ensuite présenté comme une synthèse libératrice, une entité qui représente une fusion de l’organique et du technologique, transcendant les distinctions traditionnelles de genre et de nature.

Le cyborg remet en question l’idée d’une nature humaine immuable, alors que de plus en plus de personnes utilisent la technologie pour étendre leurs capacités : les prothèses, les pontages, les appareils auditifs et même les dentiers peuvent indiquer que l’homme-machine est déjà une réalité. Le concept de cyborg représente un rejet des frontières rigides, en particulier celles qui séparent l’“humain” de l’“animal” et l’“humain” de la “machine”.

« Le cyborg ne rêve pas d’une communauté sur le modèle de la famille organique, mais cette fois sans le projet œdipien. Le cyborg ne reconnaîtrait pas le jardin d’Eden ; il n’est pas fait de boue et ne peut rêver de redevenir poussière », écrit le Manifeste de Haraway.

Antispécisme et haine de la natalité

Dans ses deux livres des années 1990 Primate Visions : Gender, Race, and Nature in the World of Modern Science (1990, non traduit) et Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature (1991), Haraway revient à la métaphore du cyborg pour expliquer comment les contradictions fondamentales de la théorie et de l’identité féministes devraient être jointes, plutôt que résolues, d’une manière similaire à la fusion de la machine et de l’organisme chez les cyborgs.

Dans ce texte, Haraway critique le capitalisme en révélant comment les hommes ont exploité le « travail reproductif » des femmes de sorte qu’elles ne parviennent pas à une égalité totale sur le marché du travail. Donner naissance à un enfant représente donc une grande menace pour la vie d’une femme de carrière.

La philosophe a insisté sur ce point dans un texte plus récent intitulé Making kin, issu d’un groupe de travail avec cinq autres féministes. L’essentiel de l’argument est qu’il ne faut pas faire d’enfants – un acte polluant, qui génère d’autres problèmes – mais réorganiser dans un sens “familial” les personnes qui existent déjà.

Quelque chose entre la re-tribalisation de la société et la tentative de créer des substituts de la famille, comme c’est le cas de ceux qui, au lieu d’enfants, ont des chiens et des chats ou même des objets. Ce thème des « animaux-compagnons » au-delà des différences d’espèces revient dans le livre même cité par le Pape.

Cthulhucene

Le point culminant de la pensée de Haraway se trouve dans le livre Cthulhucene, paru en 2016. Pour les non- initiés, Cthulhu est la monstrueuse divinité à tentacules des récits d’horreur de H.P. Lovecraft, qui attend dans les abysses de revenir sur terre pour exterminer l’homme. Pour Haraway, il faudra passer par une telle phase (le Cthulhucène) pour se sauver du désastre de l’Anthropocène (c’est-à-dire, littéralement, « l’âge de l’homme »), marqué par la surpopulation.

« Que se passera-t-il lorsque l’humanité, ayant irrémédiablement modifié l’équilibre de la planète Terre, cessera d’être le centre du monde ? Et au milieu de la crise écologique, quelles relations peuvent être restaurées non seulement entre les individus humains, mais aussi entre toutes les espèces qui peuplent la planète ? »

La réponse, selon Haraway, consiste à mettre en œuvre une pensée « tentaculaire » sur cette planète infectée, un changement de paradigme où, comme expliqué plus haut, au lieu d’engendrer des enfants, des « liens de parenté » sont créés grâce à des « décisions intimes et personnelles visant à créer des vies florissantes et généreuses sans mettre d’enfants au monde ».

A ce stade, il convient de se demander sérieusement comment un tel auteur peut être considéré comme un point de référence pour une exhortation apostolique ? En effet, elle est l’un des trois seuls auteurs cités, à l’exclusion du pape François (ou des divers synodes faisant écho à sa pensée), de Paul VI et des Nations unies.

Source : https://fsspx.news/fr

Halloween : un peu d’histoire

Dominique Auzenet

Avec le retour du mois d’octobre, nos boîtes aux lettres regorgent de publicités pour les costumes Halloween. Il faut dire que j’habite
à côté de l’une des plus grandes zones commerciales de France, qui occupe la moitié du territoire de la commune.
Et effectivement, lorsque je vais faire mes courses, je vois bien
que certains de nos magasins sont à nouveau investis par les
costumes et autres objets en rapport avec Halloween… On finit par
s’y habituer, mais ce n’est pas une raison pour ne rien dire…
Je vous propose donc quelques réflexions !

1. COMMENÇONS PAR FAIRE UN PEU D’HISTOIRE

Depuis l’arrivée massive de la fête d’Halloween sur le continent européen, nous assistons à un curieux débat entre les `pour´ et les `contre´. D’un côté, ceux qui la présentent comme une fête carnavalesque bon enfant, de l’autre ceux qui en soulignent le caractère malsain et délétère. Deux conceptions qui correspondent aux deux versants, aux deux `faces´ de cette fête. Devant le potiron grimaçant, on peut voir le potiron ou voir la grimace. Et si ces deux réalités n’en faisaient qu’une ?

L’origine commune des deux points de vue de l’All Hallow’s Evening — veille de Toussaint — ou `Halloween´ vient de l’ancienne fête celtique qui marquait la fin du cycle des saisons, de l’automne à l’hiver, avant d’entrer dans une période de repos marqué par le froid et le silence. Cette `fin de l’été´, ou sam-fuin en gaélique, serait à l’origine du mot `samhain´. D’un point de vue archéologique ou littéraire, on en connaît trop peu sur les pratiques religieuses et les divinités celtiques, mais il semblerait que l’année religieuse était marquée par quatre grandes `fêtes du feu´ dont la Samhain était la dernière et la plus importante.

Cette nuit-là, tous les foyers étaient éteints puis rallumés à partir de braises ramenées du grand feu druidique allumé sur le mont Tara en Irlande. Il est possible que ce soit le transport des braises dans des pots avec des orifices pour en assurer l’aération qui est à l’origine des navets ou potirons éclairés. Ce temps aurait aussi été celui d’une remise à zéro ; les champs sont laissés en jachère, les animaux rentrés, les provisions terminées et les dettes payées.

Dettes temporelles et spirituelles. Il importait de se mettre en ordre avec les vivants comme avec les morts, surtout si ceux-ci n’avaient pas été suffisamment honorés de leur vivant (comme les pratiques actuelles du `retournement des morts´ à Madagascar et le culte des offrandes sur les tombes au Mexique). Il s’agissait alors de les choyer une dernière fois avant d’entrer dans la `nuit´ de l’année pour s’assurer sa tranquillité. Et cette nuit, le voile entre le monde des vivants et celui des morts était dit le plus mince et permettait un ultime contact par la pratique du spiritisme et de la divination.

2. C’EST À CE STADE-CI DE L’HISTOIRE QU’APPARAÎT UN CLIVAGE

* D’ABORD LA FACE POTIRON. Avec les siècles, la Samhain, l’invocation des morts et les pratiques divinatoires ont donné naissance à un folklore qui trahit plus ou moins la réalité d’où il provient. De la même manière que les œufs, les lapins et les cloches peuvent faire un substitut de la dimension spirituelle de Pâques, la fête d’Halloween a occulté la Samhain par une pratique populaire déformant la réalité spirituelle qui sous-tendait la `nuit de l’entre-deux-temps´. Le culte des morts s’est ainsi réduit à de la nourriture laissée sur le pas de la porte pour les âmes qui erreraient cette nuit-là en recherche de réconfort.

D’autres se sont mis à `jouer les esprits´, en se baladant dans la nuit, éclairés de navets évidés, récupérant la nourriture, jouant de (mauvais) tours à ceux qui refusaient ces `dons´. Importé aux États-Unis au cours du XIX° siècle par l’immigration irlandaise, ce folklore a connu des hauts et des bas (avec les vagues de vandalisme dans les années 20) pour être finalement adopté par l’ensemble des Américains vers la fin des années 30 sous la forme de quête de bonbons par les enfants du voisinage. Rien de bien méchant a priori. C’est la face `potiron´.

* MAIS IL Y A AUSSI LA FACE GRIMACE. L’autre versant de la Samhain s’est, lui aussi, perpétué. Dès le XIX° siècle, plusieurs courants ésotériques anglo-saxons ont vulgarisé et répandu les pratiques de communication avec les défunts (appelées channeling ou spiritisme) et des facultés médiumniques (voyance, clairaudiance, divination, etc.). Ces mouvements se sont rapidement développés et plusieurs groupes occultes ont vu le jour dont certains voués à Satan. Ces mouvements occultes investissent des domaines aussi divers que la musique, l’art et la littérature et ont récupéré la Samhain (et, par-là même, Halloween) en l’intégrant à leurs pratiques occultes. La nuit du 31 octobre est ainsi devenue le nouvel an des mouvements de sorcellerie (WICCA) fêtant l’entrée dans les ténèbres.

Cela peut paraître du mauvais roman fantastique, mais il importe de ne pas être tout à fait naïf. Jusqu’où peut-on ne pas prendre au sérieux un culte de haine, de violence, de mort et de perversion pratiqué et diffusé par des adultes qu’on peut supposer sains d’esprit et libres de leurs actes ? Le simple bon sens voudrait déjà qu’un mouvement de contre-valeurs et de recherche du morbide soit considéré avec prudence. De surcroît, il est plus que raisonnable de ne pas impliquer les enfants dans une fête occulte majeure sous le couvert si peu convaincant de folklore. C’est la face `grimace´.

Halloween est donc une pratique populaire autant qu’une réalité ésotérique. Les deux sont intimement liées tant par leurs racines communes que par les cultes dont elles sont une expression. On ne peut faire abstraction de l’un ou l’autre. Il est vrai que l’engouement pour les déguisements morbides, le matraquage publicitaire, les succès de librairie et les jeux vidéo ne facilitent pas le choix d’une prise de distance que tentent de vivre certains parents.

Il importe cependant d’être conscient que promouvoir une telle fête, c’est marquer son accord et favoriser, même involontairement, l’émergence de pratiques occultes qui la sous-tendent. Et, si la dimension ésotérique de cet événement en laissait certains sceptiques, quelques notions de psychologie devraient rappeler que faire jouer des enfants avec le mal, le laid, le mauvais, le méchant et l’horreur ne peut que les marquer durablement et en profondeur.

3. ABORDONS MAINTENANT LES DIFFICULTÉS QUI PEUVENT SE PRÉSENTER POUR DES FAMILLES CHRÉTIENNES

Le 1er novembre, nous célébrons, dans l’Église catholique, la fête de la Toussaint, la fête de tous les saints connus ou inconnus, de tous ceux qui ont cherché à aimer Dieu et les hommes de tout leur cœur. Ils sont pour nous des modèles. Vivants en Dieu, ils rayonnent de sa lumière. Ils prient pour nous, ils nous aident à marcher sur ce même chemin exigeant.

Le lendemain, 2 novembre, l’Église prie pour tous les défunts de nos familles. Symbole usé, le chrysanthème représente, par la disposition centrée de ses pétales, le soleil et sa lumière. En contraste avec le granit sombre des tombes, il cherche à dessiner l’espérance chrétienne de la vie éternelle, le sens profond de la fête de la Toussaint.

Nous percevons bien alors qu’il y a antinomie entre Halloween et la fête de la Toussaint. Entre les deux, notre choix doit être clair, même s’il n’est pas toujours possible d’empêcher les enfants de participer aux fêtes d’Halloween. D’un côté, la dérision de la mort, signe d’une société décadente qui ne sait plus l’affronter. De l’autre des réponses aux questions fondamentales (pourquoi je vis, pourquoi je meurs), le sens donné par Jésus et son Église à la vie par-delà la mort. Il faut choisir.

Comme dit le prophète Élie : « Jusqu’à quand clocherez-vous des deux pieds ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez-le. Et si c’est Baal (le dieu du sacrifice humain), suivez-le » (1 R 18,21). Ou encore dans le livre de Josué (24,15) : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir. Moi et ma maison, nous servirons le Seigneur ».

4. TERMINONS EN ÉVOQUANT UN TÉMOIGNAGE QUI MANIFESTE L’ARRIÈRE-BOUTIQUE DU CÔTÉ GRIMACE ÉVOQUÉ PLUS HAUT

John Ramirez était autrefois prêtre sataniste, un « adorateur du diable » comme il se qualifie lui-même. Il se souvient de l’importance toute particulière que revêtait la nuit d’Halloween pour les satanistes, et se dit « choqué » de voir les chrétiens célébrer cette fête avec candeur.

Car pour lui, cette fête n’a rien d’innocent. Elle est selon lui « spirituellement démoniaque », et l’engouement croissant des familles chrétiennes pour cette fête l’interpelle. Il semble que le fondateur de l’Église de Satan lui-même, Anton La Vey ne le contredise pas. Il aurait en effet déclaré : « Je suis heureux que les parents chrétiens laissent leurs enfants adorer le diable au moins une nuit de l’année. »

Dans un article en anglais3, John raconte son propre mariage, « le plus diabolique de la planète » selon lui. Le rituel avait duré toute la nuit du 31 octobre 1987, « parce que nous connaissions les implications et les puissances des ténèbres derrière cette nuit ». John Ramirez l’atteste, cette nuit est aussi importante dans le monde de la sorcellerie que le dimanche de Pâques pour les chrétiens.

C’est pourquoi il met en garde les chrétiens contre la banalisation et la minimisation de l’impact spirituel de cette fête aux origines obscures, et encourage également les chrétiens à être clairs dans leurs intentions et leur communication quand ils organisent des manifestations d’évangélisation à l’occasion d’Halloween. Ainsi, « celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

Notes

1Je cite ici des extraits d’une tribune de M. François Mathijsen, Les deux faces de Halloween, La Libre Belgique, 2002.

2John Ramirez est un pasteur évangélique, auteur et conférencier très demandé, et il a partagé son témoignage : avoir été miraculeusement sauvé alors qu’il était un prêtre satanique de haut rang.

3Rédigé pour Charisma News