Et fouette coaché !

D. Auzenet

Un Colloque international sur « Les visites apostoliques et canoniques en mondes séculier et régulier, ministère de vigilance », organisé par Talenthéo1, s’est tenu à l’Institut Catholique de Paris les 8 et 9 mars 2024.

En prévision du Colloque, on peut entendre et lire Béatrix de Bréauté (directrice de l’Institut Talenthéo2).

Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame3, présente ainsi l’interview que vous pouvez écouter : « Que faut-il entendre par un ministère de vigilance ? La question intrigue. Le mot vigilance fait penser aux alertes météo. De quel orage s’agit-il ? L’Église en a connu beaucoup et on sait que Saint Paul a chaviré trois fois et que la barque de Pierre prend l’eau de toute part, comme le relevait Benoît XVI. Le ministère de vigilance correspond au fonctionnement des visites apostoliques et canoniques — qui en fait sont à l’Église ce que les audits sont à l’entreprise. Mais c’est beaucoup plus complexe car la vie de cette institution ne se résume pas à des objectifs commerciaux ni à des tableaux Excel. Comment éviter les abus, se montrer respectueux du bien des personnes, tant que le monde régulier que dans le monde séculier ? »

Béatrix de Bréauté, dans une interviewe signée Céline Hoyeau sur le site de la Croix4  souligne à juste titre l’importance des visites canoniques, qui ne datent pas d’aujourd’hui : « Il me semble que, dans la hiérarchie de l’Église, les supports de vigilance, d’écoute de paroles que sont les visites canoniques et apostoliques sont appelés à se déployer de façon plus inspirante et avec un plus grand impact.

En effet, des siècles avant la mise en place des audits dans les entreprises ou institutions, l’Église a compris l’importance que la gouvernance soit accompagnée. Elle a mis en place un système de régulation du gouvernement des instituts destiné à stimuler et à encourager. Pourtant les visites canoniques c’est-à-dire régulières peuvent manquer efficacité. De plus, elles ne sont pas toujours bien vécues. ».

Il est vrai qu’on peut constater toutes sortes de dysfonctionnements dans les processus en cours. Pour ne citer qu’un exemple récent : les désaccords internes dans l’équipe chargée de conduire la visite des Foyers qui ont abouti à la démission de Mgr Dubost fait un peu désordre… Alors, que proposer ?

Je cite Béatrix de Bréauté : « Le moment nous semble venu de réfléchir à donner davantage de légitimité et d’efficacité à ces visites, au service de la fécondité des instituts, communautés et diocèses. Des protocoles de visites existent ici ou là ; en généraliser la pratique constituerait un atout pour la vie de l’Église. Des pistes d’améliorations portant sur la formation, l’accompagnement et la supervision des visiteurs pourraient également s’envisager, afin de garantir des rencontres effectuées dans un cadre bienveillant et de confiance fraternelle réciproque. Chercher à améliorer notre pratique de l’accompagnement des relations et du gouvernement dans l’Église est au fond profondément évangélique ».

Et qui va nous aider à cela ? Talenthéo, bien sûr, organisateur du Colloque. L’intention du colloque sans doute louable… mais les moyens et les outils ne sont pas évoqués. Or, les outils utilisés ne sont pas neutres (PNL, CNV…) et sont loin d’avoir fait preuve d’une réelle efficacité à moyen terme… De nombreux intervenants du Colloque ont été eux-mêmes formés par Talenthéo, et ont déjà intégré les techniques de coaching dans leur vision du monde

Un mélange des genres

Béatrix de Bréauté sur Radio Notre-Dame dit qu’une visite canonique est comme un audit. Mais Mgr Touvet sur le site du colloque dit que ce n‘est pas un audit… On voit bien à nouveau poindre une grave difficulté, celle du mélange des genres, difficulté bien connue dans un autre cadre, celui du psycho-spirituel.

Les lecteurs de La Croix la soulèvent dans les commentaires qui suivent l’article de Céline Hoyeau. J’en cite quelques extraits de A à D (c’est moi qui souligne) :

A — « Talenthéo et ses semblables ont peut-être un certain talent…. y avoir recours n’est pas gratuit financièrement parlant ! Je rejoins la personne qui dit : faut-il évangéliser ou manager ? Excellente question. St Paul disait — déjà — « je me suis efforcé de me faire tout à tous »….. Là est toute la question, car pour cela, il faut se QUITTER SOI-MÊME, et non « gérer = camoufler, nos émotions » juste pour ne pas faire de vagues pour personne… ce sont les techniques dans le monde du travail actuellement ; jamais sans doute y a-t-il eu autant de mal-être, de fourberie, de burn-out…. de suicides…. La vérité vous rendra libre : c’est toujours d’actualité semble-t-il […] ».

B — « Depuis 25 ans en France, la plupart des visites apostoliques et canoniques ont été confiées à des évêques qui avaient couvert des abus. Il est donc pas étonnant qu’elles n’aient pas donné grand-chose. Par ailleurs le monde de l’entreprise est en crise du fait du management. Il faut donc que l’Église soit prudente quand elle se pique de lui emprunter des modèles. Enfin la place prise dans l’animation des diocèses par Talenthéo témoigne de la pauvreté de la réflexion pastorale de nos évêques. Leur désarroi doit être bien grand pour s’en remettre ainsi à des gens dont l’horizon est bien limité ».

C — « Recherchant sur internet comment prendre part au colloque sur les visites apostoliques et canoniques mentionné en ouverture de cette interview, je découvre qu’il est organisé par Talenthéo. Ce qui appelle trois remarques :

1. L’interview est en fait un publireportage destiné à faire connaître ce colloque dont l’interviewée porte la responsabilité

2. La journaliste réalisant l’interview ne permet pas à ses lecteurs de connaître toutes les raisons d’être de cette prise de parole inattendue

3. Talenthéo est en conflit d’intérêts entre son rôle d’organisateur de ce colloque, et son rôle de consultant auprès des décideurs institutionnels qui lui sous-traitent des interventions en cas de difficultés managériales.

In fine tout se passe comme si Talenthéo se positionnait pour faire valoir sa propre conception de la gouvernance de communautés liées à l’Église qui est en France.

Or, sur le terrain — par exemple dans notre paroisse qui a été cliente de deux parcours standards de Talenthéo — la preuve reste à faire qu’au-delà de pétitions de principe (et de la bonne volonté des intervenants) c’est bien à un « marcher ensemble » des baptisé.e.s qu’appelle ce cabinet de conseil. Le cléricalisme peut aussi commencer par le choix de ses donneurs d’ordre… Et ce ne sont pas des recettes managériales — décriées en entreprises pour certaines — qui vont nous permettre de faire Église ».

D — « Je ne doute pas que Talenthéo soit issu de bonnes intentions. Cependant, dans quelle direction entend-on paver la route de l’Église ? Si l’Église doit en effet retirer quelque chose de positif des nouvelles techniques managériales, doit-elle pour autant le devenir elle-même ? J’ai eu dans ma vie de prêtre un évêque managérial. C’est celui qui fut le plus universellement détesté. Il employait des trucs et cherchait des recettes pour « gérer » « son » diocèse. Par exemple il me téléphonait le jour de mon anniversaire mais ça sonnait tellement faux qu’il en aurait presque gâché la journée. J’entends encore son ton de voix doucereux. J’aurais préféré une réponse d’homme à homme quand il y avait un réel problème. Le pape l’a envoyé managériser ailleurs.

Deux questions se posent : l’Église doit-elle évangéliser ou managériser ? La réponse est négative pour le deuxième mot dans les Écritures. Talenthéo est présenté comme un réseau incontournable d’experts dont, je le répète, je ne doute pas de la compétence des membres.

D’où la deuxième question : qui va expertiser les experts ? Sous l’ancien régime, on choisissait les évêques dans la noblesse à talons rouges. Va-t-on avoir droit maintenant, à la place des petits marquis, à des managers « en talons t’es haut » ? »

Arrêtons là. On le voit, un peu d’humour ne nuit pas à la réflexion.

Affaire à suivre !

Je me pose bien sûr la question : n’y a-t-il donc pas dans chaque diocèse des prêtres sages, des religieuses, ou de réels chefs d’entreprise, pleins d’expérience, hommes et femmes ayant fait leurs preuves, capables d’un juste et bon discernement, sans qu’il soit besoin de recourir à des recettes utilisées par des théoriciens de « nouvelles » méthodes sans connaissance concrète de la vie incarnée des prêtres religieux ou laïcs engagés (autres que les écoutes déjà faites) ?


1https://www.talentheo.org/colloque-visitescanoniques

2https://www.talentheo.org/institut-talentheo

3 https://radionotredame.net/podcasts/RND09/14028

4https://www.la-croix.com/religion/beatrix-breaute-il-nous-faut-repenser-nos-modes-relationnels-dans-l-eglise-20240301

Talenthéo : l’entrée du coaching dans l’Église

Dominique Auzenet et une équipe

Vivre au coeur d’une communauté paroissiale. La faire vivre en harmonie et en paix, grâce aux décisions prises en commun à travers l’équipe d’animation pastorale (une communauté où l’on se partage les tâches, grâce aux compétences et à l’engagement des uns et des autres : gérer le budget, faire des prévisions, des travaux, respecter le droit du travail, faire travailler ensemble les bénévoles, entretenir des relations avec les élus…). Annoncer avec cette communauté l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui, auprès de personnes demandeuses de services religieux, mais souvent sans connaissances et loin du vécu de l’Église. Donner les sacrements, et les préparer avec des équipes de laïcs formés.

Un défi aux multiples aspects dont on pourrait allonger la liste. Pas simple en effet d’être aujourd’hui curé de paroisse. Heureusement que la présence de laïcs associés à sa responsabilité pastorale lui permet d’éviter de jouer l’homme-orchestre : être à la fois manager, psychologue, sociologue, diplomate, animateur d’équipe, décideur, référent, et en même temps… prêtre de Jésus.

Mais devant le désarroi de certains prêtres, jeunes ou plus âgés, des coaches d’entreprise ont émis depuis une dizaine d’années des propositions de formations et d’accompagnement avec les méthodes du management, souvent issues du marketing américain et des modèles de croissance des Eglises évangéliques. Et les techniques issues du monde de l’entreprise pénètrent pour la première fois en 2000 ans le monde des communautés catholiques.

C’est le réseau Talenthéo qui semble avoir le monopole pour l’Eglise de France. Quand on voit le nombre de témoignages positifs sur internet, il y a de quoi être émerveillé par tant de résultats positifs, par tant d’ardeur au travail. D’immenses sourires, des éclats de rire, des regards joyeux, une franche camaraderie, une promesse d’avenir radieux : « Nos communautés chrétiennes vont devenir tellement fraternelles et attractives, tellement rayonnantes de l’amour du Christ qu’elles seront même provocantes pour les autres ! Toute personne qui nous croisera sera habitée par le désir ardent de nous rejoindre. »1

Et pourtant, les laissé pour compte et les déçus de cette pastorale méritent d’être entendus, leurs questions méritent d’être posées. Nous avons voulu aller un peu plus loin dans l’analyse, pour comprendre d’où viennent ces pratiques, quelle vision de l’homme, du monde et de l’Église elles proposent, et ce que l’on peut en attendre en tant que paroissien ou prêtre.

I. Cherchons à préciser les termes

1. Qu’est-ce qu’une église catholique en croissance ?

« Dieu fournit la graine, la multiplie et donne la croissance » ( 2 Co 9, 10).

Après avoir cherché sur le site Talenthéo une définition de ce concept d’Eglise en croissance, nous avons fini pour par trouver des indices dans la présentation du Guide pratique pour des paroisses transformées2 : « Si notre Eglise était en bonne santé, elle serait en croissance, comme tout être vivant. Pour qu’elle grandisse, nous avons à soigner le corps à travers ces 5 “essentiels”. » 3

S’agit-il d’une croissance du nombre ?

Un voyage d’observateurs français à la rencontre de Dick Warren et de la mega church évangélique baptiste de Saddleback (Californie) a récemment eu lieu. Le père Lionel Dalle, l’un des rédacteur du Guide pour des paroisses transformées explique dans le premier chapitre sa motivation « je voulais comprendre le secret de la paroisse en bonne santé » . Le père Fabrice du Hays raconte : « Nous avons par exemple rencontré une paroisse créée ex nihilo et qui rassemble plusieurs milliers de personnes chaque dimanche ! » 4

Une paroisse créé ex nihilo, n’est-elle pas une paroisse hors sol, totalement artificielle, ne tenant pas compte de l’épaisseur de notre humanité, de l’importance de la durée dans une espace limité à dimension humaine. Une paroisse ex nihilo n’est-ce pas un supermarché du spirituel où l’on viendrait chercher sa dose d’émotion spirituelle, comme l’on va voir un spectacle participatif certes mais évanescent ?

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