Par Aymeric Delteil Chercheur CNRS, Groupe d'étude de la matière condensée, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay. Sur le site THE CONVERSATION
Le 2 janvier dernier, la parfumerie Guerlain a mis au jour un nouveau produit cosmétique, assurant qu’il était basé sur la physique quantique. En proposant une « nouvelle voie de réjuvénation […] basée sur la science quantique [qui] aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune », l’entreprise a suscité les réactions indignées de la communauté scientifique, de médias et youtubeurs, qui ont poussé le parfumeur à modifier rapidement sa communication.
Cette affaire n’est qu’une étape de plus dans une longue histoire de détournement des concepts et du lexique de la mécanique quantique – et de la science en général – dont le résultat est la promotion des pseudosciences, ces disciplines qui revêtent les apparats de la connaissance établie sans en avoir le moindre fondement.
Le qualificatif « quantique » est désormais omniprésent dans le monde du bien-être, des médecines « alternatives » et des sphères ésotériques (salons, sites de vente en ligne, praticiens, réseaux sociaux, rayons « bien-être » voire « médecine » de grandes librairies).
Certains appareils de soins quantiques ont été fortement médiatisés, tel le « Taopatch » arboré par la star du tennis Novak Djokovic lors du dernier Roland-Garros. Ce dispositif de la taille d’une pièce de monnaie prétend améliorer les performances physiques, mais aussi soigner les maladies neuromusculaires. De telles prétentions sèment la confusion dans le grand public, qui a fort à faire pour distinguer le vrai du faux.
Des risques en termes de santé, de dérives sectaires… et pour le porte-monnaie
Le danger est réel, car la confusion peut avoir des conséquences nocives pour la population.
En effet, les tenants des médecines quantiques prétendent parfois pouvoir guérir la quasi-totalité de nos troubles, y compris des maladies graves. Ainsi, dans le livre Le Corps quantique de Deepak Chopra (1989), ouvrage fondateur vendu à près d’un million d’exemplaires, non seulement l’auteur suggère que son approche peut guérir le cancer, mais ses propos engendrent de plus une défiance à l’égard de la médecine. Ce type de discours, désormais répandu dans ce milieu et notamment sur Internet, peut pousser les gens à se détourner du monde médical.
Un autre exemple plus récent : le « Healy », un appareil de thérapie soi-disant basé sur un « capteur quantique », vendu à près de 200 000 exemplaires à des prix allant de 500 à 4 000 euros, propose des programmes pour un grand nombre de soins via des applications payantes, qui pourraient même remplacer une partie de notre alimentation. Une analyse par rétro-ingénierie a pourtant révélé qu’il ne contient pas de capteur quantique – et même pas de capteur du tout.
En poussant les gens à se détourner de la médecine et/ou à adopter des conduites risquées, ces arguments peuvent provoquer des pertes de chances d’un point de vue médical.
Les médecines alternatives peuvent également déboucher sur des dérives sectaires : le dernier rapport de la Miviludes montre que 24 % des signalements pour dérives sectaires concernent les « pratiques de soin non conventionnelles ».
Des comportements quantiques au monde classique que nous expérimentons au quotidien : une histoire d’échelle
Disons-le tout net : ces approches n’ont rien de quantique.
Pour s’en rendre compte, rappelons que la physique quantique a été construite afin de comprendre les phénomènes d’interaction entre la lumière et la matière à l’échelle atomique. Elle a abouti à une description très féconde de la nature à l’échelle microscopique, tout en révélant des phénomènes contre-intuitifs, qui sont difficiles à interpréter.
Ainsi, selon la mécanique quantique, les particules élémentaires peuvent se comporter comme des ondes, elles peuvent être en superposition de plusieurs états (par exemple en deux endroits simultanément) voire intriquées, lorsque les états de deux particules dépendent l’un de l’autre même éloignées. Or le monde à notre échelle ne se comporte pas de cette façon. Nous en faisons l’expérience quotidienne : les objets qui nous entourent sont dans un seul état, à un seul endroit, ils ne se propagent pas. Les chats ne sont pas à la fois morts et vivants.