Biodynamie… à l’anglaise

Biodynamie, médecines alternatives… Charles III, roi anti-sciences et ami des charlatans, sur la site de l’Express, par Stéphanie Benz et Thomas Mahler, le 11 sept. 2022.

Sensible de longue date à la cause environnementale, le nouveau roi Charles III est un toqué de botanique et de jardinage. Dès 1986, il a converti sa ferme de Highgrove à l’agriculture biologique. Mais, on le sait moins, le nouveau roi est aussi un fervent apôtre de la biodynamie, un ensemble de pratiques agricoles imaginé par l’occultiste Rudolf Steiner (1861-1925). Fondateur de l’anthroposophie, ce polygraphe a multiplié les écrits ésotériques, mêlant réincarnation, karma et entités démoniaques, et donné à sa doctrine des déclinaisons pratiques, dans l’éducation (écoles Steiner-Waldorf), la santé (médecine anthroposophique) ou, donc, l’agriculture (biodynamie). 

En 2016, s’exprimant par vidéo devant l’association biodynamique en Italie, le prince de Galles fustige une « science basée sur des preuves » et vante les « conseils visionnaires » de Rudolf Steiner. En 2017, il va jusqu’à délivrer le discours d’ouverture du congrès international de la biodynamie, organisé par la section agricole de l’Ecole libre de science de l’esprit. « Soit le saint des saints de l’anthroposophie », décrypte Grégoire Perra, anthroposophe « repenti » devenu le principal critique de la mouvance en France. « Cela n’a rien d’un colloque public, c’est une cérémonie qui débute avec des lectures des mantras de Steiner. » Une nouvelle fois, l’héritier du trône en fait l’éloge et critique une « pensée scientifique réductionniste ». Un terme qui ne doit à rien au hasard. « Steiner critiquait la science contemporaine en expliquant qu’elle avait un point de vue trop réduit », souligne Grégoire Perra. 

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De quoi séduire Charles, qui a un jour dit qu’il était « fier d’être considéré comme un ennemi des Lumières ». Dans son livre Harmonie : une nouvelle vision du monde (2010), il déplore que « la dimension spirituelle de notre existence » ait été « dangereusement négligée dans les temps modernes ». Il y dépeint l’agriculture biodynamique comme « une méthode de production d’aliments qui s’approche encore de plus près des processus naturels de l’agriculture et de tous les cycles de vie de la nature ». En réalité, cette pratique repose sur de mystérieuses forces « cosmiques ». Pour « dynamiser » les sols, elle préconise de stocker des bouses de vache pendant plusieurs mois dans des cornes enfouies dans la terre, avant de diluer le tout à des doses homéopathiques (entre 3 et 4 CH) pour une pulvérisation. D’autres préparations font appel à des vessies de cerfs, des intestins de bovins ou des crânes d’animaux domestiques. La biodynamie respecte aussi des rythmes lunaires et astrologiques, alors que l’influence des astres sur la croissance des plantes, une croyance ancienne, n’a jamais été démontrée… 

« Steiner se voulait clairvoyant, en lisant soi-disant dans le futur comme le passé. Mais pas un seul de ses concepts n’a été validé scientifiquement », fustige le journaliste indépendant allemand Oliver Rautenberg, spécialiste de l’anthroposophie. « En 1924, Steiner a évoqué la fertilisation des sols. Aujourd’hui, Demeter (la marque qui certifie les produits biodynamiques, NDLR) affirme qu’elle régénère les sols, alors qu’elle fait appel à des remèdes magiques comme les cornes de vache et des doses homéopathiques. Bien sûr, une agriculture sans pesticides est vertueuse. C’est l’agriculture biologique. Mais les protocoles ésotériques de Demeter, censés capter des forces cosmiques, n’ajoutent rien. Ce n’est que de la pseudo-science », dit-il. 

« Relation au cosmos »

L’étonnant intérêt du fils d’Elizabeth II pour les « sagesses ancestrales » et « Mère nature », des concepts auxquels il fait souvent référence, ne se limite pas à la biodynamie. Bien au contraire : l’ex-Prince de Galles voue une véritable passion aux médecines alternatives, au point même d’en être devenu l’un des tout premiers lobbyistes. « Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour encourager leur développement. C’est regrettable, car cela a contribué à donner de la respectabilité à un domaine qui ne le mérite pas », déplore Edzard Ernst, professeur émérite à l’Université d’Exeter et auteur d’un récent ouvrage sur cette face méconnue du nouveau souverain (Charles, the alternative Prince, an unauthorized biography, non traduit). 

En 1982, le Prince de Galles, alors âgé de 34 ans, est élu au poste honorifique de président de l’association des médecins britanniques. Pour son discours introductif, le jeune homme, diplômé d’histoire et dépourvu de toute compétence médicale, se lance dans une attaque frontale de la « médecine moderne ». Devant un parterre de soignants, il fait l’éloge des guérisseurs qui « ne s’intéressent pas uniquement au corps, mais aussi à l’esprit, à l’environnement et à la relation au cosmos du patient ». Le ton est donné. Par la suite, il s’impliquera avec succès dans la bataille pour la reconnaissance de l’ostéopathie et de la chiropraxie, deux médecines alternatives à base de manipulations manuelles. Il crée aussi une fondation pour la promotion de la « santé intégrative », qui vise à faire entrer les thérapies alternatives au sein du NHS, le système national de santé britannique. En partie sous son influence, le gouvernement financera un rapport sur l’intérêt économique des médecines douces, et une étude clinique sur leurs bénéfices. Leurs méthodologies, très critiquées, ne permettront toutefois pas d’en tirer de conclusion, et la Fondation elle-même finira par fermer, sous fond de malversations financières. 

Plus surprenant pour un membre de la famille royale, le Prince de Galles a aussi tenté de se lancer lui-même dans la commercialisation de compléments alimentaires avec un produit « détox », à base d’artichaut et de pissenlit. Sous le feu des critiques du corps médical, il sera rapidement retiré du marché. L’image de Charles en sortira quelque peu écornée. Mais malgré ces déboires, l’héritier ne lâche jamais. Notes aux ministres de la santé successifs, courriers à la presse, et même… discours devant l’assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève : il consacre une large partie de son temps à la défense des médecines complémentaires, qu’il semble considérer comme une véritable mission. 

L’homéopathie, une tradition chez les Windsor

Il faut dire que, dès son enfance, le petit Charles a baigné dans un climat favorable aux pseudo-sciences. Il s’agit presque d’une tradition familiale puisque depuis son invention il y a deux siècles par un médecin allemand, l’homéopathie a toujours occupé une grande place à Buckingham Palace. Elizabeth II a longtemps eu son homéopathe attitré, et la reine mère, la grand-mère de Charles, soignait le petit garçon à coups de petits granules blancs. Mais le prince reste le seul de la famille à s’être autant passionné pour toutes les autres pratiques : aromathérapie, iridologie (diagnostics de maladies à partir de l’analyse de l’iris des yeux), ou même l’inquiétante « thérapie Gerson » (des règles nutritionnelles censées guérir le cancer, qui mettent en réalité en danger les patients). « Parmi les médecines alternatives, certaines peuvent parfois avoir un intérêt, mais Charles, lui, s’est toujours entiché des pires théories qui soient », constate Edzard Ernst. 

Un engouement qui lui est probablement venu, selon le professeur et auteur, de sa rencontre, jeune, avec l’écrivain Laurens van der Post. « C’était un affabulateur notoire, mais il était charismatique et pétri de mysticisme. Il n’a pas fait découvrir de médecine alternative en particulier à Charles, mais il l’a éloigné de la science pour l’amener vers les pseudos-sciences, et finalement l’anti-sciences », raconte Edzard Ernst.  

Sur Twitter, Oliver Rautenberg a dépeint Charles III en « négationniste de la science ». « Si comme Charles, vous faites du lobbying pour l’homéopathie et la biodynamie, vous niez la science, c’est très clair », nous explique le journaliste. Après son thread, il a reçu de nombreux messages haineux sur les réseaux sociaux. « Comme Charles a fait des choses bien pour l’environnement, il ne faudrait pas le critiquer sur l’homéopathie. Mais l’un n’a rien à voir avec l’autre ! »

Avec son accession au trône, le nouveau roi devra toutefois désormais s’abstenir de toute prise de position favorable aux médecines alternatives. « Cela pourrait être une bonne nouvelle, mais je crains qu’il ne continue discrètement à tirer les ficelles pour faire avancer sa cause. Et avec sa position, il peut avoir de l’influence », anticipe Edzard Ernst. Aujourd’hui retraité, ce chercheur sait de quoi il parle. Après avoir pris plusieurs fois des positions publiques opposées à celles de Charles, il a dû subir une investigation de la part de son université et sa chaire, la seule au monde dédiée à l’étude scientifique des pratiques alternatives, a fermé. Au royaume de Charles, il ne fait pas bon défendre la rationalité…

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