Faux souvenirs induits

Claude Delpech

Résumé de l’intervention de Claude Delpech, présidente de l’As­sociation Alerte Faux Souvenirs Induits (AFSI), lors de la confé­rence de la Fédération Européenne des Centres de Recherche et d’information sur le Sectarisme (FECRIS), « Les dérives sectaires dans le domaine de la santé », le 25 mars 2023, à Marseille.

Revue Bulles n° 158 – Juin 2023

Après les confinements, où en sommes-nous? Depuis plusieurs années on n’entendait plus parler de l’AFSI et pourtant les victimes de thérapies de la mémoire retrouvée sont de plus en plus nombreuses. Depuis sa créa­tion plus d’un millier de familles ont rejoint notre association, avec les mêmes accusations et les mêmes souf­frances, ce qui représente des milliers de victimes de charlatans.

Je commencerai par un bref rappel de qui nous sommes pour les personnes qui ne nous connaissent pas : L’AFSI, Alerte Faux Souvenirs Induits, est une association Loi 1901 créée en juillet 2005 par un groupe de parents, accusés par leurs enfants, majeurs, de maltraitance ou d’abus sexuels qui seraient survenus dans leur petite en­fance. Abus dont ils n’avaient aucun souvenir auparavant et qu’ils « dé­couvrent » 20, 30 voire 40 ans plus tard au cours ou à la suite de séances dites de « thérapies » basées sur la recherche des souvenirs de la petite enfance. Abus qui les ont amenés à ces dénonciations calomnieuses entraînant la rupture immédiate avec leur famille.

Chaque famille a une histoire diffé­rente mais le processus est identique pour tous les thérapeutes déviants, souvent auto-proclamés, qui usent de leur pouvoir de suggestion pour in­duire, via diverses techniques de mani­pulation mentale, des souvenirs d’abus de maltraitance et d’inceste, chez leurs patients adultes. Avec des consé­quences psychologiques graves ainsi qu’une dépendance aliénante envers leur thérapeute.

Nous constatons tous les jours que malgré la réglementation en mai 2010 du titre de psychothérapeute, des thé­rapeutes de tous bords ont su contour­ner la réglementation du titre de psy­chothérapeute (loi en 2004, décrets d’application 2010) et sont devenus aujourd’hui « psychopraticiens – prati­ciens aux multiples casquettes- coachs et maîtres en tous genres ».

Dès la création de l’AFSI nous avons établi des règles concernant la situa­tion des familles odieusement accu­sées que nous recevons, afin qu’on ne confonde pas les membres de notre association avec des gourous, voire des pédophiles.

Pour que l’AFSI accompagne ces familles, Il faut que:

  • la victime de l’induction de faux souvenirs soit âgée d’au moins 25 ans,
  • elle soit, ou ait été en thérapie, et qu’on puisse nous dire avec qui (mais cela devient de plus en plus difficile),
  • on puisse, si possible, nous dire pourquoi elle a entamé une thérapie,
  • les parents en parlent à leur géné­raliste, puis consultent un psycho­logue ou un psychiatre, ce que sou­vent d’ailleurs ils ont déjà fait avant de prendre rendez-vous avec nous.

LES VICTIMES

Les premières victimes de l’induc­tion de faux souvenirs sont les accu­satrices qui, lorsqu’elles consultent un ou plusieurs thérapeutes, ignorent que ceux-ci pratiquent des techniques de recouvrement de la mémoire.

Le thérapeute leur explique que si elles sont mal aujourd’hui c’est qu’il leur est arrivé un traumatisme grave dans leur enfance. Si elles ne s’en sou­viennent pas, il « suggère » qu’elles ont refoulé l’événement et que la théra­pie va leur permettre de recouvrer la mémoire.

Depuis quelques années certaines associations se sont constituées pour faire reconnaître « l’amnésie traumatique ». Ce concept est devenu très à la mode et fait l’objet d’intense lobbying par ses promoteurs, mais il est très discuté par les différents spécialistes qui travaillent sur la mémoire.

Séance après séance le thérapeute va alors amener la patiente à recouvrer ses souvenirs, soit au moyen de l’hyp­nose soit par un travail sur les rêves ou de l’imagerie guidée, lui demandant très souvent de noter tout ce qui lui passe par la tête. De nombreux parents nous ont ainsi montré des courriers de leurs enfants où les souvenirs ont été totalement inventés, ce sont des fan­tasmes.

Souvent même, le thérapeute déviant insère sa patiente dans un groupe de victimes d’abus sexuels (vrais ou supposés) où elle n’entendra que des horreurs soi-disant vécues par les par­ticipants dans leur enfance, ceci afin de la conforter dans son rôle de victime d’inceste.

Depuis plusieurs mois, nous retrou­vons dans les accusations nouvelles les mêmes récits de scènes de viols, décrites avec les mêmes mots … ce qui nous fait dire aux parents que, fort pro­bablement, leur fille est insérée dans un groupe de victimes d’inceste. Ce qu’ils ignorent bien entendu.

Nous voyons de plus en plus de vic­times accusatrices devenir à leur tour « thérapeute », après une formation mi­nimun avec leur propre thérapeute! Ce dernier la pousse à tout quitter pour de­venir praticienne de la même méthode. Le thérapeute percevra éventuelle­ment des « royalties » sur les séances données par son ancienne patiente après qu’elle a payé sa formation.

S’il y a une dizaine d’années les institutionnels estimaient à environ 5.000 le nombre de thérapeutes auto­proclamés, aujourd’hui l’on pourrait dire qu’il y en a 10 fois plus, surtout depuis les confinements.

Ils ont profité du télétravail pour envahir les réseaux sociaux, proposant leurs« thérapies » avec des séances en « visio » payées par C.B …. Leurs C.V. sont plus alléchants les uns que les autres, certains se disent « diplômés » alors qu’en réalité ils ont juste fait une formation minimum pour recevoir un certificat non reconnu par les Institu­tions.

Les thérapeutes charlatans fonc­tionnent comme de véritables gou­rous sectaires, ainsi:

• Ils séduisent pour mieux appâter leur future victime.

• Ils détruisent tous les liens qui rattachent la victime à sa famille, ses amis, son milieu professionnel par­fois, en induisant des faux souvenirs de maltraitance et d’inceste.

• Ils reconstituent ensuite une vie à laquelle la victime croit mais qui n’a jamais été la sienne en réalité. C’est la raison pour laquelle, après les accusations les parents et la fratrie disent« mais nous n’avons pas vécu cette vie là ».

• Leurs dires ne peuvent être remis en question.

• Il ne faut rien dire de la thérapie à l’extérieur.

• Les coûts des séances de thérapie sont exorbitants.

• Il n’est pas facile pour la victime de quitter le groupe sans menaces.

L’AIDE APPORTÉE AUX PARENTS DE VICTIMES

Nous accompagnons ces familles ac­cusées par leur(s) enfant(s) souvent pendant de longues périodes.

ECOUTE ET CONSEIL

En entretien individuel ou lors de la réunion annuelle au moment de l’Assemblée générale, notre associa­tion accueille et soutient les personnes victimes des Faux souvenirs induits. Lorsque nous recevons les familles, nous essayons de comprendre ce qui s’est réellement passé, pourquoi leur fille a commencé une thérapie, puisque 9 fois sur 10 en effet il s’agit d’une fille, qui a souvent dépassé les 35 ans, cer­taines ont plus de 40 ou 50 ans, voire jusque 60 ans.

Nous savons que dès qu’il y a des ac­cusations les enfants accusateurs ne veulent plus communiquer avec leurs parents, tout essai de contact est peine perdue …

Lorsqu’elles le demandent, nous aidons les victimes ou les familles à s’orienter vers des thérapies dispensées par des professionnels connaissant les faux souvenirs induits.

Si leur enfant a déposé plainte, ou si elle en a parlé autour d’elle, nous les orientons vers Me Florence Rault qui accompagne notre association depuis sa création en 2005. Elle a suivi et dé­fendu de nombreux dossiers de pa­rents membres de notre association, dont les affaires ont été classées sans suite ou ont abouti à des non-lieu ou à un acquittement. Mais nous consta­tons également que plusieurs avocats répartis sur la France se sont intéressés à la problématique des faux souvenirs induits et ont défendu avec succès plu­sieurs familles. Nous pensons que cela est dû à la médiatisation des procès contre les thérapeutes déviants.

https://fauxsouvenirs-afsi.org

INFORMATION ET PRÉVENTION

Nous faisons des recherches sur ces thérapeutes qui induisent des faux sou­venirs et sur leurs pratiques, dont cer­taines reviennent régulièrement dans les situations que nous rencontrons, comme:

• Les Constellations familiales,

• l’hypnose et l’EMDR,

• la psychogénéalogie,

• l’Access Bars,

• Le développement personnel sous toutes ses formes, qui n’est pourtant pas une thérapie, mais par lequel les thérapeutes déviants allèchent leurs futures victimes pour aller vers d’autres pratiques.

• Les thérapies intégratives où il est souvent pratiqué plusieurs méthodes …

Outre la sensibilisation du public au risque de faux souvenirs induits dans une thérapie, il faudrait que les Ordres professionnels de la santé informent leurs membres des problèmes de faux souvenirs et dérives sectaires. Nous constatons que depuis la crise sani­taire un certain nombre d’infirmières sont devenues thérapeutes, mais connaissent-elles cette problématique particulière ?

Nous souhaitons que les échanges entre les ARS et les associations de victimes se développent c’est par elles que nous pouvons aider les victimes et leurs parents et démasquer les thé­rapeutes charlatans. Elles peuvent répondre à nos questions concernant l’inscription au registre ADELI de tel ou tel professionnel, nous pouvons leur signaler des thérapeutes déviants et leurs pratiques.

Nous demandons une plus grande écoute des Commissariats et Gen­darmeries. Lorsqu’ils reçoivent une supposée victime d’inceste et de mal­traitance, il faudrait qu’ils posent les bonnes questions:

  • Pourquoi des accusations si tar­dives ? 20 ou 30, voire 40 ans plus tard?
  • Avez-vous suivi une thérapie ? avec qui? quelle pratique?
  • Pendant combien de temps?
  • Le coût de cette thérapie?
  • Avez-vous été insérée dans un groupe de personnes?
  • Qui animait ce groupe?
  • Vous a-t-on imposé des relations sexuelles? (il arrive que le thérapeute impose des relations sexuelles à ses victimes ou entre les membres de son groupe de patients).
  • Vous a-t-on interdit de prendre contact avec votre famille?

Les réponses à ces questions pour­raient mettre l’enquêteur sur la piste éventuelle d’un thérapeute déviant et sectaire.

Nous demandons une plus grande écoute des magistrats et une formation spécifique à l’ENM sur les faux souvenirs induits par des thérapeutes de tous ordres. Les juges aux affaires familiales ou les juges des enfants peuvent en particulier être confrontés à des situations de ruptures imposées entre des grands-parents et leurs petits enfants:

• Après les accusations, nous avons vu que les victimes de charlatans renient leur famille et les petits-­enfants sont automatiquement coupés de leurs grands-parents qui souvent les ont élevés depuis qu’ils sont petits.

• Lorsque des grands-parents demandent à voir leurs petits­-enfants cela leur est souvent refu­sé : manipulés par le le thérapeute, leurs enfants refusent que les petits-­enfants voient leurs grands-parents dont ils sont séparés depuis les accusations. Souvent ces grands­-parents demandent une médiation.

Dans les médias, la pandémie et ses conséquences ont donné lieu à plu­sieurs articles ou émissions sur les dérives sectaires, dans le domaine de la santé en particulier. La question des faux souvenirs induits par des théra­peutes déviants en fait partie … mais il n’y a pas d’article sur ce sujet. Ce col­loque devrait aider, nous l’espérons, à refaire parler des victimes des théra­pies de la mémoire retrouvée.

Laisser un commentaire