Identification d’attitudes sources de dérives sectaire potentielles dans la vie communautaire ecclésiale

Nous allons tenter d’identifier quelques dangers de dérives présents au cœur de la vie chrétienne communautaire (paroissiale et/ou résidentielle). La vie chrétienne est par nature communautaire selon le paradigme présenté par le livre des Actes des Apôtres sur l’œuvre de l’Esprit en enfantement de l’Église primitive : « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun » (Ac 4,32). Cette vie communautaire se décline ensuite selon différents degrés d’intensité, conformément aux appels, aux vocations, aux engagements missionnaires, aux époques traversées, aux nécessités ecclésiales…

Il ne faut pas omettre de parler de la vie communautaire conjugale et familiale qui est sans doute la forme la plus spécifique et la plus répandue de la vie communautaire chrétienne, à condition qu’on la prenne au sérieux : la famille est une « église domestique », une petite cellule de la grande communauté ecclésiale. Mais précisément, des livres de plus en plus nombreux attirent notre attention sur les dérives présentes dans la vie familiale (je pense par exemple au livre récent de Christine Calonne, Petits abus de pouvoir en privé ; reconnaître les situations toxiques et poser des limites, Ixelles éditions, 2012 »)

Compte tenu de la floraison de Communautés nouvelles à partir des années 70-80, on serait tenté, pour parler de dérives sectaires en milieu ecclésial, de regarder d’abord de ce côté. En effet, le phénomène communautaire est clairement affirmé, donnant lieu à une créativité souvent mal encadrée, et donc donnant à terme plus de déviances à observer. Il semble même vraiment que la vie chrétienne communautaire résidentielle, le bouillon de culture communautaire, soit une sorte de milieu porteur de développement de déviances graves en rapport avec la volonté de puissance.

La vie chrétienne communautaire en paroisse est, en revanche, beaucoup plus souple, plus lâche, quelquefois inexistante pour des pratiquants réguliers ou occasionnels marginaux. Les dérives y semblent moins apparentes. C’est pourquoi nous puiserons plus d’exemples en milieu résidentiel qu’en milieu paroissial, sans être dupes cependant, sachant que la configuration de l’emprise manipulatoire se retrouve en tous milieux et toutes situations.

À vrai dire, les dérives apparaissent à partir de personnes particulières ayant un profil psychologique manipulateur. On a tort de penser immédiatement aux gourous de sectes notoires. Dans une famille, l’un des conjoints peut présenter ce profil. Dans une paroisse, un prêtre ou un laïc en responsabilité pastorale aussi. Dans une Communauté religieuse, le fondateur ou le responsable local peuvent être ou devenir de grands manipulateurs.

Ce profil psychologique se nourrit d’une position « en surplomb », qu’il s’agisse de la masculinité de l’époux, du statut de parent, de la responsabilité pastorale donnée par l’Église, du rôle d’organisateur issu d’une situation particulière… Dès que le manipulateur, de par son statut ou sa fonction, se trouve situé en plein cœur d’un groupe humain, l’emprise commence son travail de vassalisation. Par cercles concentriques, les personnes sont soumises et deviennent dépendantes… Il suffira ensuite qu’il mette en oeuvre certaines contraintes de pensée et d’action, pour aboutir à une unité formatée qui signera la dérive sectaire.

Cependant, l’objectif poursuivi dans cette formation n’est pas d’abord sociologique, mais pastoral : chercher à repérer les situations et attitudes toxiques, pour poser des limites, mais aussi pour nous convertir et éradiquer ces situations et attitudes comme on arrache la mauvaise herbe dans un jardin. En ce sens, une observation avisée et transversale peut aboutir à pointer un certain nombre de réalités déviantes que l’on trouve aussi bien dans la vie communautaire résidentielle, que paroissiale ou familiale.

Il faut dire un mot enfin du terme employé : « dérives sectaires ». En effet, vous le savez, en France et en Europe, on parle de moins en moins souvent de « sectes ». « Comme le droit français, la Cour européenne refuse d’utiliser la notion de secte, extrêmement dangereuse dans la mesure où elle est généralement définie par la doctrine à l’aune de la notion de religion. Autrement dit, une religion serait une secte qui a réussi, et une secte serait une religion en devenir. Cette définition, adoptée aux États-Unis, constitue en réalité un moyen pour les sectes d’affirmer leur légitimité, en se présentant comme un groupe de fidèles réunis autour d’une foi partagée. Tel est le cas des Témoins de Jéhovah et des Mormons qui parviennent, peu à peu, à obtenir le statut de religion, avec l’aide de la Cour européenne. Accepter que les Témoins de Jéhovah soient considérés comme une religion ne conduit cependant pas à étendre ce statut à tous les groupements dirigés par des gourous plus ou moins allumés, plus ou moins dangereux pour les adeptes, parfois fort peu nombreux.

C’est la raison pour laquelle le droit français se réfère à la notion de dérive sectaire, qui s’applique lorsqu’un groupement « poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ». Cette formulation, issue de la loi About-Picard du 12 juin 2001, donne ainsi une définition pénale de la dérive sectaire. Il n’y a pas de lutte contre les sectes, mais une lutte très affirmée contre la manipulation mentale, l’abus de faiblesse, l’escroquerie, la pédophilie, et autres pratiques illicites. » (Roseline Letteron, www.contrepoints.org/2012/07/23/91239-les-raeliens-devant-la-cour-europeenne-tout-ce-que-vous-voulez-savoir-sur-les-sectes-sans-oser-le-demander). Je vous renvoie aux textes spécifiques sur la notion de dérive sectaire mis en ligne sur notre site par un lien qui redirige vers site de l’Unadfi.

Ceci posé, la problématique spécifique de la réflexion menée ici concerne la vie ecclésiale. Cela peut nous paraître normal, en nous disant que l’Église vit en interpénétration avec le monde, et qu’on risque donc de retrouver en son sein la plupart des déviances de la société. Cela peut nous paraître déplacé, parce que nous préférons nous attacher à une vision prégnante de la sainteté de l’Église, à la manière de saint Paul qui écrit : « Il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5, 27). Cela peut nous paraître certainement scandaleux, parce que nous sommes réticents (jusqu’au déni) à regarder en face et à accepter comme vraie, la ruse suprême dont est capable le Mal, à savoir qu’il est présent là où l’on ne l’attend pas…

Notre réflexion ne consistera pas à pointer des attitudes évangéliques faussées. Mais à affirmer que la secte peut rentrer dans l’Église. Elle pourra sembler bien négative, ou noire. Il ne faut ni la majorer ni la minimiser. Il faut simplement regarder en face, aussi pénible soit-il, que la ruse suprême du Mal est d’arriver à se dissimuler non seulement sous l’apparence du bien, mais du meilleur… Ne pas vouloir en parler parce que cela peut sembler trop extrême, c’est accepter que tout soit rendu impossible à Dieu, par notre silence complice qui rend alors tout possible au Mal.

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Conférence donnée pour la Pastorale Nouvelles Croyances et Dérives Sectaires, diocèse du Mans, par le P. Dominique Auzenet en 2012.

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