Le chagrin scolaire

Georges Fenech, Gare aux gourous, Santé, bien-être, Éd. du Rocher, 2020, pp. 246-248.

Parmi les toutes dernières nouveautés ayant fait leur apparition à l’école, signalons le programme insolite appelé « Chagrin scolaire », qui risque de pervertir l’enfant malléable.

Il dispense une « thérapie brève » pour les élèves et un accompagnement pour les équipes éducatives, afin de lutter contre le harcèlement et les violences scolaires, mise en œuvre par une société privée que dirige une certaine Emmanuelle Piquet sous le titre ronflant de présidente du Centre de recherches sur l’interaction et la souffrance scolaire (Criss). La formation coûte 9 000 euros et consiste en quatre heures d’intervention par mois, sur trois ans.

Des « psychopraticiens » du Mental Research Institute expliquent s’inspirer des travaux scientifiques de Palo Alto pour recommander aux jeunes victimes d’appliquer ni plus ni moins que la « loi du Talion ». Autrement dit: rendre coup pour coup à son agresseur verbal ou physique.

Cette thérapie dite « brève et stratégique » forme les personnels de l’éducation au « boomerang verbal ». Le premier diplôme a été créé en 2017 à Dijon et s’adresse à des psychologues, chefs d’établissement, médecins scolaires … Le concept repose sur le principe qu’en réprimandant le harceleur on ne fait que le renforcer dans son statut de toute-puissance et du même coup réduire le harcelé dans la position du faible. Il faut donc outiller ce dernier pour qu’il apprenne à se défendre par lui-même et à retrouver sa fierté. Ce sont environ cinq cents enfants victimes qui sont formés chaque année par cette méthode. Selon Emmanuelle Piquet, 85 % des cas de harcèlement sont ainsi résolus. Des centres « Chagrin scolaire » fleurissent un peu partout – à Lyon, Mâcon, Paris, Lille, etc. – et leur promotrice s’est vu décerner l’Ordre national du mérite, le 12 mars 2019, des mains du ministre de !’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.

« Quelle ne sera pas la stupeur de parents découvrant que, suite à une consultation, il a été conseillé à leur fille d’orga­niser une baston en cours de récréation? [ … ] Comment a-t-on pu permettre l’usage d’une thérapie en milieu scolaire par une personne qui ne dispose d’aucun titre professionnel? », s’interroge le site d’information Médiapart (1), qui s’inquiète en outre que « dans cette ouverture de l’école à l’innovation viennent s’engouffrer bon nombre de marchands d’offres pédagogiques, de charlatans toujours prêts à [ … ] assurer de leur capacité à produire l’école du bonheur et à régler les problèmes [ … ] quotidiens professionnels. Et ce aux dépens des élèves.

Comment les parents réagiront-ils lorsqu’ils apprendront que leurs enfants sont invités, dans un but pédagogique, à pratiquer l’autodéfense et la vengeance? »

Ne risque-t-on pas, en effet, de créer au sein de l’école de nouvelles tensions?

La question des mineurs victimes du charlatanisme ne peut laisser les pouvoirs publics indifférents. Et pourtant, la protection qui est due à cette population particulièrement vulnérable n’est pas à la hauteur des engagements de la France, signataire de la convention de New York de 1989 sur les droits de l’enfant.

J’ai eu l’occasion de le déplorer à maintes reprises, et notamment lorsqu’en 2006 j’ai été amené à présider la commission d’enquête parlementaire sur l’influence des mouvements à caractère sectaire sur la santé mentale et physique des mineurs. Nous avons déjà évoqué le martyre de Candace, ou le traitement des enfants « cristal », mais gardons à l’esprit qu’en France, environ cinquante mille mineurs sont touchés par le phénomène sectaire, qu’ils en subissent des conséquences au niveau de leur développement personnel ou de celui de leur intégrité physique. On ne rappellera jamais assez le sort des enfants victimes de l’idéologie de leurs parents les privant d’éducation et de soins, par l’exclusion du système scolaire. Profitant de la liberté de l’enseignement, certains mouvements ouvrent, en effet, des écoles hors contrat et dispensent eux-mêmes l’enseignement.

Dans un tel contexte de « mise à l’écart », certains enfants peuvent être victimes de privation de soins. Ce fut le cas, en 1997, au sein de la commu­nauté Tabitha’s Place à Sus (Pyrénées-Atlantiques), à l’intérieur de laquelle le petit Raphaël est mort à l’âge de 19 mois d’un rachitisme et d’une maladie cardiaque non traités. Ne pesant plus que 4,5 kg, il aurait pu être soigné, mais ses parents étaient opposés à toute intervention médicale. «Les enfants nous ont été confiés par Dieu et nous ne voulons pas les confier à n’importe qui », s’était justifié après coup Haggaï, de son vrai nom Olivier Lambart, chef de cette communauté dite des « 12 tribus », qui vit de manière autarcique en imitant les premiers chrétiens.

En 2001, les parents de l’enfant martyr ont été condamnés par la cour d’assises de Pau à douze ans de réclusion criminelle pour privation d’aliments et manque de soins ayant entraîné la mort.

Force est de déplorer qu’en 2020 cette communauté est toujours florissante et qu’elle a pris possession d’un nouveau centre, en 2018, en plein cœur de Toulouse ! La vigilance reste plus que jamais de mise.

(1) Paul DEVIN, « La souffrance des élèves : un nouveau marché pour charla­rans », consulté le 20 juillet 2019.

Additif

Site à consulter : https://a180degres.com/

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