L’homéopathie, un placebo ?

Georges Fenech

Extrait de son livre Gare aux gourous – Santé, bien-être: Enquête sur les dérives thérapeutiques d’aujourd’hui, Ed. du Rocher, 2020, chapitre « L’homéopathie », pp. 159-168.

L’homéopathie est en pleine ébullition depuis que les autorités sanitaires ont opéré une véritable révolution coper­nicienne en la rétrogradant au rang de thérapie non conven­tionnelle, qui plus est déremboursée.

La France a déboursé en 2016 au titre de l’Assurance maladie 52,8 millions d’euros et 126,8 millions d’euros en 2018.

Bien que toutes les études scientifiques indépendantes aient martelé que l’homéopathie n’a guère plus d’effet qu’un placebo, en France, près de six personnes sur dix y ont malgré tout recours. Prétendre que l’homéopathie est efficace conduit immanquablement à rejeter en bloc toutes les lois de la physique, de la biochimie et de la pharmacologie réunies. Tandis que la science médicale repose sur des bases éprouvées, reproductibles et mesurables, l’homéopathie relève du champ ésotérique, sans aucune base scientifique.

D’où vient l’homéopathie? S’agit-il d’une formule magique ou d’une vraie médecine? En réalité, c’est un très ancien concept apparu en 1756 selon lequel « il faut soigner le mal par le mal ». Son inventeur, le docteur allemand Samuel Hahnemann, enseignait que, puisque certaines plantes donnent les symptômes d’une maladie à des patients sains, elles deviennent forcément curatives sur ceux qui présentent les mêmes symptômes mais atteints d’une vraie maladie. C’est la loi de la similitude : on administre de la caféine diluée pour lutter contre l’insomnie, du venin d’abeille dilué contre les piqûres d’insectes, etc.

Avant d’utiliser ces extraits, il faut d’abord éliminer leur toxicité en les diluant dans de l’eau à plusieurs reprises (c’est la dilution), puis il faut les secouer (c’est la dynamisation) pour qu’ils conservent leur efficacité première.

Enfin, la dernière singularité de l’homéopathie réside dans le fait d’individualiser le produit en fonction de la personnalité du patient, dans une démarche de type holis­tique, celle-là même que l’on retrouve dans les thérapies non conventionnelles et dans toutes les sectes guérisseuses.

Pour démontrer la véracité de ses découvertes, Samuel Hahnemann n’avait pas hésité à tester sur lui-même une décoction d’écorce de quinquina censée guérir du paludisme. Ressentant les effets de cette maladie, il en avait tiré la base de l’homéopathie résumée à la formule « simila similibus curantor » (« les semblables sont guéris par les semblables »), autrement dit : tout produit capable de produire les symptômes d’une maladie peut aussi la guérir.

En 1819, il publie L’Organon de l’art de guérir qui deviendra la bible des homéopathes. Las ! Ce qui valait au début du XIX° siècle a volé en éclats au XXI° siècle, grâce aux progrès de la science médicale. Nous savons aujourd’hui que le principe de similitude ne repose sur aucun fondement prouvé. Jamais, par exemple, un antibiotique administré à un homme sain n’a reproduit les symptômes de la maladie qu’il guérit.

Il faut ajouter à cela que, soumis à des dilutions à répétition, le produit granulé ne contient plus rien d’un principe actif. On tombe de facto dans l’irrationnel et la croyance. Or, c’est bien ce même procédé qui est toujours utilisé par les labora­toires modernes : on dilue et on « dynamise » une « teinture mère» fabriquée à partir de plantes, d’extraits d’animaux ou de produits chimiques. Une goutte de teinture mère est mélangée avec quatre-vingt-dix-neuf gouttes de solvant (généralement de l’eau alcoolisée), ce qui donne 1 CH, puis on renouvelle l’opération à 2 CH, etc. Plus le CH est élevé, plus le produit « mère » est dilué.

Mais, à y regarder de près, le concept même de dilution défie l’intelligence. Le principe repose en effet sur le postulat – jamais vérifié – que chaque dilution permettrait à l’eau de conserver une « mémoire » des propriétés de la substance, alors même que les molécules sont quasi absentes à la fin du processus. Ainsi, un remède en dilution 30 CH que l’on trouve sur certains produits signifie que la substance a été diluée mille soixante fois, soit l’équivalent d’une goutte d’eau dans cinquante fois le volume de l’eau présente sur Terre!

Qui peut raisonnablement croire, qu’à ce stade, la substance active produise le moindre effet thérapeutique, excepté l’équivalent d’un effet placebo?

On rappellera qu’un placebo désigne un médicament factice qui ne contient aucune substance pharmacologique active, comme le sucre ou l’amidon par exemple. Cependant, il est communément admis que près de la moitié des douleurs seraient atténuées par la prise d’un placebo. Il s’agit d’un effet purement psychologique. Les nombreuses études menées, notamment à l’étranger, ont toutes conclu à l’absence d’effi­cacité biologique des produits ainsi dilués. À titre d’exemple, le Conseil national australien pour la santé et la recherche médicale s’est appuyé sur deux cent vingt-cinq cas pour conclure que l’homéopathie ne devrait pas être utilisée pour les maladies chroniques sérieuses, ou qui risquent de le devenir. Elle pourrait même se révéler dangereuse si un individu repousse ou rejette les traitements dont l’efficacité est prouvée. Citons encore l’étude publiée en 2005 par la très renommée revue médicale britannique The Lancet, ou encore celle publiée en 2010 par le Parlement britannique.

Enfin, le Conseil scientifique des Académies des sciences européennes (Easac), regroupant vingt-sept pays, dont la France, estime que « les revendications scientifiques de l’homéopathie ne sont pas plausibles et sont incompatibles avec les concepts établis de la chimie et la physique ».

Malgré tout, les nombreux partisans de l’homéopathie n’en démordent pas : les effets biologiques sont bien produits par une sorte de « mémoire » de l’eau. Ce qui n’est pas sans rappeler la très controversée affaire Benveniste survenue à la fin des années 1980. Bref rappel. ..

Ce médecin immunologiste réputé, Jacques Benveniste, membre de l’Institut de recherche sur le cancer du CNRS, chef de clinique à la faculté de médecine de Californie, chercheur à l’lnserm, conseiller de Jean-Pierre Chevènement (alors ministre de la Recherche) fut le découvreur, en 1971, du facteur activateur des plaquettes sanguines, ce qui le plaça dans la liste des nobélisables. Il bascula étrangement de l’autre côté du miroir, lorsqu’il entreprit ses recherches très contro­versées sur la « mémoire de l’eau». Le scientifique prétendit, à la stupéfaction générale, avoir activé la dégranulation de basophiles avec de hautes dilutions d’anticorps lgE. Il en conclut avoir apporté la preuve que l’eau avait mémorisé les propriétés d’une substance qui ne s’y trouvait plus. Il affirma même que cette « mémoire de l’eau» pouvait être transmise à distance par des vecteurs ondulatoires, en utilisant le téléphone ou Internet. Cette découverte validait scientifi­quement, à ses yeux, le principe de dilution-dynamisation utilisé par les établissements Boiron (auquel il était lié par un contrat professionnel), qui affichent un chiffre d’affaires de 371 millions d’euros pour la France, 167 pour le reste de l’Europe et 65 pour les États-Unis et le Canada réunis.

Cette pseudo-découverte, jamais soumise à un autre mode d’expérimentation en raison du refus de Jacques Benve­niste, devait entraîner un tollé au sein de la communauté scientifique. L’affaire prit une nouvelle tournure lorsque le célèbre professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le sida, s’empara à son tour des recherches de Jacques Benveniste, après son décès en 2004.

 « La biologie moléculaire] ... ] a atteint des limites et elle n'explique pas tout, écrivait-il (Les Combats de la vie, Éd. J.-C. Lattès, 2008). Certains phénomènes, comme l'homéo­pathie, restent mystérieux. Je fais allusion à certaines idées de Jacques Benveniste (le scientifique qui a inventé la "mémoire de l'eau") car j'ai récemment rencontré des phénomènes que seules ses théories semblent pouvoir expliquer. Je parle d'observations, pas de croyance. Certaines choses nous échappent encore, mais je suis convaincu qu'on saura les expliquer de la manière la plus rigoureuse. Encore faut-il pouvoir mener des recherches à ce sujet! Si l'on commence par nier l'existence de ces phénomènes, il ne se passera rien. » 

Comme on pouvait s’y attendre, le professeur Luc Monta­gnier fit à son tour l’objet de très vives critiques émanant de la communauté scientifique. Et rien, à ce jour, ne permet d’abonder en faveur de l’« extraordinaire» découverte de Jacques Benveniste ou des effets magiques de la dilution utilisée en homéopathie. Disons-le tout net : tous les essais prétendument probants de l’homéopathie ont été financés par les laboratoires de produits homéopathiques eux-mêmes, ce qui ôte tout crédit à leur validité scientifique.

En France, la communauté médicale s’est décidée, pour la première fois, à croiser le fer avec l’homéopathie en parti­culier, et les médecines alternatives en général par le biais d’une tribune publiée dans Le Figaro, le 27 juillet 2018, sous le titre « Appel des 124 professionnels de la Santé contre les médecines alternatives ». Le collectif médical demandait clairement l’exclusion des disciplines ésotériques du champ médical:

« L'homéopathie, comme les autres pratiques qualifiées de
"médecines alternatives", n'est en rien scientifique. Ces
pratiques sont basées sur des croyances promettant une guérison
miracu­leuse et sans risques. En septembre 2017, le Conseil
scientifique des Académies des sciences européennes a publié un
rapport confirmant l'absence de preuves de l'efficacité de
l'homéo­pathie. Dans la plupart des pays développés, les
médecins se voient interdire de prescrire des produits
homéopathiques [ ... ]. De ces pratiques qui ne sont ni
scientifiques, ni éthiques, mais bien irrationnelles et dangereuses,
nous souhaitons nous désoli­dariser totalement. »

À la suite de cette tribune au fort retentissement, les cent vingt-quatre fondaient le collectif Fakemed pour maintenir la vigilance.

Immédiatement, comme on pouvait s’y attendre, ils essuyèrent les salves médiatiques et judiciaires du « monde homéopathe ». Dix parmi les cent vingt-quatre se virent visés par des plaintes disciplinaires de syndicats qui saisirent le Conseil national de l’ordre des médecins. Dans un commu­niqué, ils invitèrent « tous ceux qui considèrent cette inadmis­sible agression idéologique comme une incitation à l’intolé­rance à se joindre à ces plaintes », en dénonçant une « tribune insultante et anticonfraternelle ».

Si ces réactions étaient si vives et relayées dans les médias, c’est que, hélas!, en France, et contrairement à d’autres grands pays, l’homéopathie a eu, jusqu’à une époque récente, le vent en poupe auprès des pouvoirs publics. Elle était classée, en effet, et de manière unique au monde, comme « médicament », avec un statut dérogatoire vis-à-vis des exigences habituel­lement requises par l’Autorité de mise sur le marché (AMM).

Pour comparer, en Suède, on ne trouve pas de produits homéopathiques dans les pharmacies; ils sont d’ailleurs interdits de prescription médicale, sous peine de radiation de l’ordre des médecins. Au Canada, ils sont simplement classés dans la catégorie des produits de santé naturelle. Aux États-Unis, les étiquettes doivent mentionner expressément qu’« il n’existe aucune preuve scientifique de l’efficacité du produit », et que « les allégations concernant le produit sont basées uniquement sur des théories datant du XVII° siècle qui ne sont pas admises par la plupart des experts médicaux actuels ».

En France, étonnamment, c’est par une libéralité, datant des années 1960, que l’homéopathie a été dispensée de la lourde procédure d’autorisation de mise sur le marché qui contraint à des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques, avant toute vente de médicaments.

Un simple article du Code de la santé publique relève l’« usage bien établi » du « médicament ou des souches homéopathiques le composant », et mentionne même une « tradition homéopathique » pour justifier cette dérogation exceptionnelle! Quand l’« usage » et la « tradition » ont-ils constitué des critères de sécurité sanitaire ? Les traitements homéopathiques, on le sait, peuvent en certains cas aboutir à des drames lorsqu’ils se substituent à la médecine allopa­thique. Un exemple douloureux nous est venu d’Italie.

« Omeopazzia » (« homéo-folie ») titrait le Corriere della sera, la veille de la mort en Italie, le 27 mai 2017, du petit Francesco âgé de 7 ans. L’enfant souffrait d’une otite traitée uniquement par homéopathie.

« Malheureusement, pouvait-on lire, il reste des gens si faibles
et peu sûrs qu'ils n'arrivent pas à
vivre sans s'appuyer sur un dogme, qu'il soit religieux,
matérialiste, scientifique, antiscien­tifique, carnivore ou
encore vegan. »

Alors que l’état de santé de leur enfant s’aggravait et aurait nécessité une antibiothérapie urgente, les parents s’en sont remis, comme à leur habitude, aux « prouesses » de leur médecin homéopathe, Massimiliano Mecozzi. Les dégâts occasionnés au cerveau par l’infection furent fatals à l’enfant … Francesco est décédé trois jours après avoir été hospitalisé dans un état comateux. Parents et médecin doivent répondre devant la Justice d’homicide involontaire, à la suite de la plainte déposée par le grand-père.

En France, !’Agence du médicament (ANSM) a fini par admettre que « des effets indésirables graves peuvent survenir avec l’homéopathie». On aimerait en savoir davantage. Mais il semble que ce soit l’omerta. En tout cas, l’« appel des 124 » aura fini par réveiller les consciences et conduit les pouvoirs publics à opérer une volte-face qui mettra le feu aux poudres. En effet, un an plus tard, le bannissement se jouera en deux actes.

Premier acte. Le 28 mars 2019, les Académies de médecines et de pharmacie se prononcent contre l’homéo­pathie en publiant un communiqué commun réclamant la fin du remboursement de l’homéopathie par la Sécurité sociale; constatant qu’il s’agit d’un placebo et qu’aucune efficacité n’est scientifiquement prouvée; et préconisent de ne plus délivrer de diplôme universitaire dédié en faculté de médecine, de pharmacie ou d’école vétérinaire.

Premier cri de victoire du collectif Fakemed: « Nous sommes heureux de voir que deux académies se positionnent clairement. Il est temps que les pouvoirs publics et les instances ordinales en prennent acte. »

Second acte. Le 26 juin 2019, la Haute Autorité de santé rendait public à son tour l’avis demandé par le gouvernement. Après avoir considéré qu’« aucune étude n’a démontré la supériorité en termes d’efficacité (morbidité) de l’approche homéopathique par rapport à des traitements conventionnels ou placebos », la HAS se prononçait pour le dérembour­sement de l’homéopathie.

Nouveau coup de tonnerre, d’autant qu’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, avait préalablement annoncé qu’elle se conformerait à l’avis de la HAS. Aussitôt, on organise la riposte tous azimuts : pétition qui recueille un million de signatures, campagne médiatique, manifestations sur l’esplanade des Invalides à Paris, place de la Comédie à Lyon, où le maire Gérard Collomb prend la défense des établissements Boiron dont le siège se situe dans la région lyonnaise.

Les laboratoires Boiron, Lehning et Weleda font cause commune pour défendre leurs emplois. Ils évoquent le chiffre de mille trois cents suppressions de postes, et reçoivent le soutien de quarante-cinq députés qui signent une tribune pour demander au gouvernement de renoncer au dérembour­sement : « Il est difficile d’accepter l’idée selon laquelle cette pratique puisse soudainement être reléguée au rang de fake medecine », s’indignent-ils.

On n’imagine pas possible aujourd’hui un recul du gouvernement face aux lobbies, au détriment des intérêts de la population.

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