« L’unité par absorption », un péril pour la beauté de l’Unité

Pierre Vignon, prêtre

L’Unité est un très bel idéal que tous cherchent depuis toujours. Le psaume 121 chantait la joie de monter vers le Temple de Jérusalem, « ville où tout ensemble ne fait qu’un. » Et Jésus, avant de vivre positivement sa mort, ne pensant même pas à lui mais à ses apôtres, leur livra le fond de son cœur : « Que tous soient Un. »

Beaucoup depuis lui ont emboîté le pas en promouvant une spiritualité de l’Unité. Le Concile Vatican II (1962-1965) présente l’Eglise en citant saint Cyprien (+258) : « un peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit-Saint. »

C’est vrai, c’est bon, c’est beau. A cette précision essentielle près de tenir compte de l’altérité, et donc de la diversité, dans l’unité. Je reprends la belle formulation qu’en a faite le jeune dominicain David Perrin dans une homélie de l’an dernier :

« Le Père et le Fils sont l’un dans l’autre, certes, mais ils ne sont pas, de manière indistincte, l’un ou l’autre, l’un et l’autre. Autre est le Père, autre est le Fils, mais ils ne sont pas autre chose. »

C’est un des fondements de la foi chrétienne que l’Église a trouvé au cours des siècles en méditant le mystère de la Trinité et celui de la vraie personnalité, à la fois humaine et divine du Christ. Le Concile de Chalcédoine (451) a donné les termes définitifs. Il faut tenir l’ensemble « sans confusion… ni division ».

Au milieu du siècle dernier a surgi dans l’Église un de ces mouvements qui a soulevé des foules de chrétiens et que la hiérarchie s’est empressée d’accueillir : le mouvement des Focolari fondé par la célèbre (et célébrée) Chiara Lubich (+2008). La beauté de l’Unité était proposée en tête de gondole. C’était fabuleusement attirant. 

Mais voilà qu’un théologien plus regardant que les évêques et les cardinaux, le père jésuite Jean-Marie Hennaux, a trouvé une brèche dans ce bel ensemble, une faille digne de celle de San Andreas qui pourrait engloutir toute la Californie. Il l’a appelée : l’Unité par absorption

Quelques extraits seulement d’une lettre de Chiara Lubich du 23 novembre 1950 donnent une idée de la gravité du trou dans la gondole qui finira par faire couler la si belle tête de proue qu’est l’Unité :

« Chaque âme des Focolari doit être une expression de moi et rien d’autre… Leur attitude devant moi doit être un rien d’amour qui appelle mon amour… S’ils sont différents, je les abandonne… L’Unité est donc l’Unité et une seule âme doit vivre : la mienne, c’est-à-dire celle de Jésus parmi nous, qui est en moi. »

Comment ont fait les plus hauts responsables de l’Église pour ne pas s’apercevoir de cette hérésie ? Je n’en sais rien. Sans doute comme tous les autres grands mouvements spirituels dont les failles sont mises à jour depuis la mise en cause des Légionnaires du Christ et dont la liste ne cesse de s’allonger. Ils coulent les uns après les autres. 

C’est pourtant simple. On a le remède dans la Tradition : l’Unité oui, mais sans confusion ni séparation. L’Esprit-Saint qui a toujours la solution avait déjà donné la réponse : c’est Lui qui fait l’unité dans la diversité et à partir de la variété. La phagocytose n’est bonne et utile qu’en biologie. Dans la spiritualité, « l’unité par absorption » est une monstruosité théologique qui cause des dégâts irréparables. 

Aucun chrétien ne peut reprendre à son compte l’expression du chevalier de Hadoque dans « Le trésor de Rackham le Rouge » dans les Aventures de Tintin par Hergé : « Que le grand Cric me croque ! » Ce cri n’est que pour les perroquets de la forêt qui seuls peuvent le transmettre à travers les siècles. 

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