Valtorta/Medjugorje : des similitudes et une incohérence

René Gounon

auteur de M. Valtorta, l’Évangile dévoyé

Deux phénomènes mystiques hors du commun divisent aujourd’hui le monde catholique : les visions de la vie de Jésus en Palestine de Maria Valtorta (publiées en dix gros volumes sous le nom de « l’Evangile tel qu’il m’a été révélé ») , et les apparitions attribuées à la Vierge Marie, « la Gospa », à Medjugorje .

Curieusement ces deux manifestations revendiquées par leurs admirateurs comme d’origine divine sans que l’Église ne les aient jamais reconnues comme telles ont de nombreux points communs. Toutes deux sont ce que l’on appelle des «prodiges», des phénomènes si extraordinaires qu’il semble en effet tentant de les attribuer à Dieu. Pourtant le Christ lui même nous affirme (Mt 24,24) que les prodiges ne viennent pas tous du Ciel : « En effet de faux messies et de faux prophètes se lèveront et produiront des signes formidables et des prodiges, au point d’égarer, s’il était possible, même les élus ». Il est surprenant que pareil avertissement du Seigneur soit si facilement oublié.

Les deux manifestations ont aussi en commun d’être une parodie d’événements reconnus. Si les défenseurs de Medjugorje présentent ces apparitions comme une continuation de Fatima, c’en est plutôt la caricature. Il avait été confié aux voyants de Fatima un secret en trois parties. Ici six voyants ont reçu ou doivent recevoir chacun individuellement dix secrets ! Le célèbre miracle de Fatima avait été annoncé aux enfants trois mois plus tôt et s’est produit en effet à la date indiquée devant une foule immense venue spécialement pour y assister. A Medjugorje un miracle permanent « le Grand Signe » a été annoncé dès le début des apparitions pour « bientôt, très bientôt » mais on l’attend toujours plus de quarante ans plus tard. Quant aux écrits de Maria Valtorta ils semblent avoir pris pour modèle le « Petit Journal » de Sainte Faustine, auquel ses promoteurs le comparent volontiers : Jésus disait à Sœur Faustine « Tu es la secrétaire de ma Miséricorde », les admirateurs de Maria font d’elle « le porte-plume de Dieu »

Cette caricature se traduit dans les deux cas par la démesure, comme si la ou les entités spirituelles à leur origine voulaient nous impressionner par le volume.

A Medjugorje comme chez Maria Valtorta on a par rapport au modèle revendiqué une extraordinaire inflation des visions qui conduit à un véritable déluge de messages « célestes ». Alors que c’est au contraire dans la sobriété que se manifeste le mieux la puissance divine.

A Pontmain en 1871 trois heures de prières de quelques dizaines de personnes autour des voyants et du curé ont été entendues : dès le lendemain les troupes prussiennes toutes proches cessaient leur avance vers le village, quelques jours plus tard l’armistice était signé et les soldats de Pontmain pouvaient rentrer chez eux, tous sains et saufs.

A L’Ile-Bouchard en 1947 la grave crise intérieure qui menaçait la France d’une guerre civile s’est terminée soudainement et de façon inexplicable aux yeux du monde au lendemain d’une semaine de prières auprès des voyants dans l’église du bourg. Dans ces deux apparitions, quelle extraordinaire efficacité, quelle économie de moyens !

Mais à Medjugorje, sur les lieux mêmes où l’apparition a répété plusieurs fois que prière et jeûne pouvaient arrêter les guerres, celle de Bosnie-Herzégovine a duré près de quatre ans alors que des foules infiniment plus nombreuses priaient et jeûnaient en vain pendant des mois puis des années pour obtenir sa fin. Devant cette mise en échec des paroles de l’apparition on s’est bien sûr étonné, alors ceux qui croient en Medjugorje ont expliqué qu’on n’avait pas assez prié ! Les oreilles remplies des appels de la Gospa « Priez, priez, priez ! », ils ne peuvent que faire un lien entre volume de prière et efficacité, ils ne peuvent imaginer d’autre hypothèse pour expliquer l’échec qu’un déficit de quantité. Les exemples de Pontmain et l’Ile-Bouchard (où l’on ne jeûnait pas) démontrent pourtant que pour le Ciel la quantité n’est pas l’important, mais cette idée reste néanmoins toujours présente à Medjugorje. Comme elle l’est de façon toute aussi caricaturale chez Maria Valtorta avec cet « Evangile » 25 fois plus volumineux que l’ensemble des quatre évangiles réunis et où le bref mais dense sermon sur la montagne est remplacé par une série de discours interminables s’étendant sur une semaine.

Autre point qui rapproche les deux événements, ils fascinent le même public. Ce sont des personnes certes passionnées par le surnaturel, mais tellement convaincues et sûres d’elles-mêmes qu’elles pensent sans difficulté pouvoir avoir raison contre l’Église, sa prudence à Medjugorje ou ses mises en garde concernant Maria Valtorta.

Les plus ardents propagandistes de l’ œuvre de Valtorta, ceux qui donnent des conférences dans les églises ou des interviews sur les radios chrétiennes font souvent référence à Medjugorje, disant y avoir reçu la lumière ou retrouvé la foi.

Plus remarquable encore on rencontre dans les deux manifestations la même aberration : l’entité spirituelle qui parle aux visionnaires fustige ceux qui n’acceptent pas ces événements et assure qu’ils en paieront le prix au moment du Jugement.

A Medjugorje le 6 février 1986, la Gospa : « Acceptez les messages, les autres les accepteront ensuite. Vous devrez en répondre devant moi et devant mon Fils Jésus ». Dans les « Carnets » de Maria Valtorta le 10 mars 1949 c’est « Jésus » qui menace: « Aucun de ceux qui m’ont repoussé ou qui ont mal agi contre l’Oeuvre n’échappera à un châtiment sévère… ». Ces condamnations sans appel sont totalement incompatibles avec ce que l’Eglise enseigne puisque les fidèles ne sont jamais tenus de croire aux révélations privées, qu’elles aient ou non été authentifiées. Or on les retrouve presque à l’identique dans les deux événements.

Ayant constaté tous ces points communs, c’est sans surprise que l’on notera que (selon le site maria-valtorta.com, rubrique « Ils parlent de Maria Valtorta ») la Gospa à Medjugorje aurait répondu à l’une des voyantes qui la questionnait à propos de « l’Evangile tel qu’il m’a été révélé » : « Vous pouvez le lire ». Et à une autre voyante, de façon plus directive: « Si une personne veut connaître Jésus, elle doit lire L’Evangile tel qu’il m’a été révélé . Ce livre est la vérité ».

Pourtant une fausse note grossière vient de façon inattendue troubler cette belle harmonie: elle concerne un point en apparence tout à fait secondaire, celui de l’année de naissance de la Vierge Marie.

A Medjugorje, la Gospa a demandé que l’anniversaire de ses 2000 ans soit célébré avec solennité le 5 août 1984, elle serait donc née le 5 août -17 (et non -16 puisque l’an 0 n’existant pas il n’ y a qu’une année entre -1 et 1). Mais les scientifiques spécialistes de Maria Valtorta qui affirment avoir pu établir à partir de son œuvre une chronologie rigoureuse de tous les événements liés à la vie du Christ (site maria-valtorta.org, « calendrier chronologique de -53 à +80 ») ne donnent pas cette date : ils situent la naissance de Marie très exactement au 10 septembre -21 , soit près de quatre ans plus tôt . Comment la Gospa qui dit être née en -17 peut- elle affirmer que cet ouvrage qui la voit naître en -21 est « la vérité » ? Même si la date de naissance de la Vierge est sans importance pour un croyant, cet écart de quatre ans est une bien mauvaise nouvelle pour ceux qui sont convaincus de l’origine divine des deux événements et font souvent cause commune : deux révélations venues de Dieu ne sauraient se contredire, cette incohérence discrédite donc obligatoirement l’une ou l’autre des manifestations si ce n’est pas les deux. Et on ne voit pas trop comment ceux qui défendent l’origine divine de ces phénomènes mystiques vont pouvoir harmoniser le discours .

A Medjugorje c’est l’apparition elle même qui nous informe de sa date de naissance et Soeur Emmanuel Maillard, personnage central des lieux pour les francophones, célèbre chaque année cet anniversaire et en fait grand cas (voir par exemple la vidéo « Jour J à Medjugorje » sur le site Enfants de Medjugorje); pour Valtorta la date retenue résulte de calculs basés sur des observations scientifiques multiples qui ont permis de construire une chronologie dont la cohérence nous est présentée comme si extraordinaire qu’elle serait une preuve de l’origine divine de l’Oeuvre (voir « l’Enigme Valtorta » de Jean François Lavère).

On remarquera aussi que la date du 5 août -17 donnée à Medjugorje par la Gospa comme étant celle de la naissance de la Vierge est incompatible avec celle de la naissance de Jésus issue des calculs des valtortistes, dans la nuit du 10 au 11 décembre -5 : Marie n’aurait eu alors que 12 ans au moment de la naissance de Jésus, 11 à sa conception. On ignore malheureusement la date de la naissance de Jésus selon la Gospa, pourtant la mieux placée pour nous la faire connaître si elle est bien la Vierge : étonnamment elle n’a jamais demandé que soit célébrés les 2000 ans de la naissance de son Fils comme elle avait su le faire en 1984 pour son propre anniversaire… Cette naissance en -17 est également incompatible avec ce que nous disent aujourd’hui les spécialistes de l’époque qui tous situent la naissance du Christ entre -7 et -4.

Tous ces constats devraient inciter les adeptes de ces événements à s’interroger sur leur vraie nature et les aider à accepter que tous ne partagent pas leur enthousiasme.

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