Je souhaite vous faire connaître un livre du P. Hervé Ponsot, dominicain, Combat, la spiritualité au quotidien. Éd. du Cerf, 2016 (1), que je vous invite à vous procurer, à lire, et à travailler. Je souhaite vous en présenter ici uniquement les articulations et des extraits. Ce livre aide à entrer dans une compréhension équilibrée de cette réalité centrale de la vie chrétienne.
En fait, le combat spirituel ne devrait pas être vu en le rapportant au démon, mais à Jésus. Ce combat est en effet celui qui va permettre de s’identifier à Jésus, de « le revêtir » pour employer un terme très familier à l’apôtre Paul (Rm 13, 14; 1 Co 15, 53- 54 ; 2 Co 5, 2-4 ; Ga 3, 27) : en d’autres termes, de transfigurer le premier ou vieil Adam, cet être que nous sommes par notre naissance, en le configurant au second ou nouvel Adam, Jésus.
Ce combat implique bien une lutte contre le démon et sa cour, avec la valeur primordiale et exemplaire de ce e lutte, mais il ne s’y réduit pas : il est l’ajustement à Jésus de toute une vie en ses différentes composantes. D’ailleurs, dans le récit des Tentations, toutes les idoles mondaines potentielles évoquées, que l’on peut classer commodément sous les rubriques de l’avoir, du savoir et du pouvoir (Lc 4, 1-13), manifestent bien la diversité et l’étendue du « combat spirituel », qui ne se limite pas à un combat frontal et ponctuel contre Satan, que l’homme ne pourrait d’ailleurs que perdre.
I. Les acteurs du combat
Beaucoup plus que l’homme et Satan, les deux protagonistes sont Dieu et l’homme, dans leurs rapports réciproques tels que les campe la Bible: un Dieu de miséricorde, en quête de cet homme pécheur, qui s’est dressé contre lui dans le jardin de la Genèse, mais qu’il refuse d’abandonner. Et auquel il propose sans cesse de s’écarter du péché pour retrouver sa véritable identité d’être de communion, à l’image et la ressemblance de Dieu : par la venue au monde de Jésus, crucifié, mort et ressuscité, homme nouveau et parfait, Dieu met un point d’orgue à cette quête en offrant désormais à tout homme un modèle et une voie à suivre.
1. Dieu et l’homme
1a. L’homme à la recherche de la ressemblance perdue
« Adam, où es-tu? »: c’est la première demande que Dieu adresse à l’homme après le péché. Et Adam est un homme désorienté qui a perdu sa place dans la création parce qu’il croit devenir puissant, pouvoir tout dominer, être Dieu. Et l’harmonie se rompt, l’homme se trompe et cela se répète aussi dans la relation avec l’autre qui n’est plus le frère à aimer, mais simplement l’autre qui dérange ma vie, mon bien-être. » (Homélie aux migrants, pape François à Lampedusa, le 8 juillet 2013).
En résumé, le combat spirituel apparaît comme la lutte que l’homme doit mener pour retrouver le Paradis perdu, autrement dit la condition qui fut la sienne avant le péché et dont l’image de Dieu en lui garde la trace : un homme de communion en face du Dieu amour, différent de lui et recevant de lui à chaque instant, directement ou par la médiation d’autrui, tout ce qui lui est nécessaire pour grandir dans ses deux composantes relationnelles, humaine et divine. C’est le chemin que trace pour lui le Fils.
1b. Jésus le crucifié, parfaite image de Dieu
Comprenons bien toutefois qu’après la chute, ce e image qu’il s’agira de reproduire, en reprenant toutes les ressemblances, sera toujours celle de Jésus crucifié et glorifié, glorifié dans sa crucifixion : la croix sera désormais le seul chemin qui permette de revenir au Paradis. Un chemin que Jésus qualifie lui-même de resserré (Mt 7, 14), et qu’il est venu annoncer, vivre et promouvoir sur la terre. Nous allons visiter ce chemin en évoquant les étapes, les lieux, les moyens de « revêtir le Christ ».
2. Dieu et l’homme à l’épreuve l’un de l’autre
Dans les le res dites « Pastorales », saint Paul insiste sur la qualité du combat : « afin que tu combattes le bon combat » (1 Tm 1, 18), « combats le bon combat de la foi » (1 Tm 6, 12), « j’ai combattu jusqu’au bout le bon combat » (2 Tm 4, 7). L’homme est donc appelé à combattre pour retrouver le chemin du paradis perdu, mais contre qui doit-il lutter ? Comme le suggère l’évocation de la foi, le combat ne vise pas en priorité des êtres de chair et d’os, même si cela ne doit pas être complètement exclu. On pense donc plutôt spontanément aux forces spirituelles démo- niaques déjà évoquées et sur lesquelles on reviendra, qui trouvent tout un tas de relais tels l’orgueil ou l’argent, mais il en est d’autres que l’on mentionne plus rarement : soi-même, et Dieu. Tous les auteurs spirituels, comme les textes bibliques, en témoignent, la lutte contre Dieu est un des aspects du combat spirituel.
2a. L’homme en lutte contre Dieu
Dieu et l’homme sont en cause : ils doivent s’ajuster, et leur rapport s’exprime en termes de « mise à l’épreuve » car ni l’un ni l’autre ne font l’économie d’un tel ajustement.
Peut-on se battre contre Dieu? La proposi on paraît pour le moins étrange si, comme il a été dit, Dieu ne cesse de chercher l’homme, de venir à sa rencontre. Et pourtant, le fameux combat de Jacob (Gn 32, 23-31), même si l’on en adoucit les termes en parlant de « lutte contre l’ange », met bien en scène un combat contre Dieu, représenté par son ange: « tu as été fort contre Dieu » (v. 29). Et même si l’événement se présente de manière très différente, c’est aussi une forme de combat contre Dieu que mène Jésus à Gethsémani : « Éloigne de moi cette coupe » (Mc 14, 32-36).
Ne limitons pas l’ajustement au seul être humain : comme le rapporte l’Ancien Testament, dans sa quête de l’homme, Dieu n’a de cesse de s’ajuster à lui. En lui envoyant prophète après prophète, en lui donnant sa parole par de multiples canaux, y compris le canal de ses adversaires, Dieu ajuste sa proposition de salut à l’homme. Les pères de l’Église parleront de la « condescendance de Dieu », dont le sommet sera atteint dans la venue au monde de Jésus, fils de Dieu, venu ouvrir un chemin afin que nous marchions sur ses traces (cf. 1 P 2, 21).