Faut-il mieux encadrer les naturopathes ?

Un homme de 58 ans se présentant comme « naturopathe » et son fils ont été mis en examen, jeudi 12 janvier 2022, notamment pour « homicide involontaire. Plusieurs décès sont survenus à la suite de jeûnes prolongés organisés lors de « cures hydriques ». La secrétaire d’État à la citoyenneté, Sonia Backès, a rappelé dans la foulée que des assises se tiendraient au printemps pour donner « à l’État les moyens de lutter contre ces nouvelles formes de dérive sectaire ».

Les naturopathes ne sont pas des acteurs de santé

Jérôme Marty, Président du syndicat de médecins UFML-Syndicat – (source : Jérôme Marty)

Tous les professionnels de santé sont diplômés d’État et inscrits au code de santé publique, ce qui n’est bien entendu pas le cas des naturopathes. Il n’y a pas lieu de réglementer une profession qui n’en est pas une. Que ces personnes qui exercent une activité commerciale investissent le champ du bien-être, on ne peut l’empêcher. Mais la priorité est de contrer les tentatives d’immixtion dans le domaine de la santé.

Lors d’un récent Salon du bien-être à Toulouse, nous avons constaté que 80 % des stands utilisaient le mot soin. Il s’agit d’une dérive pour amener petit à petit à une reconnaissance de leur place comme acteurs de santé, ce qu’ils ne sont absolument pas. Le code de déontologie interdit à un médecin ou à une infirmière diplômée d’État de poser une plaque à côté de celle d’un naturopathe, iridologue, auriculothérapeute ou autre étiopathe… qui sont des activités commerciales. Et pourtant, dans certains cabinets partagés, on voit de telles cohabitations qui sont illégales. Des maires, pour remplir leur maison de santé, sont peu regardants. Cette confusion est dangereuse.

Nous avons récemment mené le combat pour que Doctolib fasse sortir de son référencement les naturopathes et autres activités du bien-être. Ce faisant, cette plateforme qui annonce avoir pour vocation la mise en relation des patients avec des professionnels de santé entretenait le trouble. Doctolib a finalement accepté, en octobre 2022, de sortir des milliers d’adresses même si l’on peut estimer qu’il existe encore des personnes qui n’ont rien à y faire.

La question de la prise en charge financière des actes est aussi un enjeu de mobilisation. En 2019, nous avons obtenu le déremboursement des médicaments homéopathiques. Cela nous a valu une quarantaine de procès que nous avons tous gagnés. Avec la naturopathie, la difficulté est que certaines mutuelles incluent ces actes dans leur prise en charge. C’est très problématique et nous tentons progressivement de faire bouger les choses.

Les naturopathes prétendent vouloir faire le ménage à la suite de récents scandales révélés par les médias. C’est leur affaire. Mais je ne vois pas comment évaluer le sérieux dans un secteur qui n’accepte pas le principe de la preuve scientifique.

Pour nous, la priorité est que l’État se mobilise contre la confusion. Il faudrait commencer par interdire légalement toute utilisation du mot soin ou santé par ceux qui ne sont pas des professionnels reconnus. C’est d’autant plus urgent que, dans le secteur du bien-être, de nouvelles formes d’emprise se sont développées avec l’essor des réseaux sociaux et, plus récemment, avec la crise du Covid qui a pu contribuer à une perte de confiance dans la médecine.

Recueilli par Bernard Gorce

L’État doit se décider à réglementer la profession

Jérôme Poiraud, Naturopathe et président de l’Organisation de la médecine naturelle et de l’éducation sanitaire (Omnes) – (source :Jérôme Poiraud)

En France, la naturopathie n’est pas une profession réglementée mais elle est tout de même structurée par plusieurs organisations visant à apporter des garanties de qualité et de sérieux. L’Omnes, l’association que je dirige et qui existe depuis quarante ans, en fait partie. Elle délivre des agréments aux écoles de naturopathie et propose des formations continues obligatoires, de manière que l’exercice de la profession ne se fasse pas sans connaissances ni bases légales.

Il est important de souligner que les dérives dont on entend parler concernent des cas isolés. En plus de ne pas avoir suivi de formation reconnue par nos instances, ces individus prétendent outrepasser les médecins. Ce n’est absolument pas le discours tenu par l’Omnes, où l’on ne parle d’ailleurs pas de médecine alternative ni même de médecine douce, mais d’approche complémentaire ou non conventionnelle. Un « vrai » naturopathe se place dans une logique de prévention, en complément du médecin traitant, mais il ne fait pas de diagnostic, ne donne pas de traitement, et en aucun cas ne peut faire sortir la personne de son parcours médical.

Il a néanmoins des connaissances en anatomie, en physiologie, en physiopathologie et en pathologies d’urgence. Ces bases médicales sont précisément ce qui lui permet de connaître les limites de son exercice et d’adresser la personne à un médecin quand cette limite est atteinte.

Reste que, aujourd’hui, n’importe qui peut se déclarer naturopathe, simplement après avoir ouvert un livre. Forcément, cela ouvre la voie à des dérives. Il est donc nécessaire que l’État se décide enfin à réglementer la profession, comme cela a été fait en 2012 pour les ostéopathes. Ainsi, seuls les naturopathes ayant suivi les formations agréées auraient le droit de s’installer. Cela représenterait une protection supplémentaire pour les usagers, même si cela ne mettrait sans doute pas fin aux dérives, qui existent partout – y compris chez les médecins, dont certains ont eu une approche complotiste ou antivax pendant la pandémie.

Pour l’heure, la France est le maillon faible de l’Europe. En 1997, une résolution du Parlement européen incitait les États membres à lancer plus d’études et à réglementer les médecines non conventionnelles, dont la naturopathie. Plusieurs pays ont saisi cette occasion, comme l’Italie, le Portugal, l’Allemagne, la Suède ou la Belgique. En Suisse, par exemple, les naturopathes sont considérés comme des professionnels de santé.

En attendant, il faut que les choses soient plus carrées. C’est pourquoi l’Omnes et les autres organisations qui représentent la profession ont engagé un processus de normalisation auprès de l’Afnor. C’est une démarche que nous finançons nous-mêmes, avec l’objectif d’aider les services de l’État, notamment la DGCCRF et Miviludes, à distinguer ce qui relève de la naturopathie ou du charlatanisme.

Recueilli par Jeanne Ferney

Journal La Croix, 17 janvier 2022.

Grand ménage sur Doctolib

Les médecines « douces » dans le dur. Jeanne Ferney. La Croix du 15/11/22.

Grand ménage d’hiver sur Doctolib ! Il y a deux mois, après des semaines de polémique autour des dérives de la naturopathie, le site décidait de notifier le caractère non réglementé de certaines médecines dites « douces ». Saine clarification qui devait éviter aux patients de se méprendre sur le statut de ces praticiens présentant parfois toute la panoplie du médecin, excepté un diplôme reconnu par l’État.

Fin octobre, après avoir consulté des dizaines d’acteurs du secteur, la plateforme a finalement décidé d’aller plus loin. Désormais, les naturopathes mais aussi les sophrologues, acupuncteurs, hypnotiseurs, chiropracteurs, phytothérapeutes… n’auront plus le droit de cité sur la première plateforme de prise de rendez-vous médical en France. Avertis de la résiliation de leurs contrats, ces 5 700 praticiens ont six mois « pour trouver une autre solution ».

Une décision largement saluée par les médecins, dont François Braun lui-même, le recadrage de Doctolib allant dans « le sens d’une plus grande clarté et lisibilité de l’information en santé », selon le ministre de la santé. De tribunes en lettres ouvertes, les professionnels du bien-être, eux, dénoncent une condamnation à mort, l’exclusion de la plateforme les privant d’une visibilité aussi commerciale que symbolique. Pour les médecins, qui alertent de longue date sur les risques liés à ces thérapies, la science a gagné face au « charlatanisme ». Pour les défenseurs d’une médecine non conventionnelle, le « scientisme » a eu raison de l’approche naturelle, pourtant de plus en plus plébiscitée par les Français. Chacun jugera.

Mais dans cette affaire, une voix manque cruellement : celle des patients. S’est-on demandé pourquoi ils s’en remettent de plus en plus aux mains de ces thérapeutes ? Qu’y cherchent-ils, à tort ou à raison, qu’ils ne trouvent pas ou plus chez leur médecin ? À l’heure où l’accès aux soins se complique en France – hôpital public en crise, généralistes débordés –, ces médecines « douces » sont parfois perçues comme une alternative, voire l’ultime recours. Est-ce une bonne chose ? Pas toujours, surtout quand l’état de santé d’un patient nécessite une prise en charge médicale. Est-ce systématiquement une mauvaise chose ? Peut-être pas, surtout si le patient est au clair avec ce qu’il peut attendre de ce praticien, une approche complémentaire qui ne remplace en rien l’expertise d’un médecin. Un « plus », à l’image des soins de support pour les malades du cancer, qui ne soignent pas mais offrent un peu de confort.

Évidemment, la volonté de protéger les patients des guérisseurs sévissant sur le marché du bien-être est louable. Mais si ces disciplines s’avèrent aussi dangereuses qu’on le laisse entendre, alors ce n’est pas à une entreprise privée mais aux autorités de santé de mieux les encadrer, voire de les interdire si elles peuvent nuire. La majeure partie de ces praticiens étant, pour l’heure, toujours dans la légalité, la logique voudrait que l’utilité des thérapies qu’ils proposent soit examinée, en s’appuyant sur l’état actuel des connaissances. Voilà qui irait véritablement « dans le sens d’une plus grande clarté ».


J’oserai ajouter : aurons-nous le courage, dans les lieux de communication d’Église, de faire le ménage en arrêtant toute publicité aux « surnaturopathes » ? ! D.A.