Dérives possibles dans certaines méthodes de développement personnel et de coaching

Coach vient du français cocher : celui qui avait pour mission de conduire la diligence ou le char à banc d’un point précis à un autre. Aujourd’hui, les passagers de ces coachs sont plutôt des otages qui ne savent plus ni d’où ils viennent ni où ils vont. Cet article se voudrait se faire mouche du coach !

Fouette cocher

Il existe en France une centaine d’écoles de formation au coaching. Mais les certifications de ces écoles ne sont reconnues, dans la plupart des cas, que par elles-mêmes.

Le champ de ces formations semble sans limites. Coach mental, esthétique, santé, stratégie nutritionnelle, sport, amour conjugal, sexualité épanouie, gestion du stress, gestion des conflits, en entreprise, gestions des émotions, du rangement, du jardinage, du jogging, du maquillage, jusqu’aux conseillers funéraires…

Maîtres mots

Pas de souci. Profite. Enjoye. Sois toi-même. Épanouis-toi.

Ce sont des mots ou des injonctions que nous ne cessons d’entendre aujourd’hui et qui pourraient résumer l’objectif du coaching ou du développement personnel. Le carpe diem, profite du moment, des hédonistes en est la priorité et la finalité.

Ces nouveaux Narcisse contrôlent leurs propres images retouchées sur les miroirs de leurs comptes facebook, tweeter…, tentant d’obtenir le maximum de like. Ils ont besoin du regard d’autrui pour donner du poids à leur (in) consistance.

Pour cela il faut apprendre à positiver toujours et partout, quelles que soient les circonstances ou les événements, entrer de manière volontariste dans la pensée positive ; soit dit en passant, une pensée qui positive plus qu’elle ne pense.

Les coachs brouillent les concepts, emploient des mots génériques mal définis, dans leurs conseils pour gagner en joie, en paix, en assurance, en sérénité, en performance.

Julia de Funès rappelle qu’en philosophie, la tendance à privilégier la réalité des mots sur la réalité des choses s’appelle le nominalisme. Alors que la pensée philosophique réaliste préfère un réel douloureux à une illusion réconfortante. Ainsi Albert Camus écrivait : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde.[1]»

Finalité

Coaching et développement personnel se présentent comme des approches nouvelles qu’il s’agit d’expérimenter sans tenir compte ni de l’expérience ni de la sagesse de ceux qui nous précèdent, ni des valeurs reçues et à transmettre aux futures générations.

Quand effectivement chaque individu se prend pour le centre, le roi du monde, nous pourrions remplacer, dans ce constat de Tocqueville, le mot démocratie par développement personnel :

« Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et les sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur.[2] »

L’immédiateté de la sensation prend le pas sur la réflexion, l’élaboration d’une pensée, la raison.

« La fidélité, l’effort ou le devoir, présupposant l’idée de temporalité, de prolongement dans le temps et de dépendance à l’égard d’autrui, deviennent des valeurs décadentes.[3]»

Les nouveaux maîtres à penser ne sont plus ni les instituteurs laïcs et républicains qui enseignaient chaque matin une leçon de morale, ni les prêtres directeurs de conscience qui indiquaient une bonne orientation pratique de vie, mais les coachs et thérapeutes en tout genre.

« La discipline d’hier, censée remettre sur le « bon » chemin les individus, se voit remplacée par le développement des capacités de l’individu. Si tout est désormais du ressort du sujet, c’est à ses capacités qu’il faut s’en remettre. La question de l’individu souverain n’est plus seulement « ai-je le droit de faire ceci ou cela ? », mais « suis-je capable de le faire ? » : « Si comme le pensait Freud : « l’homme devient névrosé parce qu’il ne peut supporter le degré de renoncement exigé par la société [4] », il devient déprimé parce qu’il doit supporter l’illusion que tout est possible. Cette illusion est celle que véhiculent bon nombre de coachs et d’ouvrages de développement personnel. [5] »

Tomi Ungerer

Voici ce que peut dire un coach : « Si seulement nous pouvions voir autrement le réel, notre vie irait bien mieux. » Il s’agit donc de se persuader que nous pouvons changer le réel par des exercices appropriés. Quelle illusion ! Alors que la tradition classique philosophique ou spirituelle nous invite sans cesse à nous convertir au réel. « Les évènements sont nos maîtres », disait Bossuet. L’illusion de la toute-puissance narcissique est de croire que nous pouvons maîtriser tous les événements.

Historique

Émile Coué

Émile Coué en 1922, avec sa fameuse méthode prétend que la répétition mentale incessante de « Tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux » a un effet bénéfique automatique. Les Américains qui lui ont réservé un accueil triomphal ont été les premiers à développer le concept de pensée positive. En 1936, Dale Carnegie publie How to win friends and influence people. Comment gagner des amis et influencer les gens. Il y élabore un programme de développement personnel pour prospérer dans le monde des affaires.

Dale Carnegie

À partir de 1962, l’institut d’Esalen en Californie, berceau de la psychologie soi-disant humaniste et du mouvement du potentiel humain, devient le cœur de toutes méthodes de développement personnel et de toutes ses dérives potentielles : de la méditation transcendantale à l’élaboration psycho spiritualisante de l’ennéagramme jusqu’à la méditation de pleine conscience[6].

Richard Bandler et John Grindler surfent sur cette tendance à trouver la performance maximum pour enrichir toutes ses potentialités et créent la PNL ou Programmation Neuro Linguistique[7].

Raison du succès

Nos sociétés de consommation ont suscité des individus qui ont le besoin addictif d’assouvir immédiatement leurs besoins, de se débarrasser de toute gêne le plus rapidement possible. Aussi toutes formes d’autorité, de dogme, de morale deviennent des limites insupportables. Les traditions, l’inscription dans une histoire, la filiation parentale sont alors à rejeter comme autant de carcans et d’entrave à l’épanouissement personnel. Ainsi les coachs parlent-ils, non pas de savoirs théoriques ou de sagesse pérenne qui nécessiteraient un long apprentissage, mais d’expériences à réaliser instantanément.

Eckart Tolle

Le record mondial dans ce domaine appartient à Eckart Tolle dont le livre Le Pouvoir du moment présent publié en 1997 aux Etats-Unis, devenu un best-seller et traduit en 33 langues, a été vendu rien qu’en Amérique du Nord à plus de 4 millions d’exemplaires. Ses émissions sur le web ont touché environ 35 millions d’internautes. Son fond de commerce se résume à ceci : comment être plus heureux, plus apaisé et comment réussir dans la vie. S’il n’est pas le premier à théoriser sur le sujet, il a le soutien, pour ce succès planétaire, des grands médias et de l’inévitable Dalaï-Lama. Ses conseils sont un mélange de pseudo science, de poncifs New Âge, et de spiritualités de supermarchés. De fait les techniques de Tolle sont des techniques suggestives conditionnant ceux qui s’y adonnent à vivre une forme d’hypnose anesthésiant et pasteurisant les inévitables aspérités de l’existence.

Raphaëlle Giordano

En 2017 paraissait le livre de Raphaëlle Giordano, se présentant comme coach de vie certifiée, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en a qu’une, 735 400 exemplaires vendus. Elle se dit certifiée par la Coach Académie accréditée par qui et comment, le mystère demeure aussi épais que celui des Toltèques.

L’ouvrage de Don Miguel Ruiz, Les Quatre Accords Toltèques, Ed. Jouvence, est également sur le sujet, un des livres les plus vendus en France. Voici les promesses qu’il tient sur sa quatrième de couverture : « Les Quatre Accords proposent un puissant code de conduite capable de transformer rapidement notre vie en une expérience de liberté, de vrai bonheur et d’amour. Le monde fascinant de la Connaissance véritable et incarnée est enfin à la portée de chacun. »

Thomas d’Ansembourg

Le développement personnel devient pour ces auteurs une planification comportementale, une programmation de conduites où, sous prétexte d’épanouissement, liberté et spontanéité sont contraintes. Aujourd’hui près d’un tiers des Français lit chaque année un livre sur le développement personnel, selon une étude du Centre national du livre paru en 2017, avec un chiffre d’affaires de 53 millions d’euros. Cessez d’être gentil, soyez vrai, de Thomas d’Ansembourg (environ 200 000 exemplaires vendus). Les Cinq Blessures qui empêchent d’être soi-même, de Lise Bourbeau (environ 600 000 vendus).

Lise Bourbeau

L’omniscient et désormais expert en développement personnel, Jacques Attali a publié le livre Devenir soi qui s’est écoulé à 100 000 exemplaires.

Jacques Attali, du haut de sa tour d’ivoire de l’oligarchie mondialiste, conseille le vulgaire apprenti au bonheur de ses conseils déconnectés de l’humble réalité : « À condition de le vouloir vraiment, de prendre le temps d’y réfléchir, il est possible, où que l’on soit, qui que l’on soit, de faire le métier dont on rêve, d’apprendre ce que l’on veut apprendre, de choisir librement son apparence, ses amours, sa sexualité, son lieu de vie, sa langue, de trouver et d’assumer qui on est vraiment.[8] » Quel déni de la réalité de la majorité des homes et des femmes à travers l’histoire jusqu’à aujourd’hui ! Quel mépris de la douloureuse condition humaine ! Et quelques pages plus loin : « Pour vous débrouiller, pour réussir votre propre vie, ayez confiance en vous. Respectez-vous. Osez penser que tout vous est ouvert. [9] »

Le Devenir soi de Jacques Attali dont le sous-titre est « Prenez le pouvoir sur votre vie ! », serait-il le nouveau et réel opium du peuple ? Se placer ainsi au centre de tout et ouvrir tous les possibles est le propre d’une illusion narcissique sans borne ou pour le dire autrement, c’est acquiescer et se rendre disponible à la promesse du serpent : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Gn 3, 4-5). Ces fallacieuses promesses de l’instantanéité à être libre et heureux, d’avoir pouvoir sur sa vie, font plonger dans un mystère de désincarnation.

Moyens

Il s’agit de se concentrer sur soi, d’expérimenter, de s’initier afin, pourquoi pas, de devenir coach soi-même, et d’avoir cette apparente finalité altruiste d’aider les autres à son tour. « Tout ce qui tend à la jouissance facile, en l’éloignant de la rigueur nécessaire et inscrite dans la temporalité, l’emporte nécessairement. [10] »

Voici quelques titres qui en disent long sur la légèreté des programmations proposées :

« La vie en 12 leçons », « La confiance en soi en 3 semaines », « perdre du poids en 10 jours », « méditer 5 secondes par jours », « La culture générale en 5 minutes » Etc.

Les méthodes employées par les coachs sont structurées en niveaux ou degrés d’initiation.

Il s’agit moins d’acquérir une connaissance de soi véritable, que d’obtenir un comportement conforme aux conseils prodigués, par une programmation ou plutôt de reprogrammation engendrant de véritables réflexes conditionnés, à la manière des chiens de Pavlov, réagissant de manière automatique à des stimuli.

Ainsi toute action ou réaction jusqu’aux sentiments les plus intimes, aux états d’âme peut être séquencée, analysée, calibrée, mesurée pour mieux les contrôler. Il s’agit de privilégier l’apparence plutôt que l’essence, ce que nous voudrions être en oubliant ce que nous sommes. À force de vouloir chasser le naturel ou de le contraindre, nous obscurcissons la réalité de notre personne. Ces contraintes et programmations rendent notre relation à nous-mêmes et aux autres impersonnelles, désincarnées.

Les concepts qui sous-tendent ces moyens sont toujours flous. Verbiage de mots consensuels jamais définis, de logorrhées hypnogènes dits avec une suave onctuosité. Voici un exemple parmi tant d’autres : « C’est seulement lorsque nos corps mental, émotionnel et physique seront à l’écoute de notre Dieu intérieur que notre âme sera totalement heureuse. [11] »

Les conseils donnés par les coachs sont normatifs et contraignants. Après avoir dit ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, et les avoirs mis sous leur influence, ces conseillers incitent paradoxalement leurs clients à n’avoir confiance qu’en eux-mêmes.

Nous sommes bien loin de la connaissance de soi chère aux philosophes et à la tradition spirituelle chrétienne. Le développement personnel n’a rien d’un développement, car il est régressif, il entraîne à s’isoler dans une bulle, sorte de matrice confortable et indifférenciée. Il n’a rien de personnel, car il est constitué de conseils, d’injonctions, d’exercices impersonnels qui permettraient d’obtenir automatiquement le résultat voulu. Si cela ne marche pas, vous n’avez en prendre qu’à vous-mêmes et non pas à la méthode et encore moins au coach.

Julia de Funès remarque pertinemment :

« La connaissance de soi suppose une rigueur langagière et conceptuelle, un élargissement par rapport à soi-même et un travail maïeutique. La rigueur des concepts faisant défaut, la concentration narcissique étant de mise, et les recettes toutes faites, délivrées par un tiers, le développement personnel abouti à une méconnaissance absolue de soi-même. La rencontre avec soi-même initialement promise est ratée. L’effet obtenu est inversement proportionnel à la promesse de départ. [12] »

Méditation, coaching et développement personnel

La méditation a le vent en poupe, elle se vend bien. C’est un paradoxe, comment est-il possible de vendre de la méditation ? Serait-elle devenue purement technique ? Effectivement, elle se vend comme une forme de coaching ou de méthode de développement personnel.

Ainsi, Andy Puddicombe, après un parcours pour le moins atypique, accidenté gravement, globe-trotter en Asie, moine bouddhiste, acrobate de cirque, a enfin trouvé sa voie avec la création du site internet Headspace et de ses dérivés, avec le cadre publicitaire Rich Pierson. Grâce à une interface ludique, d’une durée d’une minute à plus d’une heure, selon, il donne des conseils pour toutes les situations : de la peur de prendre l’avion à la gestion de deuil, ou du stress de la déclaration fiscale… Leur mission affichée est aussi simple que prométhéenne : « Améliorer la santé et le bonheur du monde ». Une voix qui se veut bienveillante chloroforme l’adepte. Depuis sa création en 2010, l’application mobile Headspace a été téléchargée plus de 54 millions de fois dans 190 pays.

Headspace est concurrencé sur ce marché juteux, 2000 applications ont été créées depuis trois ans aux États-Unis avec un chiffre d’affaires de 1,2 milliard de dollars[13]. Dans cette bataille rude, les moyens employés ne doivent rien aux techniques pacifiques de méditation. Entre Headspace et Calm, une autre application créée par deux créateurs de jeux vidéo et publicistes, les couteaux sont tirés.

La France n’est pas en reste, deux polytechniciens sont à l’origine de Petit Bambou. L’application au début gratuite pour les huit premières séances, devient payante quand le client est accroché. Elle est devenue une PME de 14 salariés avec 3,4 millions d’utilisateurs.

Notre docteur es colibri Pierre Rahbi, après avoir prêché le développement durable, la décroissance, la culture biologique mode agrobiodynamique[14], selon les principes ébouriffants de Rudolf Steiner, a eu la complaisance de beaucoup de plateaux télé. Aujourd’hui, il coache des chefs d’entreprise, sur ce qui serait une manière plus douce de gérer personnel et société. Grâce à cette vague très tendance actuelle, ses rémunérations ne sont pas en décroissance !

Spirituellement

L’illusoire épanouissement personnel devient l’équivalent actuel du salut, une imposture.

La personne qui s’adonne consciencieusement aux exercices proposés crée son propre enfermement. En pensant maîtriser ses émotions, son comportement, ses peurs et finalement toute sa vie, elle ligote sa spontanéité et son libre arbitre. Son lien social devient progressivement évanescent, sans parler de solidarité ou de politique au sens noble du terme, pour y substituer un nombrilisme quasi religieux. Sa relation à elle-même, aux autres et à Dieu est vampirisée par des protocoles contraignants, obnubilant tout son être.

Sournoise manipulation qui donne l’illusion d’une libération alors que tout l’être est sous emprise. Derrière une apparence lisse, paisible et de maîtrise de soi en toutes circonstances, se cachent en fait des états de conscience que l’on retrouve en sophrologie ou en méditation de pleine conscience : une insensibilité, une distance, une indifférence aux êtres et aux choses où la confrontation à la réalité heureuse ou malheureuse de l’existence est anesthésiée, et où le sens du péché a disparu. Puisque, le pratiquant de ces méthodes peut arriver à tout maîtriser, le Christ Sauveur de notre humanité blessée n’est plus recevable. Les mystères de la Croix, de la souffrance et de la mort disparaissent. L’Espérance en la Résurrection n’a plus lieu d’être. Les chrétiens qui souscrivent avec constance et application à ce type de pratique aboutissent, sans toujours le vouloir ni le savoir, à une forme d’apostasie.

Bertran Chaudet, oct. 2019.


[1]Albert Camus, « Sur une philosophie de l’expression » Poésie 44, in les Essais, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1984.

[2] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, II.

[3] Julia de Funès, Développement (im) personnel. Le succès d’une imposture. Ed de L’Observatoire août 2019. p. 29.

[4] Sigmund Freud, Malaise de la civilisation, PUF, 1986, p. 44.

[5] Julia de Funès, Développement (im) personnel. Le succès d’une imposture, op. cit., p. 35.

[6] Voir les articles sur le site sosdiscernement.org

[7] Voir les articles sur le site sosdiscernement.org

[8] Jacques Attali, Devenir soi, Fayard, 2014, p. 151.

[9] Ib. p. 153.

[10]Julia de Funès, Développement (im) personnel. Le succès d’une imposture, op. cit., p. 55.

[11] Lise Bourbeau, Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même. Pocket, 2015. p. 15.

[12]Julia de Funès, Développement (im) personnel. Le succès d’une imposture, op, cit.,  p. 108.

[13] Artcle du Point 2454 du 12 décembre 2019, Ce PDG fait méditer la planète.

[14] Voir les article sur sosdiscernement.org

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