Empathie : le danger des mystifications

Empathie : le danger des mystifications. Un article de Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie et psychanalyste, chercheur associé habilité à diriger des recherches (HDR) au Centre de Recherche Psychanalyse Médecine et Société à l’université Paris VII Denis Diderot.

Plan : les trois étapes de l’empathie — Les menaces sur l’empathie — Le pouvoir ambigu des TIC — Apprendre l’empathie.

 

L’empathie semble bien placée pour devenir le dernier concept à la mode. Mais pourquoi tant d’engouements ? Parce que nous avons tous envie d’y croire ! Et pour rendre l’empathie encore plus désirable, certains auteurs, comme Jeremy Rifkin, n’hésitent pas à la caricaturer et à la présenter comme une formidable force altruiste. Pourtant, les diverses recherches menées actuellement en neuro physiologie sont formelles : si l’empathie est bien la capacité de percevoir les états mentaux de l’autre, elle n’est pas la tendance à s’en préoccuper. Telle est la première mystification qu’entretient l’ouvrage de Jeremy Rifkin. La seconde est de nous faire croire que les technologies numériques augmenteraient les capacités empathiques de l’humanité. Pour comprendre ces deux mystifications, commençons par définir l’empathie.

1. Les trois étages de l’empathie (figure 1)

Tout d’abord, l’empathie n’est ni la sympathie, ni la compassion ni l’identification. Dans la sympathie, on partage en effet non seulement les mêmes émotions, mais aussi les valeurs, les objectifs et les idéaux de l’autre. C’est ce que signifie le mot « sympathisant ». La compassion, elle, met l’accent sur la souffrance. Elle est inséparable de l’idée d’une victime et du fait de prendre sa défense contre une force hostile, voire une agression humaine. Son principal danger est qu’elle fait peu de place à la réciprocité, et s’accompagne même parfois d’un sentiment de supériorité. Enfin, l’identification n’est que le premier degré de l’empathie, qui en comporte trois.

L’empathie peut en effet être représentée sous la forme d’une pyramide constituée de trois étages superposés, correspondant à des relations de plus en plus riches, partagées avec un nombre de plus en plus réduit de gens (Tisseron S., 2010).

Le premier de ces étages est l’empathie directe (ou unilatérale). Elle correspond à ce qu’on appelle plus couramment identification. On pourrait aussi l’appeler « identifiction », dans la mesure où personne ne peut vraiment se mettre à la place d’autrui. On peut donc la définir plutôt comme la capacité de changer de point de vue sans s’y perdre. Ses bases sont neurophysiologiques et elle est toujours assurée, sauf difficultés liées à l’existence de troubles envahissants du développement (autisme). Elle a deux composantes car elle consiste à la fois à comprendre le point de vue de l’autre (c’est l’empathie cognitive) et ce qu’il ressent (c’est l’empathie émotionnelle). L’empathie apparaît chez le bébé dès la deuxième année, aussitôt qu’il est capable de faire la distinction entre l’autre et lui. Certains auteurs placent cette distinction vers le premier mois (Stern D., 1989). Les animaux aussi en sont capables (De Waal F.), mais l’être humain se caractérise par une exceptionnelle capacité de faire servir ses capacités d’empathie à ses intérêts personnels. La compréhension émotionnelle et cognitive qu’il a de l’autre est alors utilisée pour le manipuler, voire l’éliminer.

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