Yoga et foi chrétienne

La pénétration de stages inspirés du Yoga dans les Centres Spirituels chrétiens est une réalité qui pose question.

Voici par exemple le compte rendu d’un stage « Yoga, souffle, sons, couleurs », en Savoie (2011).

« Telles les douze notes chromatiques, c’est une équipe fantastique qui s’est constituée à Notre-Dame de Myans, la deuxième semaine de juillet, pour pratiquer le matin le yoga-nidra, au rythme de chacun en particulier, et découvrir, à travers les postures, les possibilités de chaque créature ! Clôturant la matinée, un temps de méditation guidée conduit vers les profondeurs de l’individualité ! Ouvrant l’après-midi, une carte de couleur choisie, révèle les différentes facettes de la personnalité ! Prolongeant, une séance sonore agrémentée de jeux, de joie et de rires, où chacun fait ce qu’il peut, pour admirablement s’en sortir ! Le tout dans l’harmonie construite jour après jour, dévoilant l’Infini de l’Éternel Présent Amour… »

> Mais nous pourrions regarder tout aussi bien dans notre Sarthe, et écouter les CD « Chemins d’oraison » proposés par une Association dans la Sarthe. On constaterait aisément une importance centrale, omniprésente, donnée à la conscience du corps, à la posture, à la respiration, à la détente, à la relaxation corporelle ; cette insistance prégnante est quasiment obsessionnelle jusqu’à saturation… Une affirmation comme celle-ci : « la présence à Dieu commence par la présence au corps » résume bien cette fixation univoque sur le ressenti de chacun des organes allant jusqu’à l’induction de sensations corporelles… « Choisir de s’appuyer sur la sensation du corps et de la respiration est un choix toujours à recommencer si l’on veut parvenir à prier de tout son être », est une autre phrase emblématique de tout le contenu. On serait tenté de discerner une vie spirituelle à l’envers : le corps chemin vers l’âme, la maîtrise du corps vecteur de la progression spirituelle…

Certaines allusions à des pratiques yogiques sont sans doute l’expression de tout un vécu de yoga sous-jacent, chez les enseignants, et qui est comme la « quille » immergée du bateau qui navigue au fil de la méditation… Le nom de Jésus est chanté à diverses reprises, soit en hébreu de façon assez harmonieuse, soit en français d’une voix grave et monocorde, évoquant dans ce deuxième cas la vibration d’un mantra. Le Seigneur Jésus est-il au centre de la démarche ? Celle-ci ressemble à une tentative de présenter un yoga « déshindouïsé » et habillé de concepts de relaxation ainsi que de vêtements chrétiens… Subtile dérive qui risque de conduire à une régression…

Le cheminement méditatif est parsemé de conseils de bon sens (assez volontaristes à l’impératif), et de spiritualité classique (l’abandon, la confiance, la simplicité). Mais une place excessive est donnée à la perception de la sensation pure, manière Vittoz, au détriment complet de la tradition carmélitaine, experte en matière d’oraison, dont on se demande vraiment où la trouver ici. Le mot « oraison » semble donc dévoyé dans ce contexte. Il nous faut donc aller plus loin dans la compréhension de spécificités propres au Yoga, et à la méditation chrétienne.

Le yoga

Compilé par F Despert, Tours, mai 2011.

1. L’origine du Yoga

Le yoga classique indien provient d’un texte attribué à Patanjali dont on connaît peu de chose. Il aurait vécu au Pendjab au IVe siècle avant notre ère. Ce texte est une collection de maximes écrites en sanscrit du nom de yoga-Sûtras (« aphorismes sur le yoga »). Ces courtes phrases sont difficilement compréhensibles ; elles sont mémorisées par l’étudiant, puis commentées par des spécialistes dans les ashrams. Patanjali enseignait le Râja-yoga (yoga royal). le terme yoga (litt. « joug », « attelage ») évoque la recherche de l’union entre le soi (atman) et l’Absolu (brahman).

2. Les principes du Yoga

Le yoga part de l’idée que tout est souffrance dont il faut être délivré. Cette douleur provient de la séparation d’avec l’essence (l’Absolu, le brahman) : l’ « âme » individuelle (atman) qui n’est pas différente de cet Absolu mais qui porte le poids des actes accomplis dans les existences antérieures (loi du karma) est amenée à s’incarner dans un corps vivant et souffre de cette condition déchue aspirant à retourner se fondre dans le principe universel dont elle est issue.

3. Une libération qui permet au moi de se fondre dans l’Absolu impersonnel

Cette libération est favorisée par la pratique du Hatha-yoga (technique tirée du Yoga royal). Cette pratique associe exercices physiques (Âsana) et exercices respiratoires (Prânâyâma). C’est essentiellement cette technique qui est pratiquée en occident. Selon le Dictionnaire de la sagesse orientale, le yoga « cherche à montrer la voie pratique qui mène au salut et à la délivrance par l’activité disciplinée ».

Jean Varenne (grand spécialiste de l’hindouisme et du sanskrit) commente ainsi les phases d’un cours de yoga :

« Ces différentes étapes ne se comprennent que par référence à la doctrine du corps « subtil » qui, chez chacun d’entre nous, double le corps « grossier » seul accessible aux sens. Ainsi, la tenue du souffle, ou Prânâyâma, sert-elle à permettre au prana (souffle inspiré) d’atteindre un Centre (chakra, roue) situé à la base du corps subtil. Là gît une Puissance qui, chez l’homme ordinaire, n’est que virtuelle (on la compare à un serpent femelle endormi). Réalisée par le yoga (éveillée par le souffle), cette Puissance (on l’appellera Kundalini, l’Enroulée) s’activera et, guidée par la pensée durant les exercices de méditation, montera progressivement de chakra en chakra, jusqu’au sommet du corps subtil où elle s’unira à l’âme (atman est un mot masculin) : les noces de l’atman et de la Kundalini, comparées à celles de Shiva (Siva) et de sa parèdre Pârvat, provoquent une véritable transmutation alchimique de l’individu, que l’on, qualifie dès lors de jivan-mutka (délivré-vivant). On ne pourra jamais séparer la pratique du yoga de la théologie »

à laquelle elle est liée. En quelque sorte, le hatha-yoga offre à l’hindouisme ce que les sacrements offrent au catholicisme. Ils sont les rites initiatiques et opérants de privilèges spirituels.

Ysé Tardan-Masquelier (spécialiste de l’Hindouisme à Paris IV) évoque la « sacralisation du souffle comme le symbole de l’élan vital, de la conscience lumineuse et, éventuellement, d’un don divin : à l’enseignant de savoir susciter cette dimension en conservant à chaque élève son espace de liberté ». Elle écrit par ailleurs : « Le yoga n’a jamais été conçu seulement comme une discipline de mieux-être dans la vie actuelle, mais comme un mode de transformation si radical que ses effets se répercutent sur l’après vie ».

4. Une vision philosophique fondamentalement différente de celle du Christianisme

La philosophie et la pratique du yoga sont basées sur la croyance que l’homme et Dieu ne font qu’un. Elle enseigne à se concentrer sur soi-même plutôt que sur Dieu Seul et Unique. Le Yoga encourage ses participants à rechercher les réponses aux problèmes de la vie au sein de leur propre esprit et conscience au lieu de trouver les solutions dans la Parole de Dieu par l’intermédiaire de l’Esprit Saint comme c’est le cas dans le Christianisme.

5. La pratique du Yoga est incompatible avec la foi chrétienne

Beaucoup de ceux qui pratiquent le Yoga disent : « Il n’y a aucun mal à pratiquer ces exercices, il suffit de ne pas croire dans la philosophie qu’il y a derrière ». Toutefois les promoteurs du Yoga, du Reiki, etc. affirment très clairement que la philosophie et la pratique sont inséparables. Entrer dans une pratique régulière du Yoga amène à plus ou moins consciemment entrer dans une vision de l’homme où les énergies du cosmos vont pouvoir agir en lui et lui redonner un équilibre auquel il aspire. Le Yoga prétend fournir à l’homme une technique lui permettant de retrouver sa véritable nature par l’union au Brahman, sa souffrance sa souffrance provenant de sa séparation d’avec celui-ci.

Par contre le christianisme voit comme cause de sa souffrance la rupture de l’intimité de l’homme avec Dieu en raison du péché. Ainsi l’homme est séparé de Dieu et il a besoin de réconciliation. La réponse chrétienne est Jésus-Christ « L’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde ». Grâce à la mort de Jésus sur la Croix, Dieu a réconcilié le monde avec lui-même et il appelle l’homme à recevoir gratuitement tous les bénéfices de son salut par la foi en Jésus-Christ seul. C’est pourquoi un Chrétien ne peut, en aucun cas, accepter la philosophie et la pratique du Yoga parce que le Christianisme et le Yoga ont des points de vue qui s’excluent mutuellement. Contrairement au Yoga, le Christianisme voit la rédemption comme un cadeau gratuit qui peut seulement être reçu et ne jamais être gagné ou atteint par ses propres efforts ou œuvres. Jésus est le Chemin, La Vérité et la Vie et seule la Vérité peut nous rendre libres.

Méditer ou prier ?

« Les différentes méthodes de méditation orientale visent à se centrer sur soi-même, à rechercher son « moi ». La méditation chrétienne est une rencontre avec un autre. Le chrétien croit que le secret de l’humanité a un nom, et que celui-ci a été révélé par le Christ.

La méditation chrétienne, et c’est là une seconde différence fondamentale, ne cherche pas l’élévation personnelle. En effet, elle se concentre sur l’environnement, sur le prochain, sur le quotidien. A l’opposé, la méditation centrée sur soi-même peut se révéler dangereuse, parce qu’elle nous abandonne, livrés à nous-mêmes.

Au centre de la méditation chrétienne, on trouve le Christ. Ce choix n’est pas arbitraire. Dépasser ses limites est l’espérance d’un grand nombre de personnes qui souffrent des limites de leur « petite » existence. Pourtant, il est impossible de franchir les obstacles qui nous séparent de Dieu. Ces derniers ne peuvent être surmontés que par Dieu lui-même. C’est la raison pour laquelle la méditation chrétienne recherche la présence de Dieu dans notre monde en Jésus-Christ.

Par conséquent, la méditation chrétienne cherche à concrétiser l’inspiration en actions. Se retirer dans le recueillement et s’engager dans la société sont comme les deux phases de la respiration, l’inspiration et l’expiration. Tout ce qui est réellement nouveau naît dans le recueillement et se concrétise par l’amour. C’est là la dynamique du recueillement.

La méditation chrétienne contient encore une autre dimension. L’exercice de la vue, de l’écoute et de l’action par la prière méditative, le dialogue avec Dieu et l’écoute de sa Parole, conduisent à la présence du Christ. La grâce qui nous touche nous permet d’être prêts intérieurement à recevoir le cadeau de son Esprit : Christ en nous, nous en Christ. »

(Jörg Gutzwiller, pasteur (Suisse). Tiré d’un article paru pour la première fois dans le journal « Der Bund » sous le titre « Le recueillement dynamique »).

Les deux dispositions mentales ont en commun une volonté de rompre avec l’environnement, de suspendre l’action. Elles voudraient cesser de faire pour être. Elles voudraient aussi entendre ce qui ne parle pas, voir ce qui ne se montre pas. Car sans s’être concertées, elles le savent : non loin de soi, sous le chahut de la pensée, il y a ce murmure indicible, cette ombre projetée de ce qui échappe, la fascinante énigme…

La parenté n’est pourtant que de surface : quand la méditation cherche dans l’« ici et maintenant » la plénitude de l’instant, la prière regarde d’avant en arrière. Elle fait place au passé — regret ou remords — mais aussi, et peut-être surtout, au futur qui, pour elle, est Espérance. Quand la méditation tend vers l’immobile et le vide, la prière cherche ailleurs, plus loin, au-delà. Elle est un saut hors de soi-même, un élan prodigieux vers l’invisible et l’inouï. L’une s’affranchit des mots, l’autre s’incarne dans le verbe. La première se vit à travers les sensations éprouvées, la seconde prend forme dans la parole adressée. Car elle n’en doute pas : un Autre existe, plus près ou plus loin, plus bas ou plus haut. Un Autre existe, à portée de soi.

« Je me recentre, dirait le méditant. Je ne raisonne plus. Je ne veux plus. J’ouvre très grand les yeux. Du balcon de moi-même, j’observe, je me regarde être. Je me rends présent à ce que j’éprouve. Je me rejoins, je me perds, je me retrouve. À mesure que j’immerge, j’élargis mon espace… Je tends vers la conscience. Là où je vais, je suis. » « Je me recueille, dirait l’orante. Je me détourne de moi-même. Je baisse les paupières. Je consens au mystère. La brèche s’ouvre et je la reconnais. Ce qui s’en échappe, ce qui me tourmente ou me trouble, j’ai besoin de le confier. Je vais vers Toi dont j’ignore tout. Je cherche ton visage, je guette ton regard ou quelques messages qui pourraient s’en échapper. Je tends vers la connaissance. Là où je cherche, tu es. »

Cousines par l’esprit, ces deux approches vagabondent à travers les souffles. Elles rôdent aux confins de la Transcendance, mais, quand l’une, pensant pouvoir se passer de Dieu, s’arrête au seuil et s’en tient à une apesanteur profane, l’autre, plus téméraire, consent à se laisser soulever, enrôler, mener plus loin, vers la divine présence.

Extrait d’un article de CATHERINE TERNYNCK, Psychanalyste, département d’éthique de l’Université catholique de Lille, dans le journal La Croix du 30 décembre 2013.

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