J’ai été tenté d’intituler cette réflexion : le délire transhumaniste. Car on ne sait s’il faut en rire ou en
pleurer, ou les deux à la fois. Le sujet est d’une grande complexité : il
n’est pas possible d’en faire le tour en un seule fois.
Nous pourrions
essayer d’explorer le transhumanisme sur deux pistes successives : la piste
« informatique-robotique » qui fait l’impasse sur la réalité
corporelle, et réduit l’être humain à une machine à traiter de l’information ;
la piste de la « super-biologie »,
qui ambitionne non seulement d’augmenter nos capacités physiques,
émotionnelles, et intellectuelles, mais aussi d’endiguer, retarder, voire
éliminer la maladie, la vieillesse et même la mort.
J’ai choisi de ne traiter que la seconde piste, en utilisant (de façon résumée, sans essayer de le trahir autant que faire se peut) l’important travail de synthèse fait par le P. Joseph-Marie Verlinde dans son livre La fabrique du posthumain[1], dont je le remercie. D. A. Conférence pncds, 2017.
UN NOUVEAU PARADIGME ?
« Humanité
+ »
La vulgarisation du terme date des années 90 ; le
sens qui prévaut actuellement peut se tirer de son étymologie : « Humanisme » :
système qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des
qualités essentielles de l’être humain ; qui valorise l’humain ou les
humains ; le transhumanisme ne retient de cette définition que la
perspective d’un progrès vers une nouvelle humanité, qui ne sera pas le fruit d’une
avancée culturelle, mais sera « fabriquée » par le biais des
nouvelles technologies. « Trans » suffixe latin qui signifie « de
l’autre côté » et appelle une modification, un changement ; l’humanisme
n’est au fond cité que pour désigner ce qui doit être traversé en vue de son
dépassement.
Le terme dans son entier suggère alors que nous
serions des humains de « transition », en route vers de nouveaux
modes d’existence, plus performants que le nôtre. Cette prétention de
travailler à l’avènement d’une humanité nouvelle a conduit certains interprètes
à rapprocher le transhumanisme de la gnose, voire de l’hermétisme. Mais nous ne
trouvons pas dans le transhumanisme la quête d’un « savoir » qui
donnerait accès à une transformation spirituelle de l’homme. Le transhumanisme
n’est pas un scientisme qui attendrait le « salut » du développement
de la science : il fonde tous ses espoirs dans le développement des bio-
et autres technologies, qui permettront de dépasser les contraintes de l’évolution
biologique. Nous pourrons alors passer d’une évolution subie à une évolution librement
choisie et décider de l’avenir de l’humanité.
Né aux États-Unis dans le contexte de la
contre-culture des sixties, le mouvement s’est progressivement organisé en
réseau, regroupant les associations transhumanistes dispersées dans le monde
entier sous l’égide de la World Transhumanist Association (WTA, 1998)
rebaptisée « Humanité + » en 2008.
L’idée directrice est la suivante : puisque les
progrès de la médecine nous permettent de rester toujours plus longtemps
performants, physiquement et mentalement, ce processus d’assistance technique
doit se développer, il doit devenir une priorité absolue tant chez les citoyens
que dans le corps politique. Le transhumanisme considère en effet que certains
aspects de la condition humaine — tels que le handicap, la souffrance, la
maladie, la sénescence ou la mort subie — constituent des anomalies
indésirables qu’il est urgent d’éradiquer. Retarder le plus possible le
processus du vieillissement, repousser au maximum les limites corporelles…
relèvent de l’exigence : il faut améliorer nos facultés ; voire même
nous doter de capacités dont la nature ne nous a pas pourvus.
Le projet ambitionne donc de créer un humain plus fort
par l’élaboration d’un corps plus performant et plus résistant ; plus
intelligent grâce aux puces électroniques et autres implants cérébraux ;
plus heureux par l’utilisation de la neuropharmacologie ; et si possible :
immortel ou amortel par le biais de la médecine régénératrice.
L’humanité ne devrait avoir aucun scrupule à utiliser
toutes les possibilités de transformation offertes par les sciences pour se
transcender. Ce qui implique que l’homme accepte de devenir un objet d’expérimentation
pour la technologie ; un être en perpétuelle transformation, perfectible
et modifiable jour après jour, en fonction de l’évolution du projet qu’il
élabore, et réalise sur lui-même. Le transhumanisme nous invite donc à prendre
en main l’évolution de notre espèce : inutile de subir l’usure des longues
périodes requises par l’évolution naturelle ; la technologie nous permet « d’accélérer
le temps » et même d’orienter l’évolution selon nos propres choix.
Un lobby transhumaniste particulièrement puissant est
déjà à l’œuvre pour diffuser cette vision d’une humanité en perpétuel
perfectionnement par l’intégration des nouvelles technologies. L’entrisme des
transhumanistes est particulièrement impressionnant : la NASA et Arpanet
(l’ancêtre militaire d’Internet) ont été aux avant-gardes du combat
transhumaniste ; de nos jours, Google est devenu le principal architecte de
ce nouveau paradigme.
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