Sortie de secte

Introduction

Conférence donnée au colloque de la FECRIS 10 juin 2022 La vie après la secte, aide aux victimes et resocialisation, par Isabelle Chmetz et Diego Lichelli

Nous sommes tous les deux des ex adeptes, pas des victimes, pas des naïfs. Nous avons vécu l’expérience d’être adeptes d’une secte, nous l’avons ensuite pensé, travaillé, intégré et c’est depuis cet endroit que nous parlons.

Nous faisons partie de l’Association genevoise d’Ethnopsychiatrie en Suisse (AGE) au sein de laquelle nous intervenons en tant que co-thérapeutes.

Nous sommes le produit d’une expérience qui aurait pu complètement nous détruire et face à laquelle nous avons été contraints de développer une pensée, une expertise.

C’est depuis cette position d’experts que nous venons aujourd’hui vous parler de notre dispositif de consultation. Notre présentation comportera 3 parties :

  • Passer d’un monde à l’autre: de l’effraction au vécu de transformation
  • Méthodologie de la consultation pour victimes de dérives sectaires
  • Recommandations aux personnes accompagnant les sortants de sectes

Isabelle

J’ai vécu 17 ans dans une communauté évangélique fermée et sectaire, entrée à 18 ans et sortie à 35 ans. Je connais bien, pour les avoir vécues, les nombreuses difficultés rencontrées à la sortie. Après une brève période de sentiment de liberté, je me suis retrouvée perdue, ne sachant plus qui j’étais, sur quelles valeurs je pouvais m’appuyer, vivant une grande solitude, un sentiment de gâchis, de la honte, de la culpabilité et de périodes de grandes angoisses.

Sans diplôme ni profession à la sortie, j’ai effectué à Genève plusieurs formations. La plus conséquente était un bachelor en travail social. Cela faisait dix ans que j’étais sortie de la communauté, et j’ai choisi comme thème de travail de recherche de fin d’études, d’étudier en profondeur les difficultés rencontrées par des personnes étant sorties de sectes et de leur devenir. Suffisamment de temps était passé et j’ai, dans ce contexte d’étude, pu ouvrir cette page.

C’est dans ce contexte que j’ai eu l’occasion d’effectuer un stage au Centre Georges Devereux à Paris. Reconnu dans l’aide apportée aux personnes migrantes, ce Centre avait à l’époque et sur mandat ministériel, ouvert une consultation spécifique pour personnes sortantes de sectes. L’immersion dans ces consultations, les échanges avec le thérapeute principal et les co-thérapeutes, en ont fait un stage riche qui m’a donné beaucoup de matériel pour réaliser mon travail de bachelor. Mais ce stage et ce travail de recherche m’ont aussi donné des réponses déterminantes pour penser mon histoire et me remettre debout.

En 2005, s’en est suivi la mise sur pied de la consultation genevoise pour personnes victimes de dérives sectaires. Elle est le produit d’une rencontre entre la dresse Franceline James, psychiatre, psychothérapeute, praticienne en ethnopsychiatrie pour personnes migrantes à Genève, et moi-­même.

Cette consultation spécifique a été constituée dans la conjonction de ces deux expertises.

Parallèlement à cela et professionnellement, après plusieurs fonctions en lien avec ma formation sociale, j’ai dirigé durant une dizaine d’année un Centre d’accueil pour personnes victimes de violences conjugales.

Diego

Je suis entré en 1996, à l’âge de 26 ans, dans un institut de formation privé proposant l’apprentissage d’une méthode basée sur le travail corporel, émotionnel et psychologique.

Après avoir terminé mon cursus de formation de base de trois ans, très engagé, je me suis rapproché du sommet de la hiérarchie. Je faisais alors partie de la quinzaine de personnes recevant un enseignement direct du fondateur de la méthode. Je gagnais ma vie en enseignant la méthode préconisée par le gourou, à qui je restituais une part de royalties sur tous mes gains.

Je croyais acquérir de plus en plus de compétence et me rapprocher de ce qu’on nous promettait depuis longtemps, à savoir un développement de mes potentialités réelles qui me permettrait de trouver la liberté intérieure, et la force de pouvoir finalement changer ce monde.

J’étais en réalité de plus en plus coincé et incapable de penser, devant sans cesse rendre des comptes sur de plus en plus d’aspects de ma vie, professionnelle, privée, relationnelle.

En 2009, tout a explosé, ma femme (qui faisait partie du même mouvement) et moi, nous sommes retrouvés mis au ban, perdant tout du jour au lendemain : notre travail, nos investissements financiers, le cercle de personnes que nous fréquentions à l’intérieur, forcés de nous tourner le dos, les buts que nous croyions poursuivre au sein de cette méthode.

Je me sentais détruit, totalement envahi par l’angoisse et la honte, j’avais le sentiment de m’être laissé berner.

Dans notre processus de reconstruction, mon épouse et moi avons eu la chance d’être suivis comme patients par la consultation pour les sortants de dérives sectaires.

Nous avons retissé des liens, avec nous-même, avec les autres, et sans diplômes ni formations certifiantes nous avons repris le chemin de la formation professionnelle.

Ma femme a effectué diverses formations qui lui ont permis de retrouver une stabilité professionnelle et elle va bien maintenant.

J’ai effectué une formation d’art thérapeute, puis un bachelor en travail social. Je suis actuellement responsable d’une structure accueillant des personnes en souffrance psychiques et interviens en tant que co thérapeute au sein de la consultation pour victimes de dérives sectaires depuis 2018.

I. PASSER D’UNE MONDE À L’AUTRE: DE L’EFFRACTION AU VÉCU DE TRANSFORMATION

Nous avons choisi pour cette présentation de parler uniquement de ce que représente le passage dans un monde sectaire en tant qu’adulte.

Nous ne développerons pas le sujet sur la question des personnes étant nées dans une secte. Pour ces personnes, la situation est similaire à celui dont nous allons vous parler, mais s’y ajoutent de nombreux aspects notamment liés à la difficulté d’avoir développé une identité dans un système basé sur le mensonge et la manipulation. De plus, l’adhésion au mouvement n’était leur« choix».

L’effraction

Il peut arriver à quiconque de traverser parfois des périodes de difficulté et de vulnérabilité. Dans ces périodes, les personnes sont plus sensibles aux propositions qui pourraient venir de l’extérieur, de rechercher des réponses et du sens à ce qui arrive. Dans ce contexte, le futur adepte ne peut pas identifier l’intention de capture derrière les promesses qui lui sont faites

Quelque chose du dehors entre dans sa tête et va agir grâce à des mécanismes pervers. Une fois à l’intérieur, cette pensée va continuer à être agissante à l’insu du sujet (qui devient un objet), y compris si la personne quitte le mouvement, ceci en raison des mécanismes employés.

L’emprise

L’effraction se poursuit en remplaçant systématiquement les pensées du sujet par celles de la secte. Les mécanismes en cause sont pervers et continus. Le sujet perd son libre arbitre et ses capacités de penser.

De nombreux messages paradoxaux paralysent la pensée propre de la personne favorisant la progression de l’emprise. Exemples : « Si tu continues à tout questionner tout le temps, tu n’apprendras jamais rien ». «Tu es le meilleur, tu es mon bras droit — mais je t’humilie devant tout le groupe ».

C’est aussi une aventure humaine, le sentiment d’être choisis et élus, une identification au groupe, un sentiment d’appartenance. Mais les promesses d’un monde meilleur ne sont jamais tenues. Une déstabilisation des repères temporels opère sans cesse. Exemple : « Je devais aller à Paris pour deux jours, mais finalement, je dois partir une semaine à Barcelone pour représenter le mouvement et en même temps je dois être une bonne mère et ne pas abandonner mes enfants … ».

Sous emprise, le maintien du stress est constant.

  • On demande une disponibilité maximale à l’adepte pour des attentes qui changent tout le temps.
  • La personne est systématiquement coupée de sa famille, de ses amis, de ses liens d’avant.
  • Elle se trouve dans état d’épuisement, un manque de sommeil et de temps libre qui participent à l’empêcher de réfléchir,

En résumé, se retrouver sous emprise :

  • C’est avoir perdu ses propres capacités de penser et tous ses repères
  • C’est être agi de l’intérieur par les pensées véhiculées par la secte
  • C’est être coupé de ses appartenances

La sortie : quitter la secte ne suffit pas, il faut la faire sortir de soi

Étonnamment, sortir d’une secte n’est pas une libération, mais plutôt le commencement de grandes difficultés. Une personne sortante fait face à deux chantiers intimement liés : un à l’intérieur et l’autre à l’extérieur de soi.

A l’intérieur :

  • Elle doit d’abord faire face à des angoisses totalement envahissantes
  • Elle doit reconstruire son identité, mais à partir de quoi ?
  • Après avoir passé tant d’années à suivre les idées d’un autre, elle ne sait plus ce qu’elle pense, ni qui elle est réellement
  • Elle fait face à un sentiment d’effondrement, à des états dépressifs, à une grande confusion à propos de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.
  • En sortant, la personne a souvent le sentiment d’avoir « perdu sa vie», de « s’être perdue» durant le temps qu’elle a passé dans la secte.
  • Tout est à réexaminer, à trier, à reprendre
  • Que représente un « trou » de 15 ou 17 ans? Juste un vide et un échec? Ou alors: quoi d’autre?

A l’extérieur

  • Durant le temps passé dans le mouvement sectaire, l’ex-adepte a le plus souvent coupé tous ses contacts sociaux antérieurs.
  • Certains liens pourront se retisser, d’autres jamais
  • Socialement, il y a un tabou sur les sectes : Avoir été pris dans une secte est-synonyme de faiblesse et de stigmatisation.
  • Le monde extérieur n’a pas de représentation de ce que signifie avoir fait partie d’une secte.
  • Couramment, les ex-adeptes doivent encaisser des remarques dévastatrices telles que : « Pourtant en parlant avec vous, on sent que vous avez la tête sur les épaules, qu’est-ce qui a bien pu vous faire croire à ces sornettes ? »
  • Bien souvent les professionnels ne sont pas adéquats dans la prise en charge.
  • Il n’existe pas de soutien collectif pour tout ce qui concerne les aspects de la reconstruction.
  • Face au monde extérieur, c’est comme si l’ex-adepte avait vécu sur une autre planète.
  • Mais tenter de la décrire est contaminant : les gens, professionnel.le.s compris, s’arrêtent aussi de penser et réduisent cela à des catégories déjà connues (l’ex-adepte lui-même n’arrive pas à penser ce qui lui est arrivé).
  • Les sectes font peur, cela effraie.

– Comment expliquer aux proches :

  • Cette forme d’absence
  • Les pertes financières
  • Le manque d’économies
  • les dettes
  • un plan de retraite inexistant

– Comment expliquer et justifier au monde professionnel : o Un « trou » de plusieurs années dans un CV?

– Comment expliquer au monde social :

  • Les difficultés financières, professionnelles, les pensées parfois sombres malgré une force, des compétences, des acquis, sans que cela ne soit compris comme comme un simple faux pas dans un chemin personnel?

Le passage d’un monde à l’autre : une transformation identitaire

En entrant dans une secte, un adepte est contraint à transformer son identité, quitter qui il était, ce qu’il pensait, les habitudes d’avant son adhésion. Un adepte est engagé dans un processus de transformation. Ce qu’il ignore, c’est qu’il s’agit d’un processus délibérément non abouti, et de ce fait d’une monumentale tromperie. Ainsi, la personne ne devient jamais celle qu’on lui a promis qu’elle deviendrait, la tromperie est que ce processus est sans issue.

En sortant d’une secte, un ex adepte est donc coincé entre une identité factice non aboutie (celle de la secte), et un vécu insensé auquel il s’agit de donner du sens.

Il ne s’agit pas juste d’une histoire de vie avec des hauts et des bas. L’ex-adepte reste suspendu dans le vide, à la merci de tous ceux qui cherchent à capturer les êtres flottants qu’ils sont devenus.

Pour s’en sortir, se retrouver, l’ex-adepte doit pouvoir poursuivre son processus de transformation.

Il n’y a pas un avant et un après. Il s’agit de la constitution d’une nouvelle identité dont la métamorphose est la représentation.

Il s’agit du passage à une identité de transformation qui comprend en elle-même la contrainte d’une transformation permanente. La personne ne peut plus ne pas changer. En d’autres termes, la personne est contrainte de développer un nouveau moi qui est en transformation constante, permanente, elle n’a pas le choix, elle ne peut pas tourner la page définitivement.

Elle ne se reconstruit pas, elle continue de se construire, de se transformer. Elle est devenue un moteur de transformation.

Le rôle important du collectif

Dans un tel processus, la société devrait jouer son rôle, et offrir un nouveau contenant identitaire qui permette à l’ex-adepte de « penser» l’expérience de l’intérieur. C’est ce qui se produit lors du développement psychique individuel chez l’enfant, à qui la famille, la société, la culture, offrent toutes sortes de significations sur son identité.

De même, une personne métamorphosée par un vécu gravement traumatique devrait pouvoir trouver dans le monde social, dans la culture, les significations de sa transformation. C’est ce qui permettrait au vécu de métamorphose d’aboutir à son terme.

Malheureusement, dans la réalité, la société ne fait que renvoyer aux ex-adeptes l’image de ce qu’ils ont vécu comme étant simplement une tromperie et du temps perdu, faute d’autres représentations. En agissant ainsi, le monde socio-culturel répète le mécanisme de la promesse non tenue. Il ne donne pas le contenant nécessaire pour que la personne puisse aller au bout de son chemin de transformation.

Il s’agit d’un déficit de pensée collective là où elle serait indispensable.

II. MÉTHODOLOGIE DE LA CONSULTATION POUR VICTIMES DE DERIVES SECTAIRES

Le dispositif

Il s’agit d’un dispositif original dans son fonctionnement : ce n’est pas la méthodologie qui est complexe mais la problématique. C’est un dispositif qui est destiné à respecter la complexité et la multiplicité des points de vue, des appartenances, etc. Il comprend :

  • Un professionnel ou un proche qui accompagne le patient et le revoit entre nos séances (elles-mêmes distantes de plusieurs semaines).
  • Des co-thérapeutes de différents horizons (théologie, psychothérapie, psychiatrie, travail social), dont l’un fonctionne comme thérapeute principal pour animer la séance.
  • Un référent culturel (ex-adepte)

La disposition des participants est en cercle, assurant l’égalité des places. La distribution est codifiée de la parole afin de:

  • Éviter l’éventuelle répétition d’une effraction psychique,
  • Assurer la souplesse des échanges,
  • Ne pas passer à côtés de moments significatifs, émotionnellement chargés ou autres.

Il ne s’agit pas juste d’un groupe de personnes qui discutent .

Le groupe fonctionne comme un contenant pour le patient et pour tous les participants. Il rend possible la co-existence de plusieurs pensées contradictoires, sans risque pour le lien. Les co-thérapeutes ne « savent» pas à la place du patient

Les co-thérapeutes questionnent le vécu, l’expérience : Comment s’est construite la pensée que le patient est en train de décrire? Quelles sont les pensées parasites ? Quelles sont les pensées propres et les appartenances précédentes de la personne?

Le groupe s’appuie sur une théorie constructiviste du fonctionnement psychique : Il est lui-même un collectif actif qui permet une pluralité de points de vue afin de co­construire une pensée. Il sert ainsi d’enveloppe psychique temporaire au patient. La pluralité de points de vue dans le groupe est bienvenue et permet à la personne de sortir d’une pensée unique comme celle de la secte

Travail phénoménologique : les résonances, les ressentis et les pensées de chaque personne dans le groupe sont une contribution à l’élaboration collective d’une pensée avec le patient. Chaque participant fonctionne en étayage sur les autres membres du groupe pour élaborer des pensées. Le modèle sous-jacent à ce fonctionnement est celui du fonctionnement maternel primaire, qui assure au bébé la transformation en pensées de son vécu chaotique menaçant.

Rôle du référent culturel. Le référent culturel est un passeur de collectif. Son rôle est d’expliquer aux membres du groupe le monde sectaire d’où vient le patient. C’est être un témoin vivant pour le patient, montrant qu’il est possible de reconstruire une vie après avoir vécu dans un mouvement sectaire. Pour l’ex-adepte, la présence du référent culturel lui garantit la possibilité de parler de n’importe quelle partie de son vécu sans passer pour quelqu’un de fou. Dans notre dispositif thérapeutique, c’est cette parole là que le référent culturel apporte, complémentaire aux apports des autres intervenants qui ne connaissent pas ce vécu. Le référent culturel retient aussi les co-thérapeutes quand ceux-ci partent sur leurs « grands chevaux» théoriques, afin de les ramener à des aspects plus pragmatiques

Clés de compréhension

Les sectes pratiquent des rituels très puissants pour affilier les personnes dont l’âme a été « capturée », semblables à certains rites initiatiques, avec des expériences collectives, et des vécus intenses. Si une initiation a pour but de faire passer une personne d’un état à un autre, par exemple de l’état d’enfant à celui d’adulte, c’est pour qu’elle ait ensuite sa place dans la société.

Mais l’initiation sectaire non aboutie a pour but dévoyé de garder la personne captive afin d’en tirer un bénéfice.

En pensant le traumatisme de l’expérience sectaire de l’intérieur avec l’ex-adepte, les co-­thérapeutes resituent l’expérience sectaire comme une tentative de réponse à une recherche de sens et d’affiliation. Penser le traumatisme avec l’ex-adepte vise à retrouver des origines, à identifier des liens rompus, des interdits, à revenir aux sources et au moteur qui le portait et le porteront vers l’avant.

Le groupe cherche avec la personne sortante à retrouver la force, la quête de sens etc. qui l’ont amenée à adhérer à la proposition sectaire afin de l’aider à remobiliser cette partie d’elle­-même pour son futur. C’est aussi un lieu où les « bizarreries spirituelles» vécues dans de tels milieux peuvent s’exprimer sans être jugées. Elles sont plutôt décortiquées ensemble.

Aspects techniques et buts

La consultation a pour but d’identifier les mécanismes pervers, qui cherchent à maintenir la personne en état de dépendance, c’est-à-dire qui ne lui permettent pas de récupérer son identité. Il s’agit d’identifier les pensées restées agissantes à l’intérieur de la personne

Le groupe cherche à traquer et désactiver les traumatismes intentionnels pratiqués pour déshumaniser la personne et la désafillier.

Il s’agit de retrouver les appartenances dont la secte avait voulu couper l’adepte. Il faut reconnaître la force et la destinée nécessairement particulières de l’ex-adepte (cette personne ne sera jamais« comme tout le monde»). Il s’agit de la ré-affilier, en cherchant ses attachements anciens, familiaux, culturels, idéologiques

Ainsi, le groupe de co-thérapeutes s’adresse en particulier à la partie collective du psychisme qui est lien avec les appartenances de la personne afin de lui permettre de retrouver le fil où elle pourra manifester ses compétences

Posture et points de référence

Les co-thérapeutes adoptent une posture qui considère que les sortants de sectes sont d’abord :

  • Des victimes de traumatismes
  • Des personnes dont on a détruit les contenants (destruction de l’identité, des liens familiaux, etc … )
  • Il s’agit de prendre les personnes sortantes au sérieux, en luttant fermement contre les préjugés qui les voient comme « naïfs, paumés etc … »
  • Il s’agit aussi de prendre en compte les compétences acquises dans le mouvement. Tout n’est pas à jeter, il y a un tri à faire avec la personne
  • C’est un regard axé sur la notion de métamorphose, en tant que processus toujours actif de transformation devenu une nouvelle identité en soi. Il ne s’agit pas de penser en termes d’accident de la vie.
  • Le professionnel doit pouvoir parler de lui et de ses appartenances, (pas de sa vie intime) contrairement à l’attitude des professionnels qui consiste à ne rien dévoiler d’eux. Il ne s’agit pas juste d’intégrer une expérience de vie, mais d’intégrer une force de transformation désormais toujours à l’œuvre.
  • Le travail des co-thérapeutes consiste à repérer avec l’aide du patient les pensées et théories sous-jacentes du mouvement, de les décoder pour arriver in fine à en faire une« technique de vie».

Signes de progrès thérapeutiques

La personne vit:

  • Une diminution des angoisses en intensité et en fréquence
  • Une humeur moins dépressive
  • Elle récupère des forces et de l’énergie
  • Elle retrouve une vie sociale, des centres d’intérêt
  • Elle retisse des liens avec sa famille, avec des relations d’avant
  • Elle entame une réinsertion professionnelle

III. RECOMMANDATIONS AUX PROFESSIONNELS

Le traumatisme est une force transformatrice permanente. La recherche de sens passe par une réflexion approfondie sur le vécu de transformation. Les préjugés habituels vont à l’encontre de la réalité.

Ils tournent autour de l’idée que

  • Les victimes sont des faibles qui ont vécu quelque chose de difficile.
  • Alors que non ! Ils ont vécu un processus de métamorphose unique

En réalité :

  • Les mouvements sectaires sont très structurés, bien organisés, ils ne s’adressent pas à des « paumés», ceux-ci n’étant pas productifs.
  • C’est aussi un monde monstrueux qui prône une vérité qui s’est infiltrée dans la pensée de l’adepte.
  • Cela fonctionne comme une pseudo-expérience collective forte et intense

Les ex-adeptes ne sont pas des illuminés.

Les sectes s’intéressent à ces gens-là parce que ce sont des chercheurs, des curieux, pleins de dynamisme, des personnes intéressées par le désir de changer le monde, de l’améliorer.

Penser que l’emprise sectaire s’appuie sur une construction psychologique fragile n’apporte jamais de solution, de réponses satisfaisantes, ne permet pas à la personne de récupérer sa capacité de pensée, son énergie vitale littéralement siphonnée par le mouvement.

Il est primordial de les écouter avec respect, de les prendre au sérieux, de s’intéresser aux propositions du groupe sectaires, d’identifier ensemble leurs théories, et d’où elles viennent.

Il s’agit d’identifier l’intelligence du mouvement qui reste active dans la pensée de l’ex-­adepte, même des années après la sortie.

Si ce travail n’est pas fait, la personne reste comme suspendue entre deux mondes, celui d’avant et celui des promesses impossibles mais qui restent actives.

Le regard social porté sur les sortants de sectes perpétue le traumatisme de la transformation non aboutie :

  • En tentant de réduire le passage dans une secte à un événement de vie comme un autre, on empêche la métamorphose d’aboutir, de trouver une forme qui lui donne son sens.
  • En procédant de cette manière, la société répète le traumatisme de la transformation non aboutie, de l’initiation restée en suspens.

Un soutien social positif apporté aux sortants devrait s’articuler sur deux plans :

Sur le plan juridique

Il existe un manque de reconnaissance juridique de ce phénomène qui est généralement traité comme une situation individuelle. Pourtant le phénomène de l’emprise sectaire est un problème social général, qui concerne la société dans son entier

Malgré cela, nous avons constaté que l’écoute des juristes face aux sortants est importante. Pragmatique, elle est souvent moins jugeante que l’attitude de nombreux autres professionnels.

Sur le plan collectif

La société devrait être en mesure de proposer des modèles identitaires. Elle devrait modifier sa manière de penser pour permettre aux sortants de ne pas devoir gérer seuls leur sortie. Il est indispensable de cultiver une pensée collective soutenante sur le phénomène des sectes. Il ne s’agit pas de l’aide aux pauvres, ou de la charité mais bel et bien d’aspects techniques associés à l’attaque en règle des liens sociaux effectuée par les sectes ! Un travail d’information sur le phénomène des sectes manque cruellement au niveau collectif.

En résumé : La responsabilité collective au niveau social et juridique est totalement sous-estimée. Pour un accompagnement efficace des professionnels il conviendrait qu’ils soient déjà informés, puis formés sur le phénomène. C’est une responsabilité de la société.

  • Les professionnels ont la plupart du temps intériorisé les préjugées susmentionnés sur lesquels ils fondent leurs pratiques.
  • Il est nécessaire qu’ils apprennent à déconstruire ces préjugés pour avoir d’autres pensées
  • Comme il est impossible de partager avec les patients ce type de vécu parce qu’il est un vécu « non-humain» (comme celui des traumatismes graves), cela nécessite une autre attitude professionnelle, à l’inverse de l’attitude habituelle
  • Comme avec les traumatisés par intention humaine, les gens que nous recevons ont vécu l’envers du monde, qqchose que personne d’autre qu’eux ne connaitra jamais
  • Donc la position du thérapeute doit nécessairement être différente de l’attitude habituelle
  • Ce n’est pas le thérapeute qui est devant, mais le patient. Le thérapeute doit le suivre
  • Le patient parle de ce qui se passe à l’intérieur du vécu de la métamorphose
  • La prise en charge d’une personne sortante de secte doit faire l’objet d’un suivi spécifique intégrant notamment l’approche traumatologique.

Pour conclure, c’est lorsque nous avons réussi à trouver avec l’ex-adepte cette force et cette recherche intérieure, à la mobiliser, que la personne peut continuer à se construire, à être vivante. Voilà ce que nous pouvons dire de cette expérience d’accompagnement de personnes sortante de secte depuis 16 ans.

Cette conférence a aussi été publiée dans la revue de l’Unadfi, Bulles n° 157, mars 2023.

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