L’éducation positive

Dans La Croix-L’Hebdo du 16 novembre 2019, sous le titre L’éducation positive au banc d’essai.

À propos du livre de Béatrice Kammerer, L’éducation vraiment positive, Larousse, 2019.

L’OBJET

Cet essai explore « l’éducation positive », un concept qui vise à élever les enfants avec bienveillance, sans violence. Cette posture développée dans les années 2000 regroupe des pratiques centrées sur le bien-être. Elle est marquée par les théories du care (prendre soin les uns des autres) et par la psychologie positive, née aux États-Unis en 1998. Ce principe, appliqué à l’éducation, invite à se détourner de la seule réprobation des transgressions pour aider l’enfant à exprimer sa créativité jusque dans l’espace contraint des règles.

L’AUTEURE

Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée en éducation et parentalité, découvre, lors d’un congé parental, un foisonnement d’injonctions éducatives. Elle crée, en 2012, un blog de lectures et réflexions sur l’enfance (lesvendredisintellos.com).

L’ENJEU

L’auteure questionne ce courant éducatif, ses origines, ses fondements, ses promesses et ses limites. Troublée par le flot de recommandations qui paralysent les parents plus qu’elles ne les aident, elle montre à quel point ces prescriptions nient des problématiques sociétales centrales: inégalités culturelles et sociales, manque d’implication des pères … Une analyse fine qui ne jette pas ce courant avec l’eau du bain, et se lit comme un roman.

Aziliz Claquin

Extraits

Un nouveau dogme éducatif ?

« Depuis des décennies, les comportements parentaux sont modelés par des dogmes, c’est-à-dire des principes impossibles à remettre en cause, fondés sur des croyances, et émanant souvent d’une « autorité» (scientifique, médicale, religieuse, morale). Pour le meilleur et pour le pire …

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Délivrance : bibliographie

Ce livre est le fruit d’un colloque organisé par la Communauté du Chemin Neuf en 2017. On peut visionner les videos des interventions ici.

Plusieurs des chapitres, fruits des interventions, sont remarquables.


Soeur Marie-Ancilla propose une réflexion sur les ministères de guérison et de délivrance, issus des milieux pentecôtistes et introduits dans l’Eglise par le Renouveau charismatique. Sont-ils un don du Saint-Esprit à l’Eglise ?

Ce livre est très différent du précédent, et pose aussi de vraies questions. On peut en lire des extraits ici. Sr M.-Ancilla réagit contre les mélanges psycho-spirituels qui sévissent toujours aujourd’hui…

Le transhumanisme ?

J’ai été tenté d’intituler cette réflexion : le délire transhumaniste. Car on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer, ou les deux à la fois. Le sujet est d’une grande complexité : il n’est pas possible d’en faire le tour en un seule fois.

Nous pourrions essayer d’explorer le transhumanisme sur deux pistes successives : la piste « informatique-robotique » qui fait l’impasse sur la réalité corporelle, et réduit l’être humain à une machine à traiter de l’information ; la piste de la « super-biologie », qui ambitionne non seulement d’augmenter nos capacités physiques, émotionnelles, et intellectuelles, mais aussi d’endiguer, retarder, voire éliminer la maladie, la vieillesse et même la mort.

J’ai choisi de ne traiter que la seconde piste, en utilisant (de façon résumée, sans essayer de le trahir autant que faire se peut) l’important travail de synthèse fait par le P. Joseph-Marie Verlinde dans son livre La fabrique du posthumain[1], dont je le remercie.    D. A. Conférence pncds, 2017.

UN NOUVEAU PARADIGME ?

« Humanité + »

La vulgarisation du terme date des années 90 ; le sens qui prévaut actuellement peut se tirer de son étymologie : « Humanisme » : système qui met au premier plan de ses préoccupations le développement des qualités essentielles de l’être humain ; qui valorise l’humain ou les humains ; le transhumanisme ne retient de cette définition que la perspective d’un progrès vers une nouvelle humanité, qui ne sera pas le fruit d’une avancée culturelle, mais sera « fabriquée » par le biais des nouvelles technologies. « Trans » suffixe latin qui signifie « de l’autre côté » et appelle une modification, un changement ; l’humanisme n’est au fond cité que pour désigner ce qui doit être traversé en vue de son dépassement.

Le terme dans son entier suggère alors que nous serions des humains de « transition », en route vers de nouveaux modes d’existence, plus performants que le nôtre. Cette prétention de travailler à l’avènement d’une humanité nouvelle a conduit certains interprètes à rapprocher le transhumanisme de la gnose, voire de l’hermétisme. Mais nous ne trouvons pas dans le transhumanisme la quête d’un « savoir » qui donnerait accès à une transformation spirituelle de l’homme. Le transhumanisme n’est pas un scientisme qui attendrait le « salut » du développement de la science : il fonde tous ses espoirs dans le développement des bio- et autres technologies, qui permettront de dépasser les contraintes de l’évolution biologique. Nous pourrons alors passer d’une évolution subie à une évolution librement choisie et décider de l’avenir de l’humanité.

Né aux États-Unis dans le contexte de la contre-culture des sixties, le mouvement s’est progressivement organisé en réseau, regroupant les associations transhumanistes dispersées dans le monde entier sous l’égide de la World Transhumanist Association (WTA, 1998) rebaptisée « Humanité + » en 2008.

L’idée directrice est la suivante : puisque les progrès de la médecine nous permettent de rester toujours plus longtemps performants, physiquement et mentalement, ce processus d’assistance technique doit se développer, il doit devenir une priorité absolue tant chez les citoyens que dans le corps politique. Le transhumanisme considère en effet que certains aspects de la condition humaine — tels que le handicap, la souffrance, la maladie, la sénescence ou la mort subie — constituent des anomalies indésirables qu’il est urgent d’éradiquer. Retarder le plus possible le processus du vieillissement, repousser au maximum les limites corporelles… relèvent de l’exigence : il faut améliorer nos facultés ; voire même nous doter de capacités dont la nature ne nous a pas pourvus.

Le projet ambitionne donc de créer un humain plus fort par l’élaboration d’un corps plus performant et plus résistant ; plus intelligent grâce aux puces électroniques et autres implants cérébraux ; plus heureux par l’utilisation de la neuropharmacologie ; et si possible : immortel ou amortel par le biais de la médecine régénératrice.

L’humanité ne devrait avoir aucun scrupule à utiliser toutes les possibilités de transformation offertes par les sciences pour se transcender. Ce qui implique que l’homme accepte de devenir un objet d’expérimentation pour la technologie ; un être en perpétuelle transformation, perfectible et modifiable jour après jour, en fonction de l’évolution du projet qu’il élabore, et réalise sur lui-même. Le transhumanisme nous invite donc à prendre en main l’évolution de notre espèce : inutile de subir l’usure des longues périodes requises par l’évolution naturelle ; la technologie nous permet « d’accélérer le temps » et même d’orienter l’évolution selon nos propres choix.

Un lobby transhumaniste particulièrement puissant est déjà à l’œuvre pour diffuser cette vision d’une humanité en perpétuel perfectionnement par l’intégration des nouvelles technologies. L’entrisme des transhumanistes est particulièrement impressionnant : la NASA et Arpanet (l’ancêtre militaire d’Internet) ont été aux avant-gardes du combat transhumaniste ; de nos jours, Google est devenu le principal architecte de ce nouveau paradigme.

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Peut-on croire sans être crédule ?

Je peux croire de façon équilibrée ; je peux être crédule en prétendant croire, et ce, de façon déséquilibrée. Où se trouve le point d’équilibre ?

En simplifiant la réalité en quatre dimensions, le chrétien vit sa foi en tension dans un équilibre qui oscille

verticalement, entre le ressourcement spirituel de sa foi en Église (autorité de la parole de Dieu, sacrements, spiritualité) et l’engagement de témoignage de sa foi et de service dans la société.

et horizontalement, entre la compréhension réflexive de sa foi marquée par la rationalité et la théologie et l’expression personnelle et-ou publique de sa foi marquée par des sensibilités et ressentis plus ou moins émotionnels, à travers ses relations d’appartenance à une ou des cellules et réseaux d’Église.

Ce quadrillage n’a aucune pertinence anthropologique, ni même sociologique, mais il peut nous servir de repère pour mieux comprendre ceci : selon que je suis dans l’équilibre ou le déséquilibre, je suis plus ou moins perméable aux influences manipulatrices des personnes et des groupes. Examinons plus particulièrement l’ouverture aux situations de déséquilibre.

  • À partir de mes déséquilibres naturels, je peux être victime d’une manipulation par attractivité (hyper) qui me poussera dans un plus grand déséquilibre. Celui-ci se manifestera comme la dominante d’un de ces quatre aspects : mystiques cocoonantes, hyperactivité débridée, intellectualisme desséché, émotionalisme dégoulinant.
  • Je peux aussi me rendre accessible à une manipulation par faiblesse (hypo) due à l’absence de l’une ou l’autre de ces dimensions.

Jusque-là, rien que de très normal, et ce schéma pourrait être proposé dans un cadre totalement laïque : certaines personnalités sont plus sensibles aux aspects spirituels ou actifs, également avec une dominante plus intellectuelle ou plus émotionnelle. Mais pourquoi le chrétien tombe-t-il si souvent dans le piège de la crédulité ? Il semblerait qu’il possède un handicap supplémentaire, dû à sa démarche de foi. Une foi qui est adhésion personnelle à la personne de Jésus, et qui inclut toutes ses facultés. Mais l’abandon à Dieu par la foi, qui le place dans une dimension de réceptivité, l’amène aussi à une certaine passivité. Il est donc moins entraîné à la dimension active du savoir. C’est pourquoi il est aussi plus accessible aux croyances, à leur impact et à leur pathologie, la crédulité.

Exerçant habituellement la vertu de foi, il est plus influençable par des réalités supposant une attitude de croyance, et il est moins enclin à faire appel à une réflexion de l’ordre du savoir. Dans le cas de contact avec des personnes ou des groupes manipulateurs, il pourra tomber dans la crédulité, où la dimension de passivité qui s’attache à toute forme de croyance est aggravée. Il glissera plus facilement dans une spiritualité de la dépendance, sollicité par des groupes à forte connotation émotionnelle, sentimentale, fidéiste, groupes ou réseaux débranchés d’une assise rationnelle suffisante. Car il est facile d’appartenir, mais difficile d’être autonome.

Que de pièges dans la recherche de la vérité, et dans la mise en œuvre d’une foi équilibrée ! Pour mieux les déceler, il nous faut donc examiner plus profondément le rapport entre le savoir, la croyance, la foi, et la crédulité, voire la superstition. On comprendra mieux ainsi qu’une spiritualité de l’autonomie peut contrebalancer utilement les effets délétères d’une spiritualité de la dépendance, et nous protéger des manipulations.

I — L’APPROCHE DE LA VÉRITÉ

1. PAR L’ACQUISITION DU SAVOIR SELON LE MODÈLE SCIENTIFIQUE

La cognition, qui désigne l’ensemble des processus mentaux se rapportant à la connaissance, englobe une multitude de fonctions du cerveau : le langage, la mémoire, le raisonnement, l’apprentissage, l’intelligence, la résolution de problèmes, la prise de décision, la perception ou l’attention. Les processus cognitifs permettent à̀ l’individu d’acquérir, de traiter, de stocker et d’utiliser des informations ou des connaissances. Ils se distinguent des processus mentaux qui se rapportent à la fonction affective.

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Spiritualité laïque et spiritualité chrétienne

« 63. La foi catholique de nombreux peuples se trouve aujourd’hui devant le défi de la prolifération de nouveaux mouvements religieux, quelques-uns tendant au fondamentalisme et d’autres qui semblent proposer une spiritualité sans Dieu[1]. »

Points de repères et de discernement

Définir en quelques mots ce qui relève de la spiritualité laïque est tout simplement impossible. Notre approche sera donc très partielle et aura pour point d’attention quelques éléments.

Tout d’abord, revenons à la définition et à l’étymologie. Spiritualité : ce qui concerne ici la spiritualité est relative à la vie spirituelle, à la vie de l’esprit. Cela peut aller de l’activité intellectuelle à la manière de pensée. En tous les cas, la racine latine est « spiritus. » Et il est intéressant de constater que cette même racine à donner respirer, inspirer, expirer. Comme si le souffle, la respiration, en lien avec l’air, l’élément le plus immatériel était l’interface entre le monde de la matière et le monde de l’esprit. D’ailleurs, le muscle le plus important de la respiration qui est au centre de notre corps, et qui forme le plancher de notre cage thoracique et le plafond de notre abdomen s’appelle le diaphragme ou, en langage médical, le « centre phrénique ». En grec phren veut dire, état d’âme, état d’esprit. C’est dire si les anciens avaient repéré qu’au centre de notre corps en lien avec la respiration, ce muscle était l’interface entre le soma, le corps et la psyché ou l’esprit. En français nous pouvons conjuguer le verbe expirer à la forme active j’expire, et non pas à la forme passive je suis expiré. Nous pouvons conjuguer le verbe inspirer à la forme active j’inspire, mais également à la forme passive, je suis inspiré. La question qui nous occupe ici est de savoir, qu’est-ce qui nous inspire ? Qui ou quoi nous inspire ?

Déjà, nous trouvons une différence essentielle entre l’Orient et la tradition judéo-chrétienne au sujet du souffle. En Orient, il s’agit de maîtriser l’énergie vitale qui circule dans le prana, comme le font les maîtres yogi par des exercices de pranayama ou yoga respiratoire. Le ki ou le chi des Chinois est cette énergie concentrée au centre de corps qu’il faut savoir maîtriser par des exercices ascétiques. Dans cette conception, le sommet de la vie spirituelle passera nécessairement par la maîtrise de ces énergies pour maîtriser son mental. Il s’agit de pratiques qui pourraient être considérées comme laïques, en ce sens qu’elles ne nécessitent pas de croyances particulières, mais une pratique assidue. Cependant si nous nous référons aux écrits ou paroles des maîtres nous constatons que tout un système de croyances y est attaché, une conception de l’homme et du monde, de la vie de la mort et de la vie après la mort sont indissociables des pratiques. Dans la Bible, le souffle « spiritus » en latin « pneuma » en grec et « rouah » en hébreux se reçoit de Dieu, il n’est donc pas maîtrisable. Cette simple remarque sur le souffle ou l’esprit permet d’envisager déjà des différences fondamentales quant aux différentes spiritualités. Continuer la lecture de « Spiritualité laïque et spiritualité chrétienne »