La récente
enquête de Golias et le visionnage des vidéos sur les pratiques
de guérison menées par certains frères franciscains conventuels en
France et en Belgique soulèvent des questions fondamentales. Il y a
là une tendance
troublante à mêler notions de maladie et de péché,
et à y associer, parfois de manière erronée, les fautes des
générations passées, qui ne doivent pas être confondues avec le
péché originel tel qu’il doit être compris.
D’un point de vue psychologique, l’approche psychospirituelle qui assimile (même implicitement) maladie et péché peut conduire à des graves dérives, comme l’ont montré les pratiques des agapètherapies. Ces dernières, par leur approche réductrice et dangereuse, n’ont fait qu’aggraver le mal-être des personnes en quête de guérison, associant de la culpabilité à leur maladie, les conduisant à des faux souvenirs induits, et amenant à une plus grande souffrance au lieu de la libération promise.
Voir
les articles concernant le psychospirituel sur le site
Sur
le plan théologique, cette confusion est également préoccupante.
Jésus, dans les Évangiles, a clairement marqué une rupture avec
l’idée que la maladie serait une conséquence du péché (Jean 9,
3). Les guérisons opérées par le Christ ne sont pas tant une
recette quasi magique contre toute affliction corporelle, mais plutôt
des signes de sa messianité. Il n’a pas guéri tous ceux qu’il a
rencontrés, car quelques guérisons suffisent pour témoigner de qui
Il est.
Cela transparaît clairement dans Matthieu 9, 6, où Jésus précise clairement que sa guérison n’est faite qu’« afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés ». Ce n’est pas la guérison en elle-même qui est cherchée, et ce n’est évidemment pas pour dire que la maladie existe à cause d’un péché, mais simplement pour montrer que par son incarnation la libération du péché est possible.
Voir
le livret Jésus face aux demandes de guérison
En
ce sens, l’histoire de l’Église, insistant progressivement sur
le salut des âmes plutôt que sur la guérison des corps, témoigne
de la volonté de souligner que les guérisons sont des signes (et
pas quelque chose qui s’apparenterait à de la magie). Une forme
d’illustration : est la constatation que l’onction des
malades soit devenue un sacrement, au sens étymologique un
« signe »…
C’est un rappel important pour ceux qui, dans certains rituels improvisés, invoquent les passages de guérisons de l’Évangile. Comme le souligne « Dei Verbum » (texte essentiel, et dogmatique, de Vatican II), il est essentiel de prêter une grande attention au contenu et à l’unité de toute l’Écriture, et au respect de la Tradition vivante de toute l’Église. Dans des exhortations, il n’est pas acceptable d’invoquer un passage évangélique, mal compris et isolé, comme certains le font, et ainsi détruire deux millénaires d’avancement dans la compréhension de la Révélation.
Voir
l’article de Sr Anne Lécu : les
prières pour obtenir la guérison
Enfin, tout cela amène au risque de transposer ce pouvoir thaumaturge de Dieu à soi-même. Tel qu’il est cité dans cet excellent article au sujet des prières de guérison, Dom Dysmas de Lassus, prieur général de la Grande Chartreuse, rapporte l’anecdote suivante. Un membre d’une communauté du Renouveau Charismatique raconte au sujet des expressions « L’Esprit saint me dit que » ou « te dit que » : « Un jour, l’un de mes frères m’a dit : « Dis ‘je’au lieu de ‘l’Esprit saint’», et j’ai subitement compris combien une volonté de puissance personnelle pouvait se cacher sous de telles apostrophes, quelque peu terrorisantes pour des esprits encore peu formés. ».
Cette
histoire illustre bien les risques d’une interprétation
personnelle et subjectivisée de la foi, qui peut conduire à des
abus de pouvoir et à des manipulations spirituelles.