L’ostéopathie en quête de légitimité

Dans La Croix du 26 avril 2022.

Reconnue depuis 2002, cette médecine « non conventionnelle » est plébiscitée par les Français, mais pâtit du manque d’études cliniques probantes sur son efficacité.

«Nous sommes une profession jeune, mais prometteuse », résume Christophe Couturaud. Prometteuse, le mot est faible. Le 14 mai prochain, vingt ans après la reconnaissance officielle du titre d’ostéopathe par la loi Kouchner, le président du Registre des ostéopathes de France (ROF) lancera la première édition de ses Rencontres internationales, à la Maison de la chimie à Paris. L’occasion de revenir sur l’évolution de cette thérapie manuelle, fondée aux États-Unis au XIXe siècle, mais aussi d’en célébrer le succès grandissant dans le monde et plus particulièrement en France.

Avec plus de 20 millions d’actes réalisés chaque année dans l’Hexagone, l’ostéopathie est devenue la médecine « non conventionnelle » préférée des Français. Le nombre de praticiens, lui, ne cesse d’augmenter : alors qu’ils étaient 11 608 en 2010, on en compte désormais près de 35 000 selon la Direction de la recherche et des statistiques, contre 14 000 en Italie, 5 000 au Royaume-Uni ou 4 000 en Allemagne. L’ostéopathie, une passion française ? « Il n’y a qu’ici qu’on observe un tel phénomène », assure le professeur François Rannou, chef du service de médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Cochin, à Paris. Pourtant, il est formel : rien à ce jour n’atteste de l’efficacité de cette pratique. Le médecin en veut pour preuve l’étude qu’il a menée sur l’effet des manipulations ostéopathiques chez des patients souffrant de mal de dos chronique, dont les résultats ont été publiés en mars 2021 dans la revue américaine Jama Internal Medicine. Sur les 400 patients suivis, la moitié a fait l’objet de manipulations « placebo ». Les autres ont bénéficié de véritables séances dispensées par des ostéopathes « exclusifs » – c’est-à-dire n’étant pas par ailleurs médecins ou masseurs-kinésithérapeutes –, comme c’est le cas d’environ deux tiers de la profession.

« Nous n’avons pas observé de différence nette entre les deux groupes. En clair, l’intérêt de l’ostéopathie est légèrement supérieur à celui du placebo, mais ce bénéfice n’est pas cliniquement significatif », synthétise François Rannou. Ce qui ne veut pas dire que « ça ne sert à rien », comme certains ont conclu un peu vite. « L’effet placebo n’est pas négligeable dans les douleurs de l’appareil locomoteur, c’est même l’une des pathologies où il est le plus important », souligne le médecin.

Mais alors, si cela ne fait pas de mal, voire fait un tout petit peu de bien, pourquoi s’en priver ? « Dès lors qu’on reste dans la sphère du bien-être, cela me va, dit François Rannou. Le problème, c’est que dans l’esprit de beaucoup de Français, les ostéopathes sont des professionnels de santé. Or une esthéticienne n’est pas une dermatologue », tacle le professeur, pour qui les ostéopathes, non-professionnels de santé qui portent une blouse et exercent en cabinet, entretiennent l’ambiguïté sur leur statut. « En aucun cas nous n’ambitionnons de remplacer les médecins, se défend Dominique Blanc, président de l’association Ostéopathes de France. La médecine et l’ostéopathie sont des approches complémentaires. Nous devons travailler ensemble, pour le bien du patient, au-delà des logiques corporatistes », plaide-t-il.

C’est au nom de cette complémentarité que la docteure Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF) s’est formée à la médecine manuelle ostéopathique, via un diplôme universitaire. « Quand vous allez chez le médecin, vous entrez avec une douleur et vous repartez avec une ordonnance. Avec l’ostéopathie, on peut lever des contractures ligamentaires ou articulaires, et redonner du mouvement à des gens qui étaient bloqués. Dans certains cas, cela peut même aider à faire des diagnostics. À condition, insiste-t-elle, d’avoir une connaissance des pathologies. » Car le danger serait de passer à côté de certaines maladies. Pour François Rannou, le meilleur moyen de l’éviter serait de suivre le modèle américain, où tous les ostéopathes sont formés à la médecine. Et, surtout, de bannir l’ostéopathie viscérale ou crânienne, qu’il qualifie de « dérives », au bénéfice de la seule ostéopathie structurelle, centrée sur le système musculo-squelettique.

« Ce serait un contresens total », s’étrangle Christophe Couturaud, pour qui « vider » l’ostéopathie de ces dimensions plus « empiriques » ou « spirituelles » reviendrait à la tuer. « Prendre la personne dans sa globalité, voir les interconnexions qu’il peut y avoir entre le crâne et le bassin, entre le crâne et les vertèbres, entre les viscères et le dos, et essayer de comprendre comment elles peuvent générer des tensions et des douleurs : c’est ce qui fait l’essence et le succès de l’ostéopathie », ajoute Dominique Blanc, tout en reconnaissant que les effets de ces manipulations ne sont pas suffisamment documentés par la littérature scientifique.

Comment expliquer ce faible intérêt de la recherche ? « Pour faire des études cliniques, il faut de l’argent, or cet argent provient souvent des laboratoires pharmaceutiques. L’ostéopathie ayant tendance à réduire la prescription de médicaments, on comprend aisément leur manque d’intérêt », soulève Corinne Le Sauder. D’autant qu’en la matière, la preuve du bénéfice pour les patients reste très difficile à établir, surtout quand on touche à des choses aussi subjectives que la douleur. « Toute la médecine est fondée sur l’Evidence-Based Medicine (EBM), la médecine par les preuves. Cela exige de dégager des données scientifiques générales, alors que l’ostéopathie est d’abord fondée sur l’individu. » Pour Dominique Blanc, c’est plutôt du côté des sciences humaines que la recherche devrait se placer. « Se fonder uniquement sur l’EBM, c’est oublier que certains problèmes, comme le mal de dos dont souffrent tant de Français, sont majorés par le stress ou des traumatismes gardés en mémoire par les tissus. »

Si elle se méfie de la « psychologisation » à outrance, Corinne Le Sauder attribue le succès des ostéopathes à leur capacité d’écoute, une qualité essentielle qui fait de plus en plus défaut aux médecins, faute de temps. « Je caricature un peu, mais aujourd’hui, quand vous dites à un médecin que vous avez mal au ventre, il va vous prescrire une échographie sans même vous toucher le ventre, pointe la généraliste, qui voit aussi dans l’ostéopathie une manière de rendre le patient plus actif. Il y a cette idée d’apprendre au patient à se prendre en main et à être acteur de sa pathologie. Et cela aussi, c’est quelque chose qui manque en médecine. »

Repères

Un diplôme reconnu, mais des débouchés incertains

Depuis une réforme de 2014, seules les écoles agréées par le ministère de la santé peuvent délivrer des diplômes d’ostéopathie, indispensables pour exercer en France.

Trente et une formations sont actuellement reconnues, toutes privées. Parmi elles, neuf ne bénéficient que d’un agrément provisoire, qui devra être confirmé en septembre prochain.

La formation dure cinq ans, mais le diplôme obtenu n’étant pas un diplôme d’État, il ne permet pas d’obtenir une équivalence en master à l’université.

Alors que plus de 1 500 étudiants sortent des écoles chaque année, la profession craint la saturation.

Le « cracking », une pratique qui divise

Faut-il faire « craquer » les articulations des patients lors des séances d’ostéopathie ? Si certains professionnels défendent une approche plus « douce », tous insistent sur la nécessité d’avertir les personnes concernées et de connaître leurs antécédents.

C’est une demande que les ostéopathes entendent régulièrement dans leur cabinet : « S’il vous plaît, ne me faites pas craquer. Je déteste ça ! » Pour certains, c’est même devenu un critère de choix au moment de prendre rendez-vous. Les ostéopathes l’ont bien compris, et précisent, de plus en plus souvent, « sans craquement » sur leur carte de visite. Mais en quoi cela consiste-t-il exactement ? En réalité, il ne s’agit pas de faire « craquer les os », mais les articulations. Quant au bruit, ce « crac » qui surprend souvent par son intensité sonore, il provient en fait de l’éclatement, sous l’effet de la pression, de bulles de gaz contenues dans le liquide synovial, une sorte de lubrifiant qui se loge entre les articulations.

« Le ”cracking”, c’est moins un sujet pour nous que pour les patients, car en général, ce n’est pas un moment très agréable pour eux, convient Ai-Jee Youn, fraîchement installée dans un cabinet en région parisienne avec son compagnon, Léo Guérin. Mais après coup, cela peut faire beaucoup de bien. D’ailleurs, les patients se mettent souvent à rire juste après, ils sont tout à coup très joyeux, signe que l’impact a libéré quelque chose. »

Néanmoins, ces jeunes ostéopathes ont rarement recours au craquement – également appelé cracking ou thrust. « Cette technique a l’avantage de pouvoir traiter l’articulation de façon précise, mais il y a d’autres manières de redonner de la mobilité à une articulation bloquée, indique Léo Guérin. On peut aussi avoir une approche plus globale : traiter l’articulation à distance, en travaillant par exemple sur les muscles attenants. » Dans tous les cas, une règle d’or : « Toujours demander le consentement du patient avant de le faire craquer. » Pas question de lui imposer quoi que ce soit, « il ne doit pas être mal à l’aise ». Au risque de le voir ressortir du cabinet plus contracté qu’il n’y est entré.

Solène Chavane, elle, a choisi de bannir cette manipulation de sa consultation, au profit de techniques plus douces. « Nous apprenons toutes les approches à l’école et chacun, une fois diplômé, pratique avec ce qu’il apprécie le plus. Un peu comme un cuisinier qui, pour cuire un aliment, peut utiliser un four, une poêle, une friteuse ou encore la vapeur, compare cette ostéopathe parisienne. En fait, il n’existe pas de bonne ou de mauvaise technique, l’important est qu’elle soit bien maîtrisée. »

Elle doit surtout être adaptée au patient. En effet, s’il peut se révéler utile dans certains cas, le cracking n’est pas indispensable ; il est même déconseillé pour certains. « Il y a des endroits dans le corps, les cervicales notamment, qu’il vaut mieux éviter de faire craquer, surtout si l’on ne connaît pas les pathologies du patient, avertit Corinne Le Sauder, médecin généraliste et ostéopathe à Olivet, dans le Loiret. Faire craquer un patient à l’endroit d’une articulation blessée ou d’une métastase, par exemple, peut être ravageur. »

Kinésithérapie, massages, ostéopathie, etc. : tableau des techniques illusoires

Présentation non exhaustive de techniques non reconnues par le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et signalées comme ayant été dispensées par des kinésithérapeutes.

Les techniques du présent tableau ne disposent pas de validation scientifique et ne sont pas reconnues par le Conseil national. Elles ne peuvent pas constituer des spécificités d’exercice, ni des titres d’exercice. Les kinésithérapeutes ne sont pas autorisés à s’en prévaloir, leur utilisation n’est pas autorisée par l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes dans la prise en charge des patients.

Ces techniques ont soit fait l’objet d’un rapport par une instance scientifique ou d’une autorité publique, soit d’une décision prononcée par une chambre disciplinaire qui en ont reconnu le caractère illusoire ou susceptible de l’être.

Enfin, les techniques listées dans le tableau en annexe, qui sont dépourvues d’étude, d’avis et de décision juridictionnelle doivent toutefois appeler la plus grande vigilance.

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Ostéopathie

1. Historique

Andrew Taylor Still (1828-1917) est le fondateur de l’ostéopathie. Dans son enfance, il accompagnait son père qui était pasteur méthodiste et rebouteux. Il observait les manipulations empiriques que son père pratiquait. Andrew n’avait pas fait d’études médicales, mais il avait le sens de l’observation : il s’amusait à disséquer des écureuils pour comprendre le fonctionnement de leur squelette.

En 1861, quand débuta la guerre de sécession, Still fut recruté dans l’armée de l’Union et pratiqua une médecine d’urgence, avec les moyens du bord. Ce fut à partir de ces nombreuses observations et expérimentations qu’il mit peu à peu en place une théorie et une pratique. Il pensait que tout déplacement articulaire, même minime, nommé subluxation, peut entraîner des troubles fonctionnels et même des pathologies avérées. Still créa le concept d’ostéopathie en 1855 avec ce postulat : « la structure gouverne la fonction ».

2. Trois concepts fondent l’ostéopathie

* L’être humain est un tout psycho-somato-spirituel. Toute lésion à un endroit du corps peut avoir des répercussions à n’importe quel autre endroit du corps.
* L’être humain possède en lui toutes les capacités à l’auto guérison. L’ostéopathie ne fait que stimuler ces facultés d’auto guérison.
* La fonction dépend de la structure. Si les structures ostéo-myo-articulaires empêchent une bonne vascularisation, il peut s’en suivre une limitation du mouvement ou une immobilisation entraînant l’enraidissement de l’articulation et des tissus péri-articulaires.

Still fonde en 1892 son école : the American school of osteopathie à Kiksvillen dans le Missouri. Un de ses élèves, John Martin Little John, fonde en 1917 la première école d’ostéopathie en Angleterre. Toutes les écoles d’ostéopathie en Europe, quelles que soient leurs divergences, se recommandent de ces fondateurs. Continuer la lecture de « Ostéopathie »