Joachim Bouflet souligne les aspects problématiques de l’oeuvre de Maria Valtorta

Damien Bally

Là où Joachim Bouflet ne consacrait que quatre pages à Maria Valtorta dans sa somme au titre explicite, Faussaires de Dieu (2000), c’est cette fois un chapitre entier et fourni qu’il dédie à la « mystique » italienne dans son dernier opus Impostures mystiques paru en mars 2023.

Les articles de Don Guillaume Chevallier publiés en 2021 dans la revue Charitas, les réponses « aussi peu argumentées que violentes, voire haineuses » (p. 139) qui lui ont été faites, et le « bref avertissement » de la Commission doctrinale des évêques de France paru en septembre 2021, qui relève que « la diffusion des écrits de Maria Valtorta s’intensifie depuis deux ans au moins », ont conduit Joachim Bouflet à se plonger dans les quelque 5000 pages de l’Évangile tel qu’il m’a été révélé et ses Cahiers, avec comme il le dit « une patience de chartreux » devant « la mièvrerie et le sentimentalisme du texte ». Si Joachim Bouflet s’appuie à plusieurs reprises sur les travaux de Guillaume Chevallier et rappelle les nombreuses condamnations de l’œuvre par l’Église, reproduisant in extenso l’article de l’Osservatore Romano intitulé « Une vie de Jésus mal romancée » faisant suite à la mise à l’index de 1960, il n’en apporte pas moins sa contribution personnelle aux aspects problématiques de l’œuvre de Maria Valtorta.

De nombreux anachronismes

Il relève en premier lieu les nombreux anachronismes qui émaillent l’œuvre, alors même que le président de la Fondazione Maria Valtorta ne craint pas d’affirmer dans une conférence de 2018 que « la science archéologique confirme tout ce qui est écrit dans les dix volumes de l’œuvre ». (p. 96) Hélas, certains détails ne résistent pas à l’examen critique, comme ces « coupoles resplendissantes » du Temple de Jérusalem mentionnées à plusieurs reprises par Maria Valtorta qui n‘ont jamais existé que dans son imagination féconde : tant les fouilles archéologiques menées dans les années 1970-1980, que les descriptions de l’historien juif Flavius Josèphe au 1er siècle de l’ère chrétienne démentent l’existence de ces coupoles, qui d’ailleurs ne font leur apparition qu’au milieu du 1er siècle dans le monde romain, mais pas chez les juifs qui préfèrent les toits en terrasse, puis plus tard dans l’architecture arabo-musulmane.

Autre étrangeté, l’utilisation par Joseph et Jésus d’un tournevis pour leurs travaux de menuiserie, outil totalement inconnu jusqu’à la Renaissance qui voit l’invention de la vis de fixation. Ou encore la présence dans le récit de plantes importées du Nouveau Monde au XVIè siècle : « tous ces anachronismes en termes de végétation équivalent à faire cultiver par les contemporains de Jésus des pommes de terre, des tomates ou du maïs » commente ironiquement Joachim Bouflet.

Dans une veine toute romanesque, Maria Valtorta conte aussi que Jésus, âgé de 5 ans, réfugié avec ses parents en Égypte, cherche à reproduire un petit lac à l’image de celui de Génésareth pour y faire flotter ses petits bateaux faits de feuilles mortes. Il place les villes bordant le lac : Magdala, Capharnaüm et… Tibériade. Problème : la ville de Tibériade n’a été fondée qu’en l’an 17, date à laquelle Jésus avait une vingtaine d’années.

La description des sacrements

Les descriptions faites par Jésus des sacrements de l’Église sont tout aussi anachroniques. Bien que leur nombre définitif n’ait été arrêté qu’en 1274 par le Concile de Lyon (entériné par le Concile de Trente en 1547), les sept sacrements sont institués par Jésus en personne dans l’Évangile revisité par Maria Valtorta. (p. 124) Dans un long dialogue avec l’apôtre Jacques, « Jésus », après avoir pris soin de définir ce qu’est un sacrement, dans des termes qui semblent tout droit sortis d’un catéchisme, détaille chacun avec un luxe de précisions qui n’appartiennent qu’à la tradition chrétienne ultérieure. Après avoir donné ses instructions concernant le baptême, l’absolution des péchés, l’extrême-onction des malades, Jésus codifie également le « Sacrement pour les noces de l’homme », autrement dit le mariage dont les modalités n’ont été fixées que progressivement, notamment par le IVè concile du Latran en 1215. De même le sacrement de confirmation dont « Jésus » dit qu’il sera donné « par ceux qui auront reçu la plénitude du sacerdoce ». Or baptême et confirmation étaient conférés ensemble dans l’Église primitive avant qu’en 416 le pape Innocent Ier confie aux seuls évêques la prérogative de confirmer les baptisés. Le « Jésus » de Maria Valtorta institue également une « hiérarchie ecclésiastique » comme elle le lui fait dire. C’est donc, selon le mot de Joachim Bouflet, une « Église clefs en main » que livre Jésus. Plus gênant, l’explication de chacun des sacrements dont l’apôtre Jacques est le dépositaire en tant que « chef de l’Église d’Israël » (sic) est faite par Jésus sous le sceau du secret, selon un mode de transmission caractéristique d’une gnose.

La personnalité de Jésus

La personnalité de Jésus dans l’œuvre de Maria Valtorta, décrite par Don Guillaume Chevallier comme celle d’un gourou autoritaire et égocentrique revêt un aspect plus inattendu dans l’analyse que tire Joachim Bouflet de certains passages de l’œuvre : celle d’un « Jésus » homo-sensible qui aime « à embrasser, caresser et étreindre ses disciples hommes » (p. 115) Ainsi le troublant baiser que dépose « Jésus » sur la bouche d’un certain Abel de Bethléem, personnage assimilé dans l’œuvre à Saint Ananie.

Le plus favorisé étant sans surprise « le disciple que Jésus aimait » de l’Évangile dans cette scène racontée par Maria Valtorta. Réveillé un matin par un baiser de Jésus sur la joue, Jean, qui « ne porte que ses sous-vêtements », se jette à son cou et se déclare « enflammé d’amour » pour Jésus qui « brûlant d’amour à son tour le caresse ». Un peu confus de tant de fougue amoureuse, Jean fait promettre à Jésus le silence sur cet épisode intime et s’entend répondre : « Sois tranquille, Jean, personne ne saura rien de tes noces avec l’Amour ». Un « Jésus » manipulateur, commente Joachim Bouflet, qui enferme son disciple dans le secret d’une relation équivoque dont il est l’initiateur.

Cette scène se prolonge dans d’autres effusions scabreuses au fil des chapitres de l’œuvre, toujours dans le secret et à l’écart des autres disciples : « Et Jésus reconnaît son Préféré. Il lui tend les bras et Jean s’y élance […] à peine vêtu avec sa tunique humide, déchaussé, glacé. « Tu as froid Jean ! Viens ici sous mon manteau… » […] Ils restent enlacés dans le seul manteau de Jésus. ». Ou encore au chapitre suivant : « Ainsi tu es venu. Cela nous sert, à toi et à Moi, à jouir d’un moment d’amour »

Mais, « nouveauté ignorée des Évangiles », commente Joachim Bouflet, le disciple le plus aimé n’est en réalité pas Jean mais Judas comme Maria Valtorta le fait dire à Jésus dans ses Cahiers, un Jésus qui va jusqu’à supplier son Père que ce ne soit pas Judas qui « a dormi sur ma poitrine […] mon ami, mon apôtre » qui le trahisse. L’apôtre Jacques est également poursuivi par les assiduités de Jésus : « […] « Je te baise sur ta bouche, qui devra répéter ma parole aux gens d’Israël, et sur ton cœur qui devra aimer » […] Ils restent embrassés longuement et Jacques paraît s’assoupir dans la joie des baisers de Dieu » Autant de scènes homo-érotiques qui siéent mal à la relation, même privilégiée, de Jésus avec ses disciples.

L’entrevue avec Pie XII

Joachim Bouflet apporte également des précisions utiles sur l’entrevue du 26 février 1948 avec Pie XII, en présence des frères servites de Marie, les pères Romualdo Migliorini, directeur spirituel de Maria Valtorta qui l’avait encouragée à écrire ses visions, son confrère Corrado Berti, enthousiasmé par les « dictées » de la « mystique », et leur supérieur le père Andrea Cecchin. Le pape aurait déclaré : « Publiez l’œuvre telle quelle. Il n’y a pas lieu de donner une opinion quant à son origine, qu’elle soit extraordinaire ou non. Ceux qui liront comprendront » Or, c’est le père Berti seul qui rapporte ces propos, avancés comme argument d’autorité par les partisans de Maria Valtorta. Comme le dit l’adage, testis unus, testis nullus. D’autant que le témoignage du père Berti « qui au fil des années s’est montré de plus en plus exalté pour Maria Valtora » (p. 128) allant même jusqu’à recourir à un radiesthésiste pour démontrer que la mystique disait la vérité au sujet du tombeau de Saint Pierre, est largement sujet à caution.

De son côté, le père Checcin indique seulement que le pape leur a demandé de trouver un évêque pour l’imprimatur d’usage. Imprimatur qu’obtiendra à l’été 1948 le père Berti pour un livret de 32 pages, maquette de L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, de la part de Mgr Barneschi, évêque in partibus, c’est à dire sans diocèse propre à gouverner. Or cet imprimatur, que les partisans de Maria Valtorta mettent en avant, ne peut être accordé que par l’ordinaire du lieu où réside l’auteur et/ou l’éditeur de l’ouvrage, il n’a donc en l’espèce aucune autorité.

La personnalité de Maria Valtorta

Joachim Bouflet aborde enfin la personnalité de Maria Valtorta à travers ses écrits autobiographiques. Il note (p. 134) « l’absence de la joie et de la paix caractéristiques de toute authentique expérience mystique » Devant le manque de soutien apporté à son œuvre, elle se pose en victime incomprise de tous, vindicative envers les servites de Marie (dont elle est membre du Tiers-Ordre) qui selon elle l’ont trahie. Ainsi elle fait dire à Jésus que le père Migliorini, adepte pourtant de la première heure, est « un parâtre et un tentateur ». Servites qu’elle qualifie en 1949, au moment où le Saint-Office examine les textes et interdit leur publication, de « rebelles, orgueilleux, menteurs, fraudeurs, tentateurs d’une âme, dépréciant la Madone, coureurs de jupons… » Contrairement aux trois mystiques données en exemple par Joachim Bouflet, qui montrent un grand détachement vis-à-vis de leurs écrits, Maria Valtorta défend bec et ongle son œuvre, constituant même pour cela un dossier avec l’aide d’un avocat… Elle ne trouve sa consolation que dans les paroles de Jésus qui lui déclare notamment : « Aucune âme ne m’a autant vue que toi » et l’appelle son « petit Jean » martyrisé.

Ainsi apparaît-elle à ses yeux comme la plus grande voyante de tous les temps, ce qui n’est guère gage d’humilité. Saint Pie X du haut du ciel lui donne sa bénédiction, sa mère aussi, de son purgatoire, vient la réconforter. Sans nier sa sincérité et sa piété, Joachim Bouflet la décrit (p. 137) comme « une femme illusionnée et s’illusionnant sur elle-même », sans exclure cependant chez elle des facultés paranormales sous la forme de « prémonitions » et autres « faits étranges » évoqués par l’auteur anonyme de Maria Valtorta, la persona e gli scritti.

En conclusion, plus qu’à Maria Valtorta elle-même, Joachim Bouflet attribue la fraude à ce que l’historien Yves Chiron qualifie de lobby valtortiste qui, à grand renfort de « contre-vérités » et d’« expertises prétendument scientifiques effectuées par divers « spécialistes » auto-institués », continue de défendre le caractère surnaturel des dictées et visions de Maria Valtorta.

CET ARTICLE EST REPRIS DANS LE LIVRET :

1000 r@isons de s’inquiéter…

Dominique Auzenet

Un nouveau grand projet à coefficient 1000

Olivier Bonnassies, polytechnicien et entrepreneur, interviewé sur Radio Notre-Dame, annonce un plan d’évangélisation qu’il a conçu pour les cinq ans à venir et qu’il explique bien clairement (« 1000 raisons de croire » : un grand projet d’évangélisation pour les 5 prochaines années). On ne peut que soulever de légitimes interrogations sur l’annonce du matraquage numérique tous azimuts1 auquel va donner lieu cette initiative …

Présentation sur le site Marie de Nazareth

Olivier Bonnassies a maintenant les moyens d’imposer médiatiquement à notre Église de France (les évêques se trouvent mis devant le fait accompli) et même au-delà, sa vision des choses. Il médite une apologétique pour hommes d’affaires qui vise à faire du chiffre pour sa conception de l’Église. Propulsé comme d’habitude par une propension mégalomaniaque, avec lui la Foi n’agit plus par rayonnement mais par contrainte morale cachée.

Certes le Concile Vatican I a montré que Dieu pouvait être « connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine au moyen des choses qui ont été créées », mais le même concile n’en a pas moins précisé que « dans la révélation divine », « le mystère vrai et proprement dit » ainsi que « tous les dogmes de la foi » ne peuvent pas être « compris et démontrés par la raison convenablement cultivée, au moyen des principes naturels2 ». C’est là que peut résider la dangereuse ambiguïté de la présentation apparemment au service de l’Église dont Olivier Bonnassies est le porteur. On ne peut pas abandonner la raison pour croire en Dieu, mais elle s’arrête au seuil du mystère de Dieu qui se révèle au cœur humain d’une façon qui échappe à la raison3.

La conception de l’évangélisation présentée par Olivier Bonnassies semble relever de l’activisme mû par un zèle religieux indiscret, ce qui est une des définitions minimales du fanatisme. Sous des dehors de véritable évangélisation, très généreux, se cache une mise au pas des personnes qui ne correspond pas au véritable esprit de l’Église développé dans Evangelii Nuntiandi du pape Paul VI et dans Evangelii Gaudium du pape François.

Aspects de l’esprit de l’évangélisation selon Vatican II

La grande charte de l’Église de Vatican II sur l’évangélisation dans le monde actuel est l’exhortation du pape Paul VI Evangelii Nuntiandi de 1975. Elle est à relire en totalité. Je ne résiste pas à citer cet extrait bien connu an n° 41 sur les maîtres et mes témoins : « “ L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs — ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins ”. Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évoquait le spectacle d’une vie pure et respectueuse, “ gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la Parole ” (1 P 3,1). C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Eglise évangélisera tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté » (E. N. N° 41).

En 2007, à Aparecida, Benoît XVI avait présenté la véritable mission de l’Église de la manière suivante : « L’Église ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par « attraction » : comme le Christ « attire chacun à lui » par la force de son amour, qui a culminé dans le sacrifice de la Croix, de même l’Église accomplit sa mission dans la mesure où, associée au Christ, elle accomplit chacune de ses œuvres en conformité spirituelle et concrète avec la charité de son Seigneur ».

Dans la Note doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation, 2007, n° 8 & 12, j’aimerais citer ces extraits qui soulignent la nécessité d’éviter toute pression indue :

« Aux origines de l’Église, ce n’est pas par la contrainte ni par des habiletés indignes de l’Évangile que les disciples du Christ s’employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la parole de Dieu » (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11). La mission des Apôtres — et sa poursuite à travers la mission de l’Église antique — reste le modèle fondamental de l’évangélisation pour tous les temps : une mission souvent marquée par le martyre, comme l’atteste aussi l’histoire du siècle à peine écoulé ».

« Dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête, ou simplement peu loyaux, surtout s’il s’agit des gens sans culture ou sans ressources » (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 4). Le témoignage rendu à la vérité n’entend rien imposer par la force, ni par une action coercitive, ni avec des artifices contraires à l’Évangile. L’exercice même de la charité est gratuit (Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est, 2005, n. 31). L’amour et le témoignage rendu de la vérité visent à convaincre d’abord par la force de la Parole de Dieu (Cf. 1 Co 2, 3-5 ; 1 Th 2, 3-5) (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11). La mission chrétienne réside dans la puissance de l’Esprit Saint et de la vérité elle-même proclamée ».

Dans le cadre de la recherche de l’unité à travers la démarche œcuménique, le pape François insiste lui aussi sur la nécessité d’éviter tout prosélytisme. À l’occasion d’une interview qu’il a accordée au jésuite suédois Ulf Jonsson pour « La Civiltà Cattolica », en nov. 2016 : « Il y a un critère qui devrait être très clair dans notre esprit en toutes circonstances : faire du prosélytisme dans le domaine ecclésial, c’est un péché. Benoît XVI nous a dit que l’Église ne grandit pas par le prosélytisme, mais par attraction. Le prosélytisme est un comportement coupable ».

Le nonce apostolique en France, Mgr Célestin Migliore, commente ainsi4 l’orientation de la synodalité :

« La conviction fondamentale du pape François est que la relation avec Dieu dans le Christ donne à l’homme la capacité de « rester en sortie » et de se placer avec courage sur la scène du monde.

Il est nécessaire de clarifier que rester en sortie n’a rien à voir avec l’arrogance, la recherche de l’auto-affirmation ou l’intimidation de celui qui penserait rendre un bon témoignage à l’Évangile en maniant la vérité comme une épée. Dans la perspective du pape François, l’attitude de « sortir » n’est pas l’absolutisme ou l’intransigeance, ni le relativisme, mais le dialogue :

Je vous recommande de manière particulière la capacité de dialogue et de rencontre. Dialoguer n’est pas négocier. Négocier, c’est chercher à obtenir sa propre « part » du gâteau commun. Ce n’est pas cela que j’entends. Mais c’est rechercher le bien commun pour tous. Discuter ensemble, j’oserais dire se mettre en colère ensemble, penser aux meilleures solutions pour tous (…) pour construire la société civile avec les autres (…). Rappelez-vous, en outre, que la meilleure façon pour dialoguer n’est pas celle de parler et de discuter, mais celle de faire quelque chose ensemble, de construire ensemble, de faire des projets : pas seuls, entre catholiques, mais avec tous ceux qui ont de la bonne volonté5 ».

L’évangélisation a-t-elle besoin d’entrepreneurs ?

L’évangélisation n’est pas une entreprise humaine. D’essence surnaturelle, non étrangère à la raison humaine, la Foi chrétienne catholique, tout en sachant utiliser les moyens actuels de communication, ne peut que conduire à un au-delà de la rencontre de l’homme avec Dieu qui relève du mystère de la liberté dans l’amour. En aucun cas, l’Église ne peut se développer par des entrepreneurs de l’évangélisation, — c’est ainsi qu’ils s’appellent -, même si leurs réalisations sont inspirées par le désir d’amener par leurs méthodes de nouveaux fidèles à l’Église. Leurs vues sont trop matérialistes et pas assez surnaturelles, outre le défaut de déficience de doctrine.

En outre, on peut tout à fait penser que cette présentation, qui se prévaut d’être une saine annonce de la foi selon les Apôtres, est inspirée par la pensée matérialiste du management à l’américaine dont le but est de faire du nombre, rien de plus. La version de la Foi catholique promue par Olivier Bonnassies est un produit de marketing.

Il ne faut pas négliger non plus, au-delà de la raison, l’appel constant au merveilleux chrétien6 sous toutes ses formes, faisant de grâces exceptionnelles la normalité de la vie dans la foi. On finit ainsi de convaincre ceux qui se seront fait harponner et qui vont se mettre à en faire autant pour les autres à leur tour. Sous des dehors positifs et attrayants, avec des résultats, pointe la mondanité spirituelle du cardinal de Lubac reprise par le Pape François.

Il ne faudrait pas que ce prétendu plan apostolique de cinq ans suscite dans notre pays et même dans le monde de nouveaux dégâts par une mise en œuvre d’évangélisation à visée réductrice, par une approche trop matérialiste de la Foi de l’Église.

Notes

1 Présentation : « Jésus, Marie, l’Église, la Bible, les prophètes, les docteurs, les mystiques, les grands témoins de la foi, les apparitions et interventions mariales, les anges et leurs manifestations, les exorcismes, les miracles, les guérisons, les reliques, les conversions, les témoignages innombrables de rencontres avec le Christ et tous les faits historiques providentiels, il y a bel et bien « 1000 raisons de croire » ! Voici les plus belles réunies dans ce livret de 16 pages, quintessence d’un dispositif de communication d’une envergure sans précédent : 1000raisonsdecroire.com Ce dispositif sera promu par tous les canaux web, pub radio et TV à la rentrée, et ce livret servira de support de lancement national à un magazine en kiosque en octobre ! »

2 Constitution dogmatique sur la Foi Catholique (Dei Filius) du 24 avril 1870. (Traduction Gervais Dumeige, La Foi Catholique, L’Orante, 1961)

Canon 1, chapitre 2 : « Si quelqu’un dit que le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être connu avec certitude par ses œuvres grâce à la lumière naturelle de la raison humaine, qu’il soit anathème. »

Canon 1, chapitre 4 : « Si quelqu’un dit que la révélation divine ne contient aucun mystère véritable et proprement dit, mais que tous les dogmes de la foi peuvent être compris et démontrés par la raison, convenablement cultivée, à partir des principes naturels, qu’il soit anathème. »

3 Voir l’encyclique Fides et Ratio de Jean-Paul II (1998) au n°52 : « Si la parole du Magistère s’est fait entendre plus souvent à partir du milieu du siècle dernier, c’est parce que, au cours de cette période, de nombreux catholiques se sont reconnu le devoir d’opposer leur propre philosophie aux courants variés de la pensée moderne. À ce point, il devenait nécessaire pour le Magistère de l’Eglise de veiller à ce que ces philosophies ne dévient pas, à leur tour, dans des formes erronées et négatives. Furent ainsi censurées parallèlement: d’une part, le fidéisme et le traditionalisme radical, pour leur défiance à l’égard des capacités naturelles de la raison; d’autre part, le rationalisme et l’ontologisme, car ils attribuaient à la raison naturelle ce qui est connaissable uniquement à la lumière de la foi. Le contenu positif de ce débat fit l’objet d’un exposé organique dans la Constitution dogmatique Dei Filius, par laquelle, pour la première fois, un Concile œcuménique, Vatican I, intervenait solennellement sur les relations entre la raison et la foi. L’enseignement de ce texte donna une impulsion forte et positive à la recherche philosophique de nombreux croyants et il constitue encore aujourd’hui une référence et une norme pour une réflexion chrétienne correcte et cohérente dans ce domaine particulier. »

4 Mgr Célestin Migliore, Evangélisation et promotion humaine. La conversion pastorale selon le pape François. NRTh 143, 2021, pp. 246-255.

5 Discours aux participants du V° Congrès de l’Église italienne, Florence, 10 nov. 2015.

6 « Pour Augustin, les miracles sont une concession divine à ceux qui sont prisonniers des apparences sensibles. Ce n’est pas qu’il porte sur le monde un regard désenchanté, au contraire ! Pour lui, aussi fascinés que nous puissions l’être face à tel ou tel phénomène particulier, nous ne voyons pas que c’est la nature dans son ensemble qui doit être source d’émerveillement. Tout l’univers est signifiant. Le miracle singulier n’aurait d’intérêt qu’à nous ouvrir les yeux sur une présence divine universellement répandue. Le vrai sage n’est pas celui qui a tout vu et tout compris, mais celui qui est capable de se laisser surprendre même par ce qui, au premier regard, paraît relever du bien connu. » François Euvé, La science, l’épreuve de Dieu ? Salvator, 2022, p. 122.

Le pycho-spirituel mis à nu

De la blessure psychologique aux thérapies psycho-spirituelles, CCMM, avril 2022, 346 pages, 25 €.

Recension, par le Frère Jean-Gabriel de l’Enfant-Jésus ocd, revue Carmel n° 183, mai 2023.

Le présent livre, qui émane du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) fondé par Roger Ikor voilà plus de 40 ans, dénonce les dérives initiées par ce que l’on désigne sous le terme de « psycho­spirituel », un curieux mélange des domaines psychologique et spirituel, et que le CCMM explique ainsi: « L’individu est porteur de blessures qui impactent son présent et ses possibilités d’évolution. Ces blessures constituent le lieu privilégié de la rencontre avec Dieu qui vient, si on le laisse œuvrer, guérir, libérer, relever par son amour misé­ricordieux » (p. 48). Au premier abord, on serait tenté de conclure qu’il n’y a rien là de problématique. Plus encore, et c’est l’argu­ment souvent avancé, pourquoi se priver de ce qui constitue une forme de thérapie pour un mieux-être psychologique et spiri­tuel? Pourtant, l’étude présente du CCMM et les nombreux témoignages qui y sont recensés, attestent que le psycho-spirituel constitue une forme d’emprise mentale dont les conséquences peuvent s’avérer graves et irrémédiables.

Un rapport du Docteur Guiouillier – psychiatre mandaté en 2011 par la CEF (Conférence des Evêques de France) pour une enquête auprès des Agapèthérapies du Puy en Velay, notait déjà de graves carences en matière de connaissance psychologique, ce qui d’après lui ne pouvait qu’aboutir à des interprétations erronées et simplistes : « D’emblée, écrivait-il dans le rapport désormais officiel transmis à la CEF, dans la définition de l’Agapé, la recherche de bouc-émissaire est annoncée. Il y a confu­sion entre l’événement et le traumatisme ( … ) Le bouc-émissaire est recherché au lieu d’analyser la responsabilité individuelle. On recherche un agent extérieur p,our tenter de déculpabiliser le sujet, ce qui peut le soulager dans un premier temps, mais à quel prix? On utilise le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies psychoaf­fectives qui ne seront en fait ni nommées, ni analysées, juste suggérées au risque de les induire ».

Le livre du CCMM confirme ce que ce médecin analysait en son temps: le risque de souvenirs induits, dont les travaux de la psychologue cognitive Élisabeth Loftus, dès les années 70, ont montré l’exis­tence: « Le faux souvenir est un phénomène psychologique qui se produit lorsqu’une personne se remémore un événement qui, en fait, n’a jamais eu lieu » (ibid.) Les témoi­gnages, parfois accablants, qu’on trouve dans le livre du CCMM, offrent un écho terrible à cette dernière analyse. Car les faux souve­nirs induits « provoquent (chez le sujet) un changement profond de point de vue sur son histoire et bien sûr une grande désta­bilisation par destruction de son identité et des relations avec ses proches. ( … ) » (p. 54).

Certains parents en effet, témoignent du procès que leurs enfants leur ont fait au retour d’une session d’agapéthérapie où ils avaient selon eux compris combien leurs parents les avaient mal aimés, voire maltrai­tés.,. On se demande ce qu’a de spirituelle et chrétienne une démarche qui finit par reje­ter l’un des dix commandements de Dieu: « Tu honoreras ton père et ta mère»? … Le processus psycho-spirituel est fort bien analysé dans le chapitre 2 de cet ouvrage, qui souligne notamment l’enfermement dans la recherche des blessures; la perte du raisonnement et de l’intelligence de la foi par le détournement de l’Évangile au profit d’une conception pseudo-psychologique qui n’est en rien spirituelle; sans oublier l’aspect lucratif d’une celle entreprise, abordé dans le chapitre 5 de l’ouvrage (L’appât du gain) … Les chapitres 3 et 4 abordent quant à eux la confusion spirituelle régnant dans les communautés qui prônent ce mélange de psychique et de spirituel et laissent de nombreuses victimes sur le rivage de leur inconsistance …

Au terme du livre, on est en droit de se poser la question: « Mais que fait donc l’Église? » D’autant que peu de signes ont été donnés depuis les premières dénoncia­tions de ces dérives.

Pour en connaître la raison, on retien­dra avec profit les enseignements du diacre permanent Bertran Chaudet, contributeur au site SOS Discernement, qui lutte depuis longtemps contre les diverses dérives gnos­tiques qui menacent l’Église. Dans l’excellent premier chapitre de cet ouvrage – « Le Nouvel Âge a-t-il pénétré l’Église? » – il nous livre un panorama saisissant des diverses techniques que l’Église de France tend à intégrer dans sa pastorale, et qui semblent davantage marquées par l’esprit du New-Age ou du monde que par celui de Dieu …

Certes, le rapport de la CIASE a semblé faire l’état des lieux des abus dans l’Église. Mais, bien que nécessaire, il s’avère insuffi­sant. Les dérives sectaires doivent aussi être recensées; et les coupables sanctionnés, car la miséricorde a partie liée avec la vérité et la justice.

Puisse cet ouvrage et les témoins qui y figurent retenir l’attention de ceux qui, au Jour du Jugement, ne pourront dire qu’ils ne savaient pas …

Évaluer la qualité par la quantité : une grave erreur

Extrait de : « Bon arbre, bons fruits », Groupes de travail CORREF post-CIASE

L’augmentation rapide du nombre des croyants dans les premiers temps de l’Église a été rendue possible par la docilité à l’Esprit Saint des apôtres et évangélisateurs, et par la qualité de leur témoignage et de leur engagement croyant, comme les Actes des apôtres le laissent entendre1.

Mais que la qualité puisse entraîner la quantité, n’implique pas que la quantité résulte toujours de la qualité. Certes, la révélation relativement récente de la perversion de certains fondateurs à succès et de certains de leurs disciples a rendu évidente cette absence de corrélation nécessaire entre quantité et qualité. Mais cette corrélation a la vie dure, et il est douteux qu’elle ait complètement et définitivement disparu des esprits.

Une telle association entre quantité et qualité, qui conduit à considérer la croissance et le succès numériques comme un « beau fruit » produit par un arbre nécessairement bon, suppose la validité d’un présupposé que nous avons tout lieu aujourd’hui de mettre en doute : que Dieu contrôle suffisamment les personnes et les événements pour pouvoir assurer le succès numérique de ce qui a de la qualité, et pour empêcher le succès numérique de ce qui n’en a pas, ou trop peu.

De ce point de vue, plutôt que de déclarer providentiels certains événements à l’exception des autres (tel le succès numérique), il paraît plus juste de ne déclarer providentielle que l’action de Dieu en notre faveur, quels que soient les événements (y compris l’absence de succès numérique).

Il en résulte que du point de vue de la foi, le « bon fruit » n’est pas celui qui apparaît tel selon la perspective trop humaine et immédiate du succès numérique, ni même de la simple survie. Même si la proportion d’êtres humains entrés dans l’Église visible a fortement augmenté au cours des siècles, l’action de la providence ne donne pas de garantie certaine que la fidélité des croyants s’accompagnera toujours d’un tel succès numérique : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8)

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L’écologie pourrait-elle devenir une nouvelle religion planétaire ?

Ludovic Lavaucelle, La sélection du jour

Le 22 avril dernier était le 53ème « jour de la Terre ». Las ! se lamentent Paul Greenberg et Carl Safina – écologistes et universitaires américains – cette date n’a fait l’objet d’aucune célébration particulière. Les fêtes de Pâques font de l’ombre, semblent-ils regretter pour le magazine Time (voir l’article en lien)… C’est même un sacrilège selon eux ! Ils voudraient tirer parti de ce jour pour fonder un nouveau culte qui permette à l’humanité de se recentrer sur l’essentiel : le miracle de la vie. Greenbert et Safina accusent de désinvolture les gens qui ne comprennent pas qu’il est plus important de célébrer la Terre que toute fête religieuse alors que la ville de New York a connu son mois de janvier le plus « chaud » jamais enregistré et que février a affiché des températures plus communes en avril. Ils rappellent avec nostalgie l’engouement des Américains lors du 1er « jour de la Terre » en 1970. Parrainée par deux sénateurs (le Républicain McCloskey et le Démocrate Nelson), cette journée avait vu 20 millions de personnes manifester dans les rues. La prise de conscience qui en a découlé a permis de vrais progrès orchestrés par le pouvoir législatif en qualité de l’air dans les villes et en propreté de l’eau. Les auteurs rappellent avec raison que les fumées toxiques (le « fog » londonien par exemple) empoisonnaient les poumons des habitants des grandes villes depuis le début de l’ère industrielle et que les cours d’eau étaient parfois tellement sales qu’ils pouvaient prendre feu. Pourquoi un tel manque d’enthousiasme par rapport au 22 avril 1970 alors que les médias actuels parlent sans arrêt de « l’urgence climatique » ? Curieusement, les auteurs de cet article ne mentionnent pas que le premier « jour de la Terre » était bipartisan et apolitique. Depuis, l’écologie s’est radicalisée à gauche…

The case for making Earth Day a religious holiday Lire l’article sur : Time

Il faudrait donc passer à une nouvelle étape selon Greenberg et Safina : instaurer (imposer ?) l’écologie comme une nouvelle religion planétaire. Après tout, plaident-ils, les grandes religions sont elles-mêmes intimement connectées à la nature : Noël et le solstice d’hiver, Pâques et l’arrivée du printemps par exemple… Il serait facile de garder un calendrier de fêtes écologiques cohérent avec les grandes religions du monde. Ensuite, les rites ou les sacrements religieux forment un canevas pratique : il s’agirait juste de « réorienter » ces étapes vers la célébration de mère nature. La naissance ? Ce miracle biologique où l’inerte devient vivant… Une communion ? En faire une sortie dans la nature pour enseigner aux jeunes gens comment planter un arbre et répertorier des espèces menacées… Un mariage ? Une occasion parfaite d’enseigner au jeune couple le fardeau que représentent les enfants et les inviter à adopter les « bons comportements ». Un décès ? Oublions toute idée de vie après la mort, il faut célébrer le retour à la Terre pour faire renaître la vie… Il y a encore tant de mystères autour de l’origine de la vie qu’une telle religion ne manquerait pas de merveilleux selon eux. À défaut de transcendance… La religion écologiste aurait besoin d’une bible. Greenberg et Safina proposent de rassembler les textes fondateurs des « prophètes » Darwin, Galilée ou Humboldt.

Serait-ce vraiment une nouvelle religion ou le retour à des croyances primitives ? Les auteurs mettent en avant le progrès qu’une nouvelle époque des « Lumières » pourrait apporter tout comme le 18ème siècle a permis de grandes avancées scientifiques. Ils sont moins diserts quant au retour aux croyances primitives que représenterait un tel mouvement religieux. Certes, nos ancêtres étaient intimement connectés à la nature qui les entourait quand leurs dieux se trouvaient dans les forêts, le soleil, le vent, la mer etc… Mais ces communautés vivaient aussi dans un monde emprisonné par les superstitions. La soumission à ces dieux partout présents a souvent entraîné des coutumes cruelles de sacrifices humains. L’individu ne comptait pas quand il fallait préserver la communauté de la colère divine. Le risque ne serait-il pas encore plus grand dans un monde où les intérêts financiers et les moyens de contrôler la population sont sans comparaison avec les temps antiques ? D’ailleurs, quid du clergé pour une telle religion ? Les deux écologistes mis à l’honneur par le Time n’en disent rien. Des scientifiques devenus encore plus puissants qu’aujourd’hui, possiblement liés par des intérêts à des multinationales mues par la recherche du profit ? Des grandes fortunes et des politiques obsédés par la conservation du pouvoir et trouvant dans l’écologie le moyen de contrôler les masses ? L’article de Greenberg et Safina est provocateur mais il a le mérite de lever le voile sur les velléités cultuelles des écologistes radicaux.