Le christianisme au défi des nouvelles spiritualités

Le livre d’Adrien Bouhours

Adrien Bouhours, bibliothécaire, historien, spécialiste des courants ésotériques et auteur de « Le christianisme au défi des nouvelles spiritualités (Ed. Artège)

Comment expliquer la sécularisation si brutale du monde occidental et la perte de vitesse des Églises traditionnelles ? Que signifie ce passage d’une société organique et chrétienne à une société syncrétiste et individualiste où chacun modèle sa spiritualité au gré de ses désirs ? Le « nouvel âge » annoncé par les acteurs de ces mutations est-il à la hauteur des promesses de bonheur et d’accomplissement qu’ils véhiculent ?

En réponse au discours promotionnel de la « nouvelle spiritualité » qui présente son succès comme inscrit dans le sens de l’histoire, Adrien Bouhours livre une analyse tranchante de ses sources historiques et décrypte les causes de la séduction qu’elle exerce.

Il met en lumière ses racines ésotériques, issues des mutations religieuses de la Renaissance, et éclaire ses liens avec la promotion de spiritualités orientales idéalisées et avec l’essor de la culture du bien-être et du développement personnel.Pour dissiper les funestes mirages de la religion nouvelle, l’essayiste lance un appel réfléchi à redécouvrir les richesses oubliées du christianisme, seules à même de combler notre soif d’espérance, de transcendance et de vérité.

Recension par Guillaume Daudé

dans La Croix du 21 mars 2024

Des livres de Frédéric Lenoir au best-seller Trois amis en quête de sagesse paru en 2016, en passant par le Yoga d’Emmanuel Carrère publié en 2020, quel est le point commun de cette littérature à succès ? Tous ces livres relèvent d’un courant foisonnant et protéiforme qu’on désigne souvent sous le nom de « nouvelles spiritualités », et auquel l’historien Adrien Bouhours vient de consacrer son dernier ouvrage.

Une thèse forte le traverse : ce ne sont pas l’athéisme ou l’islam qui supplantent aujourd’hui le christianisme mais ce courant, selon lui largement sous-estimé par les catholiques. Pour l’auteur, le caractère nébuleux des « nouvelles spiritualités » ne signifie pas qu’elles n’ont pas d’unité : elles professent toutes la possibilité « d’accéder directement à une dimension divine sans passer par les médiations institutionnelles ».

Alors qu’elles sont souvent vues comme la religion d’avenir, l’auteur explique pourquoi elles séduisent tant : elles correspondent à l’âge de la mondialisation, de l’écologie et de l’individualisme, en proposant une synthèse planétaire des sagesses, une spiritualité holistique et une réalisation de soi.

Pourtant, ces « nouvelles spiritualités » ne sont pas aussi nou­velles qu’elles le prétendent, ana­lyse l’historien. Selon lui, elles trouvent leurs racines dans les courants ésotériques nés à la Renaissance, qui se développent avec la franc-maçonnerie à partir du XVIIIe ­ siècle, puis avec les spiritualités orientales importées en ­France dès le milieu du XIXe siècle.

Dans une dernière partie plus apologétique, l’auteur s’attache de manière convaincante à dissiper les fausses promesses des « nou­velles spiritualités ». En prétendant prendre le meilleur de toutes les religions qui détiendraient chacune une par­celle de vérité, elles en gomment les aspérités et ne font en réalité que les utiliser au service de leur propre conception de la vérité, analyse-t-il. À titre ­d’illustration, le roman autobio­graphique d’Emma­nuel Carrère, Yoga, écrit après une dépression, montre, selon l’auteur, toute l’ambiguïté de la « nouvelle spiritualité » : il y voit un détournement de pratiques spirituelles à des fins thérapeutiques qui n’est pas sans danger. Ce livre exprime cependant une quête de sens, selon lui bien présente chez nos contemporains, alors même que Dieu est devenu un gros mot. Le défi pour les chrétiens : répondre à cette soif d’absolu.

Spiritualité laïque et spiritualité chrétienne

« 63. La foi catholique de nombreux peuples se trouve aujourd’hui devant le défi de la prolifération de nouveaux mouvements religieux, quelques-uns tendant au fondamentalisme et d’autres qui semblent proposer une spiritualité sans Dieu[1]. »

Points de repères et de discernement

Définir en quelques mots ce qui relève de la spiritualité laïque est tout simplement impossible. Notre approche sera donc très partielle et aura pour point d’attention quelques éléments.

Tout d’abord, revenons à la définition et à l’étymologie. Spiritualité : ce qui concerne ici la spiritualité est relative à la vie spirituelle, à la vie de l’esprit. Cela peut aller de l’activité intellectuelle à la manière de pensée. En tous les cas, la racine latine est « spiritus. » Et il est intéressant de constater que cette même racine à donner respirer, inspirer, expirer. Comme si le souffle, la respiration, en lien avec l’air, l’élément le plus immatériel était l’interface entre le monde de la matière et le monde de l’esprit. D’ailleurs, le muscle le plus important de la respiration qui est au centre de notre corps, et qui forme le plancher de notre cage thoracique et le plafond de notre abdomen s’appelle le diaphragme ou, en langage médical, le « centre phrénique ». En grec phren veut dire, état d’âme, état d’esprit. C’est dire si les anciens avaient repéré qu’au centre de notre corps en lien avec la respiration, ce muscle était l’interface entre le soma, le corps et la psyché ou l’esprit. En français nous pouvons conjuguer le verbe expirer à la forme active j’expire, et non pas à la forme passive je suis expiré. Nous pouvons conjuguer le verbe inspirer à la forme active j’inspire, mais également à la forme passive, je suis inspiré. La question qui nous occupe ici est de savoir, qu’est-ce qui nous inspire ? Qui ou quoi nous inspire ?

Déjà, nous trouvons une différence essentielle entre l’Orient et la tradition judéo-chrétienne au sujet du souffle. En Orient, il s’agit de maîtriser l’énergie vitale qui circule dans le prana, comme le font les maîtres yogi par des exercices de pranayama ou yoga respiratoire. Le ki ou le chi des Chinois est cette énergie concentrée au centre de corps qu’il faut savoir maîtriser par des exercices ascétiques. Dans cette conception, le sommet de la vie spirituelle passera nécessairement par la maîtrise de ces énergies pour maîtriser son mental. Il s’agit de pratiques qui pourraient être considérées comme laïques, en ce sens qu’elles ne nécessitent pas de croyances particulières, mais une pratique assidue. Cependant si nous nous référons aux écrits ou paroles des maîtres nous constatons que tout un système de croyances y est attaché, une conception de l’homme et du monde, de la vie de la mort et de la vie après la mort sont indissociables des pratiques. Dans la Bible, le souffle « spiritus » en latin « pneuma » en grec et « rouah » en hébreux se reçoit de Dieu, il n’est donc pas maîtrisable. Cette simple remarque sur le souffle ou l’esprit permet d’envisager déjà des différences fondamentales quant aux différentes spiritualités. Continuer la lecture de « Spiritualité laïque et spiritualité chrétienne »