En matière de dérives sectaires, sortir de l’emprise est un processus compliqué, lent et douloureux. Très peu documentée, rarement racontée, cette exfiltration représente des années d’efforts, de combats et de rechutes.
À travers le récit de cinq anciens adeptes, le film retrace ce parcours de la déprise. Vers qui se tourner lorsqu’on a coupé les ponts avec sa famille, ses amis, ses collègues ? Comment s’arracher à sa propre identité construite quand notre cerveau nous colonise de l’intérieur ? Et quel secours les services de police spécialisés ou la justice apportent-ils dans cette longue épreuve de reconstruction ?
En matière de dérives sectaires, comment sort-on de l’emprise ? Entre vertigineuse solitude et renaissance, les bouleversants récits croisés de victimes qui témoignent de la descente aux enfers et de la lutte pour s’arracher à la sujétion.
Nicolas est né au sein d’une famille de Témoins de Jéhovah. Retraçant son conditionnement, il raconte ses terreurs enfantines nourries par les mises en garde contre le « monstre Satan » et ses démons, sa différence moquée à l’école et sa descente aux enfers à l’adolescence, avant l’arrachement familial à 22 ans puis la lente reconstruction. Abusée, comme Yohann, par les valeurs vaguement humanistes de l’Université de la nature et de l’écologie de la relation lors d’un stage au Maroc, Julie, elle, s’est laissé embarquer pendant six ans dans un funeste engrenage. Lequel l’a conduite jusqu’en prison, début de sa déprise. Pour David et François, tout a commencé par de banales séances de kung-fu au parc de La Villette, avant la dérive au sein des Guerriers de lumière une décennie durant. Tous racontent, émotion encore à fleur de peau, les étapes de l’emprise et les mécanismes de la manipulation, qui les ont plongés au coeur noir de ces mondes parallèles. Comment, dès lors, ces victimes ont-elles réussi à s’échapper pour se réapproprier leur vie ? « Sortir de l’emprise, c’est accepter de faire table rase, de tout détruire… » Main tendue de l’entourage, dessillement du regard et rupture parfois appuyée par de salvatrices procédures judiciaires : se défaire de la sujétion psychologique relève d’un long et douloureux processus. « La déprise, insiste David, c’est ultraviolent. Tu es seul. »
Sortie des ténèbres
Retraçant leur parcours avec une touchante lucidité, ces anciens adeptes, qui se sont pour certains égarés à trop vouloir sauver l’humanité, ont fait preuve de ressources intérieures et d’une remarquable force de vie pour briser leurs chaînes. Mais s’ils n’occultent rien de l’aveuglement et des épreuves traversés, leur sortie des ténèbres se révèle aussi porteuse d’espoir. Entrelaçant le récit de leur expérience et des séances en immersion à la Caimades (Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires) auprès de professionnels et de policiers à l’écoute, Karine Dusfour, évitant l’écueil du fait divers lié au sujet, interroge aussi les dimensions politiques et sociétales de la déprise, dont l’accompagnement pâtit d’un cruel manque de moyens, en esquissant des voies pour lutter contre ce fléau, qui peut frapper tout un chacun.
Là où Joachim Bouflet ne consacrait que quatre pages à Maria Valtorta dans sa somme au titre explicite, Faussaires de Dieu (2000), c’est cette fois un chapitre entier et fourni qu’il dédie à la « mystique » italienne dans son dernier opus Impostures mystiques paru en mars 2023.
Les articles de Don Guillaume Chevallier publiés en 2021 dans la revue Charitas, les réponses « aussi peu argumentées que violentes, voire haineuses » (p. 139) qui lui ont été faites, et le « bref avertissement » de la Commission doctrinale des évêques de France paru en septembre 2021, qui relève que « la diffusion des écrits de Maria Valtorta s’intensifie depuis deux ans au moins », ont conduit Joachim Bouflet à se plonger dans les quelque 5000 pages de l’Évangile tel qu’il m’a été révélé et ses Cahiers, avec comme il le dit « une patience de chartreux » devant « la mièvrerie et le sentimentalisme du texte ». Si Joachim Bouflet s’appuie à plusieurs reprises sur les travaux de Guillaume Chevallier et rappelle les nombreuses condamnations de l’œuvre par l’Église, reproduisant in extenso l’article de l’Osservatore Romano intitulé « Une vie de Jésus mal romancée » faisant suite à la mise à l’index de 1960, il n’en apporte pas moins sa contribution personnelle aux aspects problématiques de l’œuvre de Maria Valtorta.
De
nombreux anachronismes
Il relève en premier lieu les nombreux anachronismes qui émaillent l’œuvre, alors même que le président de la Fondazione Maria Valtorta ne craint pas d’affirmer dans une conférence de 2018 que « la science archéologique confirme tout ce qui est écrit dans les dix volumes de l’œuvre ». (p. 96) Hélas, certains détails ne résistent pas à l’examen critique, comme ces « coupoles resplendissantes » du Temple de Jérusalem mentionnées à plusieurs reprises par Maria Valtorta qui n‘ont jamais existé que dans son imagination féconde : tant les fouilles archéologiques menées dans les années 1970-1980, que les descriptions de l’historien juif Flavius Josèphe au 1er siècle de l’ère chrétienne démentent l’existence de ces coupoles, qui d’ailleurs ne font leur apparition qu’au milieu du 1er siècle dans le monde romain, mais pas chez les juifs qui préfèrent les toits en terrasse, puis plus tard dans l’architecture arabo-musulmane.
Autre étrangeté,
l’utilisation par Joseph et Jésus d’un tournevis
pour leurs travaux
de menuiserie, outil totalement inconnu jusqu’à la Renaissance qui
voit l’invention de la vis de fixation. Ou encore la présence dans
le récit de plantes importées du Nouveau Monde au XVIèsiècle :
« tous ces anachronismes en termes de végétation équivalent
à faire cultiver par les contemporains de Jésus des pommes de
terre, des tomates ou du maïs » commente ironiquement Joachim
Bouflet.
Dans une veine toute
romanesque, Maria Valtorta conte aussi que Jésus, âgé de 5 ans,
réfugié avec ses parents en Égypte, cherche à reproduire un petit
lac à l’image de celui de Génésareth pour y faire flotter ses
petits bateaux faits de feuilles mortes. Il place les villes bordant
le lac : Magdala, Capharnaüm et… Tibériade.
Problème : la ville de Tibériade n’a été fondée qu’en
l’an 17, date à laquelle Jésus avait une vingtaine d’années.
La description des sacrements
Les descriptions faites par
Jésus des sacrements de l’Église sont tout aussi anachroniques.
Bien que leur nombre définitif n’ait été arrêté qu’en 1274
par le Concile de Lyon (entériné par le Concile de Trente en 1547),
les sept sacrements sont institués par Jésus en personne dans
l’Évangile revisité par Maria Valtorta. (p. 124) Dans un
long dialogue avec l’apôtre Jacques, « Jésus », après
avoir pris soin de définir ce qu’est un sacrement, dans des termes
qui semblent tout droit sortis d’un catéchisme, détaille chacun
avec un luxe de précisions qui n’appartiennent qu’à la
tradition chrétienne ultérieure. Après avoir donné ses
instructions concernant le baptême, l’absolution des péchés,
l’extrême-onction des malades, Jésus codifie également le
« Sacrement
pour les noces de l’homme »,
autrement dit le mariage dont les modalités n’ont été fixées
que progressivement, notamment par le IVè
concile du Latran en 1215. De même le sacrement de confirmation
dont « Jésus » dit qu’il sera donné « par ceux
qui auront reçu la plénitude du sacerdoce ». Or baptême et
confirmation étaient conférés ensemble dans l’Église primitive
avant qu’en 416 le pape Innocent Ier
confie aux seuls évêques la prérogative de confirmer les baptisés.
Le « Jésus » de Maria Valtorta institue également une
« hiérarchie
ecclésiastique »
comme elle le lui fait dire. C’est donc, selon le mot de Joachim
Bouflet, une « Église clefs en main » que livre Jésus.
Plus gênant, l’explication de chacun des sacrements dont l’apôtre
Jacques est le dépositaire en tant que « chef de l’Église
d’Israël » (sic) est faite par Jésus sous
le sceau du secret, selon un mode de transmission caractéristique
d’une gnose.
La personnalité de Jésus
La personnalité de Jésus dans l’œuvre de Maria Valtorta, décrite par Don Guillaume Chevallier comme celle d’un gourou autoritaire et égocentrique revêt un aspect plus inattendu dans l’analyse que tire Joachim Bouflet de certains passages de l’œuvre : celle d’un « Jésus » homo-sensible qui aime « à embrasser, caresser et étreindre ses disciples hommes » (p. 115) Ainsi le troublant baiser que dépose « Jésus » sur la bouche d’un certain Abel de Bethléem, personnage assimilé dans l’œuvre à Saint Ananie.
Le plus favorisé étant sans surprise « le disciple que Jésus aimait » de l’Évangile dans cette scène racontée par Maria Valtorta. Réveillé un matin par un baiser de Jésus sur la joue, Jean, qui « ne porte que ses sous-vêtements », se jette à son cou et se déclare « enflammé d’amour » pour Jésus qui « brûlant d’amour à son tour le caresse ». Un peu confus de tant de fougue amoureuse, Jean fait promettre à Jésus le silence sur cet épisode intime et s’entend répondre : « Sois tranquille, Jean, personne ne saura rien de tes noces avec l’Amour ». Un « Jésus » manipulateur, commente Joachim Bouflet, qui enferme son disciple dans le secret d’une relation équivoque dont il est l’initiateur.
Cette scène se prolonge dans
d’autres effusions scabreuses au fil des chapitres de l’œuvre,
toujours dans le secret et à l’écart des autres disciples :
« Et Jésus reconnaît son Préféré. Il lui tend les bras et
Jean s’y élance […] à peine vêtu avec sa tunique humide,
déchaussé, glacé. « Tu as froid Jean ! Viens ici sous mon
manteau… » […] Ils restent enlacés dans le seul manteau de
Jésus. ». Ou encore au chapitre suivant : « Ainsi
tu es venu. Cela nous sert, à toi et à Moi, à jouir d’un moment
d’amour »
Mais, « nouveauté
ignorée des Évangiles », commente Joachim Bouflet, le
disciple le plus aimé n’est en réalité pas Jean mais Judas
comme Maria Valtorta le fait dire à Jésus dans ses Cahiers,
un Jésus qui va jusqu’à supplier son Père que ce ne soit pas
Judas qui « a dormi sur ma poitrine […] mon ami, mon apôtre »
qui le trahisse. L’apôtre Jacques
est également poursuivi par les assiduités de Jésus : « […]
« Je te baise sur ta bouche, qui devra répéter ma parole aux
gens d’Israël, et sur ton cœur qui devra aimer » […] Ils
restent embrassés longuement et Jacques paraît s’assoupir dans la
joie des baisers de Dieu » Autant de scènes homo-érotiques
qui siéent mal à la relation, même privilégiée, de Jésus avec
ses disciples.
L’entrevue avec Pie XII
Joachim Bouflet apporte également des précisions utiles sur l’entrevue du 26 février 1948 avec Pie XII, en présence des frères servites de Marie, les pères Romualdo Migliorini, directeur spirituel de Maria Valtorta qui l’avait encouragée à écrire ses visions, son confrère Corrado Berti, enthousiasmé par les « dictées » de la « mystique », et leur supérieur le père Andrea Cecchin. Le pape aurait déclaré : « Publiez l’œuvre telle quelle. Il n’y a pas lieu de donner une opinion quant à son origine, qu’elle soit extraordinaire ou non. Ceux qui liront comprendront » Or, c’est le père Berti seul qui rapporte ces propos, avancés comme argument d’autorité par les partisans de Maria Valtorta. Comme le dit l’adage, testis unus, testis nullus. D’autant que le témoignage du père Berti « qui au fil des années s’est montré de plus en plus exalté pour Maria Valtora » (p. 128) allant même jusqu’à recourir à un radiesthésiste pour démontrer que la mystique disait la vérité au sujet du tombeau de Saint Pierre, est largement sujet à caution.
De son côté, le père
Checcin indique seulement que le pape leur a demandé de trouver un
évêque pour l’imprimatur d’usage. Imprimatur qu’obtiendra à
l’été 1948 le père Berti pour un livret de 32 pages, maquette de
L’Évangile tel
qu’il m’a été révélé,
de la part de Mgr Barneschi, évêque in
partibus,
c’est à dire sans diocèse propre à gouverner. Or cet imprimatur,
que les partisans de Maria Valtorta mettent en avant, ne peut être
accordé que par l’ordinaire du lieu où réside l’auteur et/ou
l’éditeur de l’ouvrage, il n’a donc en l’espèce aucune
autorité.
La
personnalité de Maria Valtorta
Joachim Bouflet aborde enfin la personnalité de Maria Valtorta à travers ses écrits autobiographiques. Il note (p. 134) « l’absence de la joie et de la paix caractéristiques de toute authentique expérience mystique » Devant le manque de soutien apporté à son œuvre, elle se pose en victime incomprise de tous, vindicative envers les servites de Marie (dont elle est membre du Tiers-Ordre) qui selon elle l’ont trahie. Ainsi elle fait dire à Jésus que le père Migliorini, adepte pourtant de la première heure, est « un parâtre et un tentateur ». Servites qu’elle qualifie en 1949, au moment où le Saint-Office examine les textes et interdit leur publication, de « rebelles, orgueilleux, menteurs, fraudeurs, tentateurs d’une âme, dépréciant la Madone, coureurs de jupons… » Contrairement aux trois mystiques données en exemple par Joachim Bouflet, qui montrent un grand détachement vis-à-vis de leurs écrits, Maria Valtorta défend bec et ongle son œuvre, constituant même pour cela un dossier avec l’aide d’un avocat… Elle ne trouve sa consolation que dans les paroles de Jésus qui lui déclare notamment : « Aucune âme ne m’a autant vue que toi » et l’appelle son « petit Jean » martyrisé.
Ainsi apparaît-elle
à ses yeux comme la
plus grande voyante de tous les temps,
ce qui n’est guère gage d’humilité. Saint Pie X du haut du ciel
lui donne sa bénédiction, sa mère aussi, de son purgatoire, vient
la réconforter. Sans nier sa sincérité et sa piété, Joachim
Bouflet la décrit (p. 137) comme « une
femme illusionnée et s’illusionnant sur elle-même »,
sans exclure
cependant chez elle des facultés paranormales
sous la forme de « prémonitions » et autres « faits
étranges » évoqués par l’auteur anonyme de Maria
Valtorta, la persona e gli scritti.
En conclusion, plus qu’à Maria Valtorta elle-même, Joachim Bouflet attribue la fraude à ce que l’historien Yves Chiron qualifie de lobby valtortiste qui, à grand renfort de « contre-vérités » et d’« expertises prétendument scientifiques effectuées par divers « spécialistes » auto-institués », continue de défendre le caractère surnaturel des dictées et visions de Maria Valtorta.
Olivier Bonnassies, polytechnicien et entrepreneur, interviewé sur Radio Notre-Dame, annonce un plan d’évangélisation qu’il a conçu pour les cinq ans à venir et qu’il explique bien clairement (« 1000 raisons de croire » : un grand projet d’évangélisation pour les 5 prochaines années). On ne peut que soulever de légitimes interrogations sur l’annonce du matraquage numérique tous azimuts1 auquel va donner lieu cette initiative …
Olivier Bonnassies a maintenant les moyens d’imposer médiatiquement à notre Église de France (les évêques se trouvent mis devant le fait accompli) et même au-delà, sa vision des choses. Il médite une apologétique pour hommes d’affaires qui vise à faire du chiffre pour sa conception de l’Église. Propulsé comme d’habitude par une propension mégalomaniaque, avec lui la Foi n’agit plus par rayonnement mais par contrainte morale cachée.
Certes
le Concile Vatican I a montré que Dieu pouvait être « connu
avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine au
moyen des choses qui ont été créées »,
mais le même concile n’en a pas moins précisé que « dans
la révélation divine », « le mystère vrai et
proprement dit »
ainsi que « tous
les dogmes de la foi »ne
peuvent pas être « compris
et démontrés par la raison convenablement cultivée, au moyen des
principes naturels2 ».
C’est là que peut résider la dangereuse ambiguïté de la
présentation apparemment au service de l’Église dont Olivier
Bonnassies est le porteur. On ne peut pas abandonner la raison pour
croire en Dieu, mais elle s’arrête au seuil du mystère de Dieu qui
se révèle au cœur humain d’une façon qui échappe à la raison3.
La
conception de l’évangélisation présentée par Olivier Bonnassies
semble relever de l’activisme mû par un zèle religieux indiscret,
ce qui est une des définitions minimales du fanatisme. Sous
des dehors de véritable évangélisation, très généreux, se cache
une mise au pas des personnes qui ne correspond pas au véritable
esprit de l’Église développé dans Evangelii
Nuntiandi du
pape Paul VI et dans Evangelii
Gaudium du
pape François.
Aspects
de l’esprit de l’évangélisation selon Vatican II
La
grande charte de l’Église de Vatican
II
sur l’évangélisation dans le monde actuel est l’exhortation du
pape Paul VI Evangelii
Nuntiandi
de 1975. Elle est à relire en totalité. Je ne résiste pas à citer
cet extrait bien connu an n° 41 sur les maîtres et mes témoins : «
“ L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que
les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs —
ou s’il
écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins
”. Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évoquait le
spectacle d’une vie pure et respectueuse, “ gagnant sans paroles
même ceux qui refusent de croire à la Parole ” (1 P 3,1). C’est
donc par sa conduite, par sa vie, que l’Eglise évangélisera tout
d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de
fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de
liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté »
(E. N. N° 41).
En
2007, à Aparecida, Benoît XVI avait présenté la véritable
mission de l’Église de la manière suivante : « L’Église
ne fait pas de prosélytisme. Elle
se développe plutôt par « attraction » :
comme le Christ « attire chacun à lui » par la force de
son amour, qui a culminé dans le sacrifice de la Croix, de même
l’Église accomplit sa mission dans la mesure où, associée au
Christ, elle accomplit chacune de ses œuvres en conformité
spirituelle et concrète avec la charité de son Seigneur ».
Dans
la Note
doctrinale sur certains aspects de l’évangélisation,
2007, n° 8 & 12, j’aimerais citer ces extraits qui
soulignent la nécessité d’éviter
toute pression indue
:
« Aux origines de l’Église, ce n’est pas par la contrainte ni par des habiletés indignes de l’Évangile que les disciples du Christ s’employèrent à amener les hommes à confesser le Christ comme Seigneur, mais avant tout par la puissance de la parole de Dieu » (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11). La mission des Apôtres — et sa poursuite à travers la mission de l’Église antique — reste le modèle fondamental de l’évangélisation pour tous les temps : une mission souvent marquée par le martyre, comme l’atteste aussi l’histoire du siècle à peine écoulé ».
« Dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête, ou simplement peu loyaux, surtout s’il s’agit des gens sans culture ou sans ressources » (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 4). Le témoignage rendu à la vérité n’entend rien imposer par la force, ni par une action coercitive, ni avec des artifices contraires à l’Évangile. L’exercice même de la charité est gratuit (Benoît XVI, Encycl. Deus caritas est, 2005, n. 31). L’amour et le témoignage rendu de la vérité visent à convaincre d’abord par la force de la Parole de Dieu (Cf. 1 Co 2, 3-5 ; 1 Th 2, 3-5) (Vat. II, Décl. Dignitatis humanae, n. 11). La mission chrétienne réside dans la puissance de l’Esprit Saint et de la vérité elle-même proclamée ».
Dans le cadre de la recherche de l’unité à travers la démarche œcuménique, le papeFrançois insiste lui aussi sur la nécessité d’éviter tout prosélytisme. À l’occasion d’une interview qu’il a accordée au jésuite suédois Ulf Jonsson pour « La Civiltà Cattolica », en nov. 2016 : « Il y a un critère qui devrait être très clair dans notre esprit en toutes circonstances : faire du prosélytisme dans le domaine ecclésial, c’est un péché. Benoît XVI nous a dit que l’Église ne grandit pas par le prosélytisme, mais par attraction. Le prosélytisme est un comportement coupable ».
Le
nonce apostolique en France, Mgr Célestin Migliore, commente ainsi4
l’orientation de la synodalité :
« La
conviction fondamentale du pape François est que la relation avec
Dieu dans le Christ donne à l’homme la capacité de « rester en
sortie » et de se placer avec courage sur la scène du monde.
Il est nécessaire de clarifier que rester en sortie n’a rien à voir avec l’arrogance, la recherche de l’auto-affirmation ou l’intimidation de celui qui penserait rendre un bon témoignage à l’Évangile en maniant la vérité comme une épée. Dans la perspective du pape François, l’attitude de « sortir » n’est pas l’absolutisme ou l’intransigeance, ni le relativisme, mais le dialogue :
Je
vous recommande de manière particulière la capacité de dialogue et
de rencontre. Dialoguer n’est pas négocier. Négocier, c’est
chercher à obtenir sa propre « part » du gâteau commun. Ce n’est
pas cela que j’entends. Mais c’est rechercher le bien commun pour
tous. Discuter ensemble, j’oserais dire se mettre en colère
ensemble, penser aux meilleures solutions pour tous (…) pour
construire la société civile avec les autres (…). Rappelez-vous,
en outre, que la meilleure façon pour dialoguer n’est pas celle de
parler et de discuter, mais celle de faire quelque chose ensemble, de
construire ensemble, de faire des projets : pas seuls, entre
catholiques, mais avec tous ceux qui ont de la bonne volonté5 ».
L’évangélisation
n’est pas une entreprise humaine.
D’essence surnaturelle, non étrangère à la raison humaine, la
Foi chrétienne catholique, tout en sachant utiliser les moyens
actuels de communication, ne peut que conduire à un au-delà de la
rencontre de l’homme avec Dieu qui relève du mystère de la
liberté dans l’amour. En aucun cas, l’Église ne peut se
développer par des entrepreneurs de l’évangélisation, — c’est
ainsi qu’ils s’appellent -, même si leurs réalisations sont
inspirées par le désir d’amener par leurs méthodes de nouveaux
fidèles à l’Église. Leurs vues sont trop matérialistes et pas
assez surnaturelles, outre le défaut de déficience de doctrine.
En
outre, on peut tout à fait penser que cette présentation, qui se
prévaut d’être une saine annonce de la foi selon les Apôtres,
est inspirée par la pensée matérialiste du management à
l’américaine dont le but est de faire du nombre, rien de plus. La
version de la Foi catholique promue par Olivier Bonnassies est un
produit de marketing.
Il
ne faut pas négliger non plus, au-delà de la raison, l’appel
constant au merveilleux chrétien6
sous toutes ses formes,
faisant
de grâces exceptionnelles la normalité de la vie dans la foi.
On finit ainsi de convaincre ceux qui se seront fait harponner et qui
vont se mettre à en faire autant pour les autres à leur tour. Sous
des dehors positifs et attrayants, avec des résultats, pointe la
mondanité spirituelle du cardinal de Lubac reprise par le Pape
François.
Il
ne faudrait pas que ce prétendu plan apostolique de cinq ans suscite
dans notre pays et même dans le monde de nouveaux dégâts par une
mise en œuvre d’évangélisation à visée réductrice, par une
approche trop matérialiste de la Foi de l’Église.
Notes
1Présentation:
« Jésus, Marie, l’Église, la Bible, les prophètes, les
docteurs, les mystiques, les grands témoins de la foi, les
apparitions et interventions mariales, les anges et leurs
manifestations, les exorcismes, les miracles, les guérisons, les
reliques, les conversions, les témoignages innombrables de
rencontres avec le Christ et tous les faits historiques
providentiels, il y a bel et bien « 1000 raisons de croire » !
Voici les plus belles réunies dans ce livret de 16 pages,
quintessence d’un dispositif de communication d’une envergure sans
précédent : 1000raisonsdecroire.com Ce dispositif sera promu par
tous les canaux web, pub radio et TV à la rentrée, et ce livret
servira de support de lancement national à un magazine en kiosque
en octobre ! »
2Constitution
dogmatique sur la Foi Catholique (Dei Filius) du 24 avril 1870.
(Traduction Gervais Dumeige, La Foi Catholique, L’Orante, 1961)
Canon 1, chapitre 2 : « Si quelqu’un dit que le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être connu avec certitude par ses œuvres grâce à la lumière naturelle de la raison humaine, qu’il soit anathème. »
Canon 1, chapitre 4 : « Si quelqu’un dit que la révélation divine ne contient aucun mystère véritable et proprement dit, mais que tous les dogmes de la foi peuvent être compris et démontrés par la raison, convenablement cultivée, à partir des principes naturels, qu’il soit anathème. »
3Voir l’encyclique
Fides
et Ratio de
Jean-Paul II (1998) au n°52 :
« Si la parole du Magistère s’est fait entendre plus souvent
à partir du milieu du siècle dernier, c’est parce que, au cours de
cette période, de nombreux catholiques se sont reconnu le devoir
d’opposer leur propre philosophie aux courants variés de la pensée
moderne. À ce point, il devenait nécessaire pour le Magistère de
l’Eglise de veiller à ce que ces philosophies ne dévient pas, à
leur tour, dans des formes erronées et négatives. Furent ainsi
censurées parallèlement: d’une part, le fidéisme
et
le traditionalisme radical, pour leur défiance à l’égard des
capacités naturelles de la raison; d’autre part, le rationalisme
et
l’ontologisme,
car
ils attribuaient à la raison naturelle ce qui est connaissable
uniquement à la lumière de la foi. Le contenu positif de ce débat
fit l’objet d’un exposé organique dans la Constitution
dogmatique Dei
Filius,
par laquelle, pour la première fois, un Concile œcuménique,
Vatican I, intervenait solennellement sur les relations entre la
raison et la foi. L’enseignement de ce texte donna une impulsion
forte et positive à la recherche philosophique de nombreux croyants
et il constitue encore aujourd’hui une référence et une norme pour
une réflexion chrétienne correcte et cohérente dans ce domaine
particulier. »
4
Mgr
Célestin Migliore, Evangélisation
et promotion humaine. La conversion pastorale selon le pape
François.
NRTh 143, 2021, pp. 246-255.
5
Discours
aux participants du V° Congrès de l’Église italienne, Florence,
10 nov. 2015.
6
« Pour
Augustin, les miracles sont une concession divine à ceux qui sont
prisonniers des apparences sensibles. Ce n’est pas qu’il porte
sur le monde un regard désenchanté, au contraire ! Pour lui,
aussi fascinés que nous puissions l’être face à tel ou tel
phénomène particulier, nous ne voyons pas que c’est la nature
dans son ensemble qui doit être source d’émerveillement. Tout
l’univers est signifiant. Le miracle singulier n’aurait
d’intérêt qu’à nous ouvrir les yeux sur une présence divine
universellement répandue. Le vrai sage n’est pas celui qui a tout
vu et tout compris, mais celui qui est capable de se laisser
surprendre même par ce qui, au premier regard, paraît relever du
bien connu. » François Euvé, La
science, l’épreuve de Dieu ?
Salvator, 2022, p. 122.
De la blessure psychologique aux thérapies psycho-spirituelles, CCMM, avril 2022, 346 pages, 25 €.
Recension, par le Frère Jean-Gabriel de l’Enfant-Jésus ocd, revue Carmel n° 183, mai 2023.
Le présent livre, qui émane du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) fondé par Roger Ikor voilà plus de 40 ans, dénonce les dérives initiées par ce que l’on désigne sous le terme de « psychospirituel », un curieux mélange des domaines psychologique et spirituel, et que le CCMM explique ainsi: « L’individu est porteur de blessures qui impactent son présent et ses possibilités d’évolution. Ces blessures constituent le lieu privilégié de la rencontre avec Dieu qui vient, si on le laisse œuvrer, guérir, libérer, relever par son amour miséricordieux » (p. 48). Au premier abord, on serait tenté de conclure qu’il n’y a rien là de problématique. Plus encore, et c’est l’argument souvent avancé, pourquoi se priver de ce qui constitue une forme de thérapie pour un mieux-être psychologique et spirituel? Pourtant, l’étude présente du CCMM et les nombreux témoignages qui y sont recensés, attestent que le psycho-spirituel constitue une forme d’emprise mentale dont les conséquences peuvent s’avérer graves et irrémédiables.
Un rapport du Docteur Guiouillier – psychiatre mandaté en 2011 par la CEF (Conférence des Evêques de France) pour une enquête auprès des Agapèthérapies du Puy en Velay, notait déjà de graves carences en matière de connaissance psychologique, ce qui d’après lui ne pouvait qu’aboutir à des interprétations erronées et simplistes : « D’emblée, écrivait-il dans le rapport désormais officiel transmis à la CEF, dans la définition de l’Agapé, la recherche de bouc-émissaire est annoncée. Il y a confusion entre l’événement et le traumatisme ( … ) Le bouc-émissaire est recherché au lieu d’analyser la responsabilité individuelle. On recherche un agent extérieur p,our tenter de déculpabiliser le sujet, ce qui peut le soulager dans un premier temps, mais à quel prix? On utilise le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies psychoaffectives qui ne seront en fait ni nommées, ni analysées, juste suggérées au risque de les induire ».
Le livre du CCMM confirme ce que ce médecin analysait en son temps: le risque de souvenirs induits, dont les travaux de la psychologue cognitive Élisabeth Loftus, dès les années 70, ont montré l’existence: « Le faux souvenir est un phénomène psychologique qui se produit lorsqu’une personne se remémore un événement qui, en fait, n’a jamais eu lieu »(ibid.) Les témoignages, parfois accablants, qu’on trouve dans le livre du CCMM, offrent un écho terrible à cette dernière analyse. Car les faux souvenirs induits « provoquent (chez le sujet) un changement profond de point de vue sur son histoire et bien sûr une grande déstabilisation par destruction de son identité et des relations avec ses proches. ( … ) » (p. 54).
Certains parents en effet, témoignent du procès que leurs enfants leur ont fait au retour d’une session d’agapéthérapie où ils avaient selon eux compris combien leurs parents les avaient mal aimés, voire maltraités.,. On se demande ce qu’a de spirituelle et chrétienne une démarche qui finit par rejeter l’un des dix commandements de Dieu: « Tu honoreras ton père et ta mère»? … Le processus psycho-spirituel est fort bien analysé dans le chapitre 2 de cet ouvrage, qui souligne notamment l’enfermement dans la recherche des blessures; la perte du raisonnement et de l’intelligence de la foi par le détournement de l’Évangile au profit d’une conception pseudo-psychologique qui n’est en rien spirituelle; sans oublier l’aspect lucratif d’une celle entreprise, abordé dans le chapitre 5 de l’ouvrage (L’appât du gain) … Les chapitres 3 et 4 abordent quant à eux la confusion spirituelle régnant dans les communautés qui prônent ce mélange de psychique et de spirituel et laissent de nombreuses victimes sur le rivage de leur inconsistance …
Au
terme du livre, on est en droit de se poser la question: « Mais que
fait donc l’Église? » D’autant que peu de signes ont été donnés
depuis les premières dénonciations de ces dérives.
Pour en connaître la raison, on retiendra avec profit les enseignements du diacre permanent Bertran Chaudet, contributeur au site SOS Discernement, qui lutte depuis longtemps contre les diverses dérives gnostiques qui menacent l’Église. Dans l’excellent premier chapitre de cet ouvrage – « Le Nouvel Âge a-t-il pénétré l’Église? » – il nous livre un panorama saisissant des diverses techniques que l’Église de France tend à intégrer dans sa pastorale, et qui semblent davantage marquées par l’esprit du New-Age ou du monde que par celui de Dieu …
Certes, le rapport de la CIASE a semblé faire l’état des lieux des abus dans l’Église. Mais, bien que nécessaire, il s’avère insuffisant. Les dérives sectaires doivent aussi être recensées; et les coupables sanctionnés, car la miséricorde a partie liée avec la vérité et la justice.
Puisse
cet ouvrage et les témoins qui y
figurent
retenir l’attention de ceux qui, au Jour du Jugement, ne pourront
dire qu’ils ne savaient pas …
L’augmentation
rapide du nombre des croyants dans les premiers temps de l’Église
a été rendue possible par la docilité à l’Esprit Saint des
apôtres et évangélisateurs, et par la qualité de leur témoignage
et de leur engagement croyant, comme les Actes
des apôtres le
laissent entendre1.
Mais que la qualité puisse entraîner la quantité, n’implique pas que la quantité résulte toujours de la qualité. Certes, la révélation relativement récente de la perversion de certains fondateurs à succès et de certains de leurs disciples a rendu évidente cette absence de corrélation nécessaire entre quantité et qualité. Mais cette corrélation a la vie dure, et il est douteux qu’elle ait complètement et définitivement disparu des esprits.
Une
telle association entre quantité et qualité, qui conduit à
considérer la croissance et le succès numériques comme un « beau
fruit » produit par un arbre nécessairement bon, suppose la
validité d’un présupposé que nous avons tout lieu aujourd’hui
de mettre en doute : que Dieu contrôle suffisamment les
personnes et les événements pour pouvoir assurer le succès
numérique de ce qui a de la qualité, et pour empêcher le succès
numérique de ce qui n’en a pas, ou trop peu.
De ce point de vue, plutôt que de déclarer providentiels certains événements à l’exception des autres (tel le succès numérique), il paraît plus juste de ne déclarer providentielle que l’action de Dieu en notre faveur, quels que soient les événements (y compris l’absence de succès numérique).
Il en résulte que du point de vue de la foi, le « bon fruit » n’est pas celui qui apparaît tel selon la perspective trop humaine et immédiate du succès numérique, ni même de la simple survie. Même si la proportion d’êtres humains entrés dans l’Église visible a fortement augmenté au cours des siècles, l’action de la providence ne donne pas de garantie certaine que la fidélité des croyants s’accompagnera toujours d’un tel succès numérique : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8)